Sale temps pour les serpents : après avoir corrompu l'humanité pour un simple fruit, les voici privés du droit de cité dans le dernier des Metal Gear, époque post-Kojima. Qu'il soit solide, liquide ou dévoré, ce bon vieux Snake semble avoir été pour un temps remisé dans l'un des vestiaires de Shadow Moses... Le temps que passe la tempête ?
Comme le temps et les caractères nous sont comptés, nous n'allons pas ressasser une énième fois les regrettables déboires qui auront conduit l'inénarrable Hideo Kojima à quitter son employeur historique pour finalement se lancer de plus belle dans l'aventure Death Stranding. Voici donc venue l'heure d'écrire un nouveau chapitre, puisque la licence Metal Gear appartient bel et bien à Konami (Kojima n'ayant jamais été propriétaire de ses créations), comme c'est d'ailleurs bien souvent le cas dans le petit milieu du jeu vidéo. Privé du talent et de la visibilité apportée par le mégalo à lunettes, voici que le studio joue assez logiquement la carte du spin-off pour renouer le contact, histoire de faire passer la pilule de mort simulée. Nous choisirons ainsi de traiter Metal Gear Survive comme ce qu'il est, sans le condamner par avance à cause de décisions prises dans les hautes sphères d'une entreprise de Tokyo, laissant cet exercice à tous les internautes incapables de tourner la page des réalités de cette cruelle existence. Cordialement.
Let the nobodies hit the floor
La volonté de ne froisser personne tout en tentant malhabilement de s'inscrire dans la continuité d'une saga chérie des fans transparaît dès les premières minutes de Metal Gear Survive : au cours de la cinématique d'introduction atteignant presque l'heure (!) et qui pourrait d'entrée de jeu en faire bailler quelques uns, le joueur découvre rapidement que tous les mots d'excuses ont été dûment signés par les nouveaux géniteurs. Se déroulant entre les événements de Ground Zeroes et le début de The Phantom Pain, le jeu use de la ficelle bien connu du monde parallèle pour tenter de se justifier sur de nombreux plans. Aspiré dans un trou de ver, votre avatar (très étrangement créé en deux temps distincts) atterrit avec cette bonne vieille Mother Base dans le Dité, une dimension infestée de simili-zombis répondant au doux nom d'Errants.
Le problème, c'est qu'à force de se justifier sur à peu près tous les plans, Metal Gear Survive nous avoue finalement en regardant bêtement ses pieds qu'il a été plus qu'ardu de faire rentrer au chausse-pied cette aventure survivaliste dans l'univers de Snake et de ses copains frappadingues. Ainsi, le trou de ver responsable de votre voyage dimensionnel a été pour la première fois observé en 1968, lors de la Guerre du Viêt Nam, une astuce qui permet à l'armée américaine de juguler la menace tout en la passant sous silence. D'ailleurs, si vous avez été envoyé seul dans ce trou de ver désormais maîtrisé, c'est parce l'énergie dont dispose vos supérieurs ne permet pas de faire mieux, d'où votre isolement initial. Rajoutez à ça le briefing sous forme de flash-back au montage chaotique où l'on prend le temps de vous expliquer que le temps est trop précieux pour répondre à vos nombreuses questions, et vous obtenez un joyeux bordel narratif qui tente avec beaucoup de peine de noyer le poisson.
At first I was afraid, I was petrified
Il faudra donc dans un premier temps faire fi de toutes ces brumeuses pistes pour mettre le nez dans une autre forme de brouillard, bien réel celui-ci, qui enserre de son étreinte votre camp retranché. Perdue au beau milieu de nulle part, votre base délabrée fera office de phare dans cet océan qui tire un peu trop sur le camaïeu maronnasse pour donner envie de s'y plonger. Laissé pour compte et sans le sou, il va rapidement vous falloir trouver de quoi ne pas mourir de faim, sous peine de voir arriver en l'espace de quelques minutes le premier Game Over d'une longue série. Impitoyable d'entrée de jeu, Metal Gear Survive va apprendre à plusieurs générations ce qu'est la véritable sensation de faim, celle qui vous tord de douleur et occupe toutes vos pensées.
