Une fois encore, je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Les aventures de Link, en ce temps-là, s'affichaient en 2D sur des écrans qui n'étaient pas prêts pour la haute définition, ni pour quoi que ce soit d'ailleurs. À tort ou à raison, bon nombre de joueurs se souviennent de cette époque avec la douce nostalgie qui prend racine dans les souvenirs de notre tendre enfance. Auraient-ils enfin été exaucés ?
Depuis The Minish Cap, en effet, la saga plus-que-trentenaire The Legend of Zelda a laissé derrière elle la seconde dimension, pour passer la troisième sans même jeter un regard dans le rétroviseur. Pour les joueurs restés sur le carreau, il y eut bien quelques épisodes vus du dessus qui rappelaient l'approche des débuts de la série, mais les pixels avaient cédé leur place aux polygones. Conscient du vide juridique et de la disette sévissant donc depuis 2004, le studio bien-nommé Castle Pixel s'est mis en tête de développer "son" Zelda 2D, une aventure au doux parfum de nostalgie dont Nintendo s'est complètement désintéressé. Mais à trop fantasmer une formule qui fit autrefois les grandes heures du jeu d'aventure, ne risque-t-on pas de se noyer dans la naphtaline ?
Les voix de l'esprit
Décrire Blossom Tales pourrait finalement se résumer à vous renvoyer à Link to The Past, l'enfant chéri de la Super Nintendo. En effet, le second jeu de Castle Pixel emprunte absolument tout à l'un des meilleurs opus 2D de la saga (n'oublions pas Link's Awakening, hein) : aux commandes d'une jeune guerrière quittant un peu tard les bras de Morphée, vous n'aurez de cesse, après avoir été intronisée auprès de sa Majesté, de rassembler les trois Ingrédients sacrés qui permettront à cette vieille tête couronnée de se défaire du sort que lui a jeté son maléfique conseiller mégalomane. Maniant l'épée aussi bien que l'arc ou le boomerang, vous voici lancée à travers les plaines d'Hyrule de Blossom pour remplir les quêtes d'un paquet d'autochtones avant de partir à l'assaut de quelques donjons tortueux, qui se concluront systématiquement par un traditionnel combat de boss, avant de récupérer le coeur supplémentaire qui va bien.
Ça vous va comme ça ? Et je ne grossis même pas le trait hein, le jeu ayant le bon goût ne pas masquer ses multiples emprunts qui se seraient de toutes façons vus comme une attention whore sur Internet... A ceci près que Blossom Tales se situe bel et bien dans le registre du conte (comme l'indique son nom, CQFD), puisque les aventures de la vaillante Lily seront en réalité narrés par un sympathique aïeul, pressé par ses petits enfants de leur raconter une histoire inédite. Et cet habillage n'est pas qu'un simple prétexte cosmétique, mais conditionne réellement la narration du jeu : en plus d'assister à chaque démarrage à un bref rappel de ce qui attend Lily (des fois que vus n'y ayez pas touché depuis un certain temps), les rase-moquettes interrompent parfois le récit pour le ponctuer de leurs remarques, quitte à vous demander d'arbitrer entre leurs desideratas irréconciliables.
La petite poucette
Et s'il ne fait pas preuve de beaucoup d'originalité dans ses premières heures, Blossom Tales a néanmoins le bon goût d'emprunter et de restituer à la perfection les mécaniques de la série dont il s'inspire. Sacrifiant l'originalité pour gagner en stabilité et en efficacité, l'aventure opte pour un condensé de Zelda 2D, en allant droit au but sans jamais traîner en longueur. L'exploration sera donc logiquement contrainte par les différents items indispensables pour accéder à de nouvelles zones, ce qui lui permet de trouver un bon équilibre entre exploration libre et concentration sur l'objectif principal. La carte du monde se dévoile case après case comme dans l'épisode Game Boy sus-cité, et s'avère finalement bien plus intéressante et vaste qu'on ne pourrait d'abord l'imaginer.
