La réalité virtuelle, formidable amplificateur d'immersion, a fait passer le genre du jeu vidéo horrifique dans une nouvelle dimension. Frissonner face à son écran est une chose, être totalement immergé dans le jeu et ne pas pouvoir retenir un cri de terreur, écran au bord des cils et son spatialisé dans les oreilles, en est une autre... Ces sensations, Transference les procure par des effets bien connus mais propose une singularité qui fait tout son intérêt.
Pas de zombies ou assimilés ici, pas de violence non plus (physique en tout cas), c'est d'abord comme une énigme qu'on aborde Transference. Pas facile d'ailleurs d'écrire à son sujet et de ne pas trop en dire à la fois. Le titre, présenté par son studio comme "un thriller psychologique à mi-chemin entre cinéma et jeu vidéo", se parcourt le temps d'un (court) long-métrage. Mais les questions qu'il laisse sans réponse évidente, le sentiment de malaise qu'il instille dans les heures qui suivent sa conclusion, en font une expérience bien plus dense que ce qu'indique le chronomètre. Une durée qui peut sembler légère mais finalement adaptée à son propos et à une expérience narrative soutenue et éprouvante en réalité virtuelle. Car si le jeu SpectreVision et Ubisoft Montréal est proposé sur PS4, PC et Xbox One, tout à fait jouable de manière traditionnelle sur toutes ces plateformes, c'est bien en VR que Transference exprime son plein potentiel. Et de cette manière qu'il faut s'y plonger. Petite remarque au passage : tant qu'à proposer un jeu vidéo hybride, dans un format court donc, ce qui n'est dans ce cas précis pas un reproche, il aurait été bien venu que le prix du titre s'aligne sur celui d'un film en VOD ou d'une place de ciné.
"SUEVRS" FROIDES
Le récit de Transference est celui d'une famille, de sa dilution, de la collecte de ses souvenirs et peut-être aussi l'allégorie rendue concrète par le jeu, du temps qui passe, des instants disparus à jamais et des actes manqués. De ceux qu'il ne faut pas regretter pour ne pas se laisser dévorer, et plonger dans la dépression, la folie, être confronté à l'abandon, les maux dont semblent souffrir les fragments des personnages croisés dans cette histoire. Pour la raconter, le cadre est à la fois unique et multiple : un même appartement qui se transforme selon la dimension, on pourrait aussi dire la version, comme pour un programme informatique, de la simulation numérique dans laquelle on évolue. C'est obscur, et c'est ce qui est passionnant, d'autant qu'on peut en étant attentif à tout, réunir de nombreuses pièces de ce puzzle temporel. Des objets propres à chaque personnage permettent d'en apprendre plus sur chaque membre de cette famille, sans jamais tout dévoiler, le jeu faisant alors confiance à l'intelligence et l'imagination de la joueuse ou du joueur pour relier les points dévoilant au final un portrait. Une proposition agréable malgré la peur de progresser dans ces univers inquiétants, car c'est justement cette part laissée aux joueuses et aux joueurs et aux liens formés dans leur esprit qui renforce le malaise psychologique du titre. La simulation est également une idée brillante car avec ses glitchs, ses messages d'erreurs, tous ses dysfonctionnements numériques, elle procure un effet méta bénéfique à l'immersion, dans ce logiciel qui nous plonge dans un autre logiciel, et dont la défaillance est terrifiante.
La Maison de l'Esprit
Sans affrontement, sans monstre à proprement parler, Transference diffuse la peur à travers des ressorts bien connus, faits de neige de télé au son trop fort, de portes qui s'ouvrent toutes seules ou qui au contraire se verrouillent et propose sa dose de bons vieux sauts de flippe. Mais si ça fonctionne si bien, c'est parce qu'en amont Transference propose une maison avec des chambres, une salle de bain, une cuisine, à la fois familière, rassurante et remplie d'objets du quotidien mais aussi parsemée d'affreuses peintures, de couloirs barbouillés de messages de désespoir et de dessins tout aussi noirs. On ne ressort pas indemne quand on ouvre les yeux face à l'écran de son masque VR dans ce titre qui sans convoquer son esthétique, rappelle bien des thématiques de la série Silent Hill. Certaines idées également, comme celle de passer d'une dimension à une autre via un interrupteur, les échanges radio aussi, évoquent la récente série Netflix Stranger Things. Des parallèles dressés ici comme des pistes pour décrypter un minimum un titre au mécaniques de jeu s'apparentant au genre désormais désuet des point'n'click ou tel objet sera utile à telle situation, avec de nombreuses fausses pistes qui densifient encore l'immersion dans le récit ainsi que quelques passages qui s'il ne sont pas toujours évidents demeurent au moins logiques, pas tirés par les cheveux. C'est finalement au bout du jeu, des enregistrements écoutés, des lettres lues, des vidéos en prises de vues réelles visionnées que les méninges s'activent le plus et ça veut quand même dire quelque chose sur ce que provoque ce titre à l'ambiance unique.