Armé de votre lance rudimentaire brièvement craftée, votre première mission sera donc de trouver le premier point d'eau, autour duquel végètent quelques moutons qu'il faudra quoi qu'il arrive transformer en méchoui, et tant pis pour les végétariens. Mais n'allez pas croire que cette première récolte vous suffira à calmer durablement votre insatiable estomac : à partir de cet instant, vous n'aurez de cesse d'être obsédé à chaque seconde qui passe par vos réserves de nourritures et d'eau plus ou moins potable. Chaque action à entreprendre sera évaluée et sous-pesée en fonction de la dépense énergétique absolument démesurée qu'elle générera chez votre avatar aux faux airs d'Obélix.
AT-9 la Guerrière
Mais la cuisson de vos viandes et la potentielle dysenterie due à l'eau croupie collectée par vos soins ne vous aidera évidemment pas à venir à bout des hordes d'Errants peuplant les environs. Qu'importe, puisque l'intelligence artificielle Virgil AT-9 va rapidement vous guider dans vos recherches, et vous envoyer aux quatre coins de cette morne vallée pour défoncer du mob amorphe. Mené par le bout du nez à coups de zones à explorer, notre héros générique va ainsi se saisir de la palette de mouvements héritée de Metal Gear Solid V pour mener à bien des phases de pseudo-infiltration en milieux hostiles. Oubliez en revanche la finesse et le level design des bases afghanes, il faudra ici se contenter d'îlots industriels peuplés de zombis binaires qui oscilleront entre la déambulation hasardeuse et la volonté affichée de vous faire violemment la peau.
Face à ces hordes d'ennemis qui font nécessairement écho à Dead Rising, votre seule lance ne pèsera pas bien lourd, et c'est alors qu'entre en jeu la seconde mécanique qui fait de Metal Gear Survive le fils caché d'un jeu de survie et d'un tower defense. C'est en effet à grands renfort de grillades et autres palissades que vous allez tenter de vous prémunir de ces assauts dignes d'un jour de grève dans les transports parisiens : faute de disposer dans un premier temps de pétoires et autres cocktails d'inspiration russe, il vous faudra attirer stratégiquement les Errants dans un recoin favorable pour les massacrer avant qu'ils ne fassent tomber votre clôture fabriquée avec amour. En plus d'accomplir les objectifs essentiels à la progression, les missions d'AT-9 vous permettront de récolter des Kuban (KB pour les intimes), une sorte de devise à tout faire qui va vous permettre de faire sortir de terre de nombreux bâtiments de fortune.
What's in your head ?
Et c'est ainsi que l'on entre de plain pied dans la mécanique ô combien routinière de Metal Gear Survive : récolter des vivres afin de partir en quête d'une carte mémoire, en récoltant sur le chemin des Kuban afin de crafter de meilleures armes et de faire évoluer votre personnage. Impitoyable durant de nombreuses heures, le jeu vous plonge avec amertume dans la peau d'un véritable naufragé : la faim, la soif et la perspective de tomber malade font du début de ce spin-off un véritable enfer. Bon gré mal gré, il vous faudra ainsi apprendre les codes de cette vie en milieu hostile, faute de balancer par la fenêtre sa manette si chèrement acquise. De ce point de vue, la mécanique se veut ô combien réaliste, et la progression d'une lenteur tout aussi naturaliste : il faudra faire preuve de beaucoup de ruse pour commencer à explorer plus en profondeur l'univers du Dité, et se doter d'un arsenal enfin conséquent.