Vous n'échapperez en revanche pas aux traditionnels environnements typés du genre, qui permettent d'ailleurs contre toute logique climatique de faire se côtoyer un mont recouvert de neige et un marais étouffant. Chaque contrée visitée possède une identité propre qui s'accorde d'ailleurs merveilleusement bien avec les thèmes rétro qui rappellent même par moment le chiptune de la MegaDrive... Déambuler dans ces compositions de pixel reste un plaisir de tous les instants, tant le souci du détail se manifeste dans chaque recoin de ces tableaux : que ce soit la présence d'un papillon, de l'animation des hautes herbes, de la gestion de la lumière ou des flocons de neige au premier plan, vos yeux ne sauront plus ou donner de la tête.
Un conte rôle C
S'il y avait un héritage que Blossom Tales aurait pu poliment refuser à son aîné spirituel, c'est bien sa relative facilité. Malheureusement, Castle Pixel joue (presque) jusqu'au bout la déférence en optant pour une aventure qui prendra un peu trop vite des airs de parcours de santé pour les vétérans du genre. D'autant plus que les iconiques quarts de coeur - comme les feuilles mortes - se ramassent à la pelle pour peu que l'on s'éloigne un tant soi peu des chemins tous tracés. Mais il n'y a pas que vos précieux coeurs que vous pourrez voir multipliés, puisque l'utilisation des différents items assignés se fait par l'intermédiaire d'une jauge elle aussi expansible. Plutôt que de jouer les John Rowland au féminin pour récupérer bombes, flèches et autres bidules à collectionner, il suffira d'attendre que ladite jauge se recharge, évitant ainsi toute frustration face à une énigme qui nécessiterait un objet particulier.
Votre inventaire, justement, pourrait bien rester restreint si vous persistez à foncer tête baissée vers le prochain objectif : en proposant une expérience concentrée de ce qui fait le charme d'une vieille aventure en terre d'Hyrule, Blossom Tales ne cherche pas à étaler plus que de raison sa science pour gratter des bons points. Avec un nombre forcément réduit de donjons, il faudra volontairement jouer les explorateurs pour enrichir son arsenal d'items fort pratiques au demeurant. Chaque zone vous amènera à rencontrer bon nombre de quidams aux problèmes existentiels, puisqu'il vous demanderont systématiquement de récolter 20 trophées à récupérer sur le cadavre de vos ennemis pour vous récompenser d'un quart de coeur ou d'un médaillon tombé du ciel. Il faudra en revanche prêter la plus grande attention auxdits items, puisque jamais plus le jeu ne vous expliquera leur utilité, un oubli regrettable qui jure avec le souci du détail quasi-permanent qui caractérise le reste du jeu.
Le sable y est fantôme
Et si Blossom Tales donne assez souvent dans le clin d'oeil respectueux, il n'oublie pas pour autant de proposer quelques idées bien à lui, surtout au fur et à mesure que l'on approche du dénouement. La scène dantesque d'attaque zombie dans le cimetière fait de gros efforts de mise en scène et rompt avec le respect accordé jusqu'alors à l'oeuvre originale. Et parce que Castle Pixel sait faire fi des traditions désuètes que personne n'apprécie, il autorise quelques réglages personnels dans les options, une diablerie encore inconcevable pour les architectes tatillons des aventures de Link. Un joli pouce en l'air pour la gestion raisonnée et fort appréciable du respawn des ennemis qui n'envahissent pas à nouveau l'écran après dix petites secondes passées dans une cave pour ouvrir un simple coffre. Du grand art on vous dit.
Et si les quelques heures passées en la compagnie de Lily la rousse rappelleront aux elfes retraités de merveilleux moments d'une époque révolue, les mêmes vétérans pesteront à raison contre la courte durée du jeu, qui s'envisage donc plus comme une merveilleuse récréation que comme une aventure avec un grand A. Certes, les énigmes font preuve d'une grande ingéniosité dès la moitié du périple, mais aucune d'entre elles ne s'avérera assez ardue pour opposer une quelconque forme de résistance. Forcément, quand c'est bon, c'est toujours trop court...