PSone. 1999. Harry Mason. Cheryl. Un accident de la route. Un océan de brume. Une ville maudite. L'antre de la folie. À son époque, Silent Hill avait marqué les esprits au fer rouge. Bien qu'imparfait, il avait su ébranler les codes du survival en dévoilant une nouvelle facette de l'horreur. Moins de sursauts, plus d'effroi, plus de psychologie. Aujourd'hui, Silent Hill : Shattered Memories exhume les souvenirs de ce premier opus culte. Alors que la série s'essoufflait dernièrement, loin du simple remake, cette relecture ose bouleverser les codes de la série. Pour le meilleur ?
Le jeu vidéo pratique avec gourmandise les coups de rétroviseurs. Le présent ne cesse de se repaître du passé, parfois même pour des hommages surannés. Mais il manquait encore une intéressante corde à l'arc rétro : la relecture. Ainsi pour fêter les 10 ans du premier Silent Hill, Konami tente un audacieux pari. Celui de confier à des anglais la réinvention d'une fable japonaise. Avec Shattered Memories, Silent Hill renaît ainsi de ses cendres pour un épisode à l'épine dorsale inchangée, mais aux fondamentaux bousculés. La narration, le rythme, les situations, l'action et bien évidemment le visuel... tout a été repris pour donner vie à une histoire inédite, métamorphosée. De cette chrysalide est sorti un étonnant papillon de nuit. Première surprise, le titre délaisse les plates-formes HD pour mieux s'attaquer à la PS2, la PSP et la Wii. C'est d'ailleurs cette dernière version que nous testons aujourd'hui. Il s'agit en effet de la mouture la plus intéressante grâce à son appréciable utilisation du combo Wiimote/Nunchuk. Prêt pour un foudroyant plongeon vers le frisson ?
L'introspection mère du frisson
Si Silent Hill : Shattered Memories reprend la trame principale du premier Silent Hill (un père à la recherche de sa fille dans une ville rongée par le Mal), l'histoire s'étoffe d'entrée. Tout débute ainsi chez votre psy. Instant d'introspection. Chaque nouveau chapitre sera alors l'occasion de mieux vous connaître via une série de questions thématisées. Vos goûts. Vos peurs d'enfance. Vos souvenirs familiaux. Des jeux de couleurs. Des reconnaissance de formes, etc. En arpentant les méandres de votre mémoire, en vous livrant, vous donnerez des indications au jeu qui se fera alors un malin plaisir de façonner un parcours personnalisé (par petites touches). Des éléments clefs ou des détails visuels vous interpelleront... pas toujours immédiatement. C'est d'ailleurs la fraction de seconde où vous réaliserez que l'aventure vous guette, se connecte à votre psyché, qui vous fera ressentir un délicat frisson. Le plaisir de l'interactivité mêlé à une légère angoisse. La sensation d'être épié. De n'être qu'un pantin navigant dans un dédale fait de souvenirs plus ou moins fanés. À l'image de cette nouvelle plongée dans une cité laissée pour morte il y a maintenant 10 ans...
Ambiance glaciale
Cet épisode brise nos repères jusqu'à changer certains des codes édictés par le Silent Hill original. Fini la brume et les cendres, place à la glace. Ambiance froide pour aventure à glacer les sangs. Adieu aux armes aussi, place à la fuite. Dans sa substance, Shattered Memories cultive d'ailleurs plus de liens avec Silent Hill 2 qu'avec son modèle. L'histoire se retrouve ainsi plus centrée sur le héros. Sur sa psychologie. Le narratif prend plus d'ampleur que d'habitude, le tout souligné par une mise en scène sobre mais efficace. Les visages sont d'ailleurs joliment expressifs pour un titre Wii. L'occasion de revenir sur la belle tenue de la réalisation qui, si elle n'égale pas l'indétrônable Resident Evil 4 (maître étalon des productions GameCube/Wii), garde une finition de haut niveau (malgré quelques ralentissements). Seul bémol artistique, les créatures qui viendront vous harceler se révèlent visuellement assez anodines. Un design macabre efficace pour les environnements, les subtils jeux d'ombres, les forêts lugubres, les allées glaciales... moins pour les ennemis qui auront bien du mal à vous effrayer. Pour être clair, cet épisode peine à réellement faire peur. C'est plus son rythme, ses phases d'exploration, son ambiance générale (les envoûtantes musiques d'Akira Yamaoka) et ses clins d'œil à la série qui séduiront
Pardonner les maladresses ?
Qu'il s'agisse de braquer sa lampe torche, d'utiliser son téléphone portable (servant à certaines communications, à afficher le plan ou faire apparaître certains spectres), de résoudre des énigmes ou de s'échapper, le combo Wiimote/Nunchunk est constamment sollicité. Reste que si l'utilisation est souvent judicieuse (principalement lors de certaines énigmes ou des coups de fil avec le haut parleur de la Wiimote), elle se révèle parfois relativement pénible. Une sensation d'autant plus perceptible lors des séquences de fuite. Pour rappel, au cours de l'aventure, vous n'obtiendrez aucune arme. Face aux créatures qui vous harcèleront, vous n'aurez donc d'autre choix que la course en avant. Il en résulte des séquences dynamiques (vous poussez brutalement les portes, grimpez d'un bond sur des promontoires, le tout sans chargement) mais souvent frustrantes. En effet, il est difficile de se repérer, de courir, de voir où se trouvent vos ennemis et de vous diriger... le tout dans la même foulée. On se trouve ainsi souvent bloqué par un angle de caméra mal géré, ou agrippé par un ennemi sorti de nulle part. La jouabilité Wiimote trop molle et peu réactive trouve ici clairement ses limites. Pourtant, et cela constituera pour certains un étonnant paradoxe ludique, cette maladresse n'occultant pas le plaisir ressenti à explorer Silent Hill et ses alentours. Dommage cependant que la série ne parvienne définitivement pas à se montrer à l'aise dès qu'il s'agit d'action à proprement parler. C'est un fait indiscutable. Mais les amateurs des Silent Hill le savent, c'est ailleurs qu'il faut aller puiser le cachet de la série. Dans les nuances. Dans la sensation de perte de repères. Dans un stress qui monte crescendo. Et n'ayons pas peur des mots, dans une certaine intelligence du propos.
Ainsi s'il paraissait risqué de s'attaquer à un titre aussi culte que Silent Hill, Climax s'en sort avec les honneurs. Bien sûr quelques maladresses persistent (la prise en main essentiellement), mais le titre garde un charme macabre suffisamment convaincant pour mériter de s'y perdre. Face à un épisode Homecoming bancal, l'intérêt redécolle ici en flèche. Sans arme et sans monstre titanesque, Silent Hill : Shattered Memories réussit à raconter une histoire faisant autant appel à vos souvenirs de joueur, qu'à votre affect d'individu.
À noter que le jeu sort aussi sur PS2 et PSP. Nous reviendrons ultérieurement sur ces deux versions qui bénéficient d'une réalisation similaire, mais d'une prise en main plus conventionnelle.