Assiste-t-on à un tournant dans le milieu du développement ? Suite à la polémique déclenchée la semaine dernière par les propos du co-fondateur de Rockstar concernant les "semaines de 100 heures" effectuées par une partie de l'équipe durant le développement de Red Dead Redemption II, le site Kotaku a mené l'enquête, en recueillant des dizaines de témoignages.
Alors qu'une bonne partie de l'Internet mondial y va de son analyse de comptoir afin de savoir s'il est ou non raisonnable de mettre sa vie entre parenthèses pour simplement faire son travail, le journaliste Jason Schreier du site Kotaku a mené l'enquête auprès d'ex et d'actuels employés de Rockstar (pour un total de 89 entretiens), et son travail semble bien mettre à mal la version officielle de l'éditeur.
La très longue enquête dont nous ne pouvons que vous conseiller la lecture intégrale remonte à cette lettre collective envoyée à Rockstar en 2010, alors que l'équipe en charge de Red Dead Redemption premier du nom travaillait 12 heures par jour, six jours par semaine :
Si vous quittiez plus tôt en semaine ou le week-end, vous aviez droit à des regards noirs. Vous sentiez la pression alors que vous quittiez votre poste. C'était la culture à l'époque : si vous ne faites pas plus d'heures, vous ne méritez pas de travailler ici.
L'entreprise concède avoir poussé le bouchon un peu loin lors de ce développement, assurant par l'intermédiaire de Jennifer Kolbe, éditrice en chef, que des mesures ont depuis été prises pour remédier à ces pratiques. Mais les documents fournis par un ex-employé ayant oeuvré sur Grand Theft Auto V ne va pas dans ce sens :
Ceux qui travaillaient moins de 60 heures étaient marqué d'un tampon "Moins" en rouge. Une personne travaillant pour Rockstar au Royaume-Uni m'a dit que le stress et les heures supplémentaires constantes pendant presque une décennie lui aura coûté sa relation amoureuse et sa santé mentale, même s'il insiste sur le fait que Rockstar était l'une des meilleures entreprises pour laquelle il ait travaillé.
L'équipe en charge de Max Payne 3 n'a pas non plus été épargnée durant la phase finale de développement, tant et si bien qu'un employé affirme ne plus se souvenir de grand chose durant cette période de sa vie. La peine fut doublée pour les équipes en question, car les ventes du jeu n'ont pas permis aux employés de profiter des bonus sur résultats très attendus lors d'une année de sortie.
Mais afin de contrôler la dévotion absolue de ses salariés, Kotaku nous apprend que la direction du studio avait mis en place un logiciel de traçage qui permettait de suivre en permanence et en temps réel la production effective de chacun :
Il fallait obligatoirement faire des semaines de 80 heures. Si tu n'avais plus rien à faire sur Red Dead Redemption II, tu testais GTA V durant huit heures.
Jennifer Kolbe, de son côté, temporise :
Il y a évidemment des gens qui, à certains moments, ont travaillé de nombreuses heures. D'autres exagèrent sur les heures qu'ils font réellement.
Mais c'est aux dires des personnes interrogés la crainte qui l'emporte : la crainte de se faire renvoyer, bien sûr, mais surtout celle de ne pas profiter de son passage chez l'éditeur en étant supprimé du générique, comme l'affirme Kolbe :
Durant très longtemps, nous avons décidé que si vous ne restiez pas jusqu'au bout, alors vous ne seriez pas dans les crédits du jeu.
L'attitude des frères Hauser, fondateurs du studio, n'a pas non plus aidé à ménager les équipes : ayant décidé de changer la ville de New Bordeaux en Saint Denis après avoir découvert l'utilisation du nom dans Mafia III, et voilà qu'il faut réenregistrer les dialogues, les incorporer aux cinématiques, changer les panneaux déjà implantés... Mais qu'importe, l'essentiel est visiblement de faire acte de présence :
Le ton général chez Rockstar, c'est que l'entreprise valorise bien plus les heures que vous faites plutôt que le nombre de bugs que vous parvenez à corriger.
S'il nous sera évidemment impossible de vous retranscrire tous les détails de cette vaste enquête qui libère pour la première fois la parole de près de 90 personnes ayant travaillé au sein de Rockstar, ces quelques déclarations lèvent le voile sur les dessous de la production des AAA acclamés par la critique année après année.
Mais à la lumière de cette incroyable enquête, nous pouvons désormais nous interroger sur le réel coût humain d'un jeu comme Red Dead Redemption II : jusqu'où sommes-nous prêts à fermer les yeux sur ses conditions de production ?
Que pensez-vous de cette enquête sur les méthodes de travail au sein de Rockstar ? Changent-elles votre perception de leurs jeux ? Faites-nous part de vos avis de forçats dans les commentaires ci-dessous.