Les missions gagnent alors en variété, puisqu'il faudra progressivement secourir d'autres naufragés perdu en plein brouillard, à la merci des Errants affamés. Mais la pénétration de ce que le jeu appelle 'La Cendre" ne sera pas non plus une partie de plaisir : nécessitant une bobonne d'oxygène qui s'épuise aussi vite que les calories ingérées, votre temps en apnée sera plus que compté lui aussi. Mais toute la Cendre du monde ne parviendra pas à masquer les ravages causés par le temps qui passe au vieillissant Fox Engine : en plus d'être vide et terne, l'univers de Metal Gear Survive ne s'en tire techniquement pas avec les honneurs. La routine prend alors un (petit) peu de hauteur, puisque l'on alterne désormais entre missions de secours et ouverture de téléporteurs qui donnent lieu à de véritables phases de pur tower defense, où il vous faudra tenir bon face à trois vagues d'Errants bien remontés. Ce sont d'ailleurs ces mêmes étapes qui constituent le coeur du mode multijoueur, intégré comme chacun sait au solo, et qui justifie une connexion per-ma-nen-te pour s'adonner aux joies de la survie en Dité.
La miche de pain fantôme
Pas franchement passionnant, la défense en équipe de quatre (victime qui plus est d'un match-making relativement déséquilibré) est surtout une bonne occasion de récolter de précieux matériaux qui vous serviront à tenir un jour de plus. Parce que l'agrandissement de votre base et la construction de nouveaux ateliers de crafting (armes, nourriture, gadgets, etc.) réclame de plus en plus de ressources. Et c'est au moment où vous pensez connaître l'allégresse de l'abondance que le jeu vous tacle par derrière en vous sommant de vous occuper du bien-être de vos voisins de chambrée : les citernes d'eau de pluie et les champs de pommes de terre qui faisaient votre fierté serviront finalement à nourrir toutes ces bouches que vous aurez préalablement assignées au développement de ladite base.
Metal Gear Survive ne vous laisse donc aucun répit, tant et si bien que l'on finira parfois par se demander à quoi bon ? À quoi bon trimer du matin au soir pour nourrir cette famille que nous n'avons pas souhaité ? À quoi bon débloquer des téléporteurs toujours plus nombreux pour explorer une carte dont tous les recoins se ressemblent ? Alors certes, au détour d'une mission, on prendra un plaisir certain à tomber sur une Jeep abandonnée, qui permettra de défoncer de l'Errant par dizaine sans même avoir de pare-brise sur lequel voir le sang couler, ou un Walker qui tente de nous rappeler que l'on a sciemment plaqué un nom qui fait vendre sur un jeu de survie qui n'a que très peu de lien et de cohérence philosophique avec la série d'infiltration cinématographique dont il se réclame mollement. Metal Gear Survive tentera dans ses dernières heures de proposer un combat de boss dantesque, histoire de recoller les morceaux, mais le coeur n'y est de toute évidence pas.
Metal Gear $ymptômes
Et tout ceci ne serait finalement pas grand chose si le jeu de Konami ne jouait à ce point la carte du micro-paiement : la connexion abusivement obligatoire pour jouer à un titre dûment payé laisse transparaître une volonté de boutique en ligne pousse-au-crime qui explique sans doute la rudesse des débuts. Pour quelques euros ou plusieurs dizaines, Metal Gear Survive vous propose en effet d'acheter des points SV, une denrée rare qui permet de faire décoller votre petite entreprise survivaliste vers des cieux plus cléments. Ou comment casser un certain équilibre en offrant aux plus fortunés de gagner des heures et des heures de loot d'un simple coup de carte bleue.
L'achat d'un slot de sauvegarde supplémentaire facturé 10 euros est symptomatique de l'avidité sans borne de Konami, qui devait être tellement occupé à fixer les prix des micro-transactions pour passer à côté du formidable shitstorm de la fin 2017 autour du modèle honteux d'un certain Battlefront II... Les quatre classes à débloquer une fois les crédits de fin déroulés donneront peut-être envie aux joueurs curieux et patients d'explorer d'autres approches que celle du seul Survivant proposée lors du premier run. Il faudra ainsi repartir pour des heures de loot afin de débloquer les nouvelles compétences, dévoiler de nouvelles zones inexplorées de la carte, mais le jeu aura sans doute perdu en route une bonne partie de son public potentiel...