Si les motifs de satisfaction sont assez rares depuis plus d'un an et demi, on peut quand même dire que certaines choses redonnent le "smile", comme on dit. Prenez le portage de deux des derniers épisodes de la licence Ace Attorney qui arrive en ce joli mois de juillet. Certes, on nous ressert des jeux 3DS sur PS4 et Switch. Mais les Dai Gyakuten Saiban, parus respectivement en 2015 et 2017, n'avaient pas eu l'honneur d'une localisation occidentale officielle. Ici, maintenant, nous avons la preuve qu'il n'est pas trop tard pour s'y plonger.
The Great Ace Attorney Chronicles réunit The Great Ace Attorney : Adventures et The Great Ace Attorney 2 : Resolve. Deux jeux différents, mais deux aventures qui se suivent, et nous emmènent 100 ans avant la première objection de Phoenix Wright, pour y découvrir les palpitants débuts de son ancêtre, Ryonosuke Naruhodo, à la cour. Ou plutôt les cours. Puisque celui que l'on rencontre alors qu'il n'est qu'étudiant au Japon va d'abord évoluer dans son pays avant de rejoindre l'île de la reine Victoria. Le réalisateur et scénariste Shu Takumi a en effet choisi avec ce diptyque de retourner à Londres. Sans le Professeur Layton, mais avec l'esprit d'Arthur Conan Doyle.
Double impact
Si vous n'êtes pas encore familier de la série de Capcom, résumons-la ainsi : une suite d'affaires criminelles à traiter en passant par des phases d'investigation, d'interrogatoires et de plaidoirie. Il vous faut défendre votre client en appuyant sur les déclarations et pièces à conviction quand il le faut. En gros, de la simulation d'avocat sans avoir à enquiller les années d'études avec votre Dalloz greffé au bras. Et en beaucoup, beaucoup plus amusant. Style anime, personnages aux noms aussi improbables que leurs tics nerveux, ton léger sans oublier la tension, intrigues aux rebondissements abracadabrantesques et répliques punchy sont les marques d'Ace Attorney. Tous ces éléments se sont naturellement donnés rendez-vous ici, avec quelques variations que l'on retrouve d'un épisode à l'autre. En effet, entre les deux, aucune évolution côté mécaniques. On pourrait même dire que séparer Resolve d'Adventures n'était à l'origine pas très fair-play, tant les deux sont liés.
On remerciera donc l'éditeur d'Osaka d'avoir opté pour la réunion avec ce portage. Soulignons la qualité de celui-ci : la réalisation globale, qui fait la part belle à la 3D, a les mains propres. Elle met en valeur comme il se doit le travail artistique de Kazuya Nuri, très inspiré pour le character design. Les protagonistes cel shadés et les environnements ont fière allure, l'ambiance générale n'est coupable d'aucune faute majeure. D'aucuns diront que les mélodies composées ou réarrangées par Yasumasa Kitagawa n'ont rien de particulièrement mémorable. De notre côté, nous retiendrons quelques réussites. Notamment dans les thèmes londoniens, pour les amateurs d'accordéon, celui accompagnant un certain personnage japonais, très solennel, ou encore toutes celles liées à Herlock Sholmes, très allègres.
Le jeu est... un pied ?
Oui, c'est parfaitement orthographié, vous ne rêvez pas. Dans un jeu supervisé par un fan d'Edogawa Ranpo et Maurice Leblanc, on se retrouve à côtoyer Sherlock Holmes, avec le nom trouvé pour les aventures d'Arsène Lupin chez nous. Alors qu'au Japon... Bref, les droits, vous savez ce que c'est. La présence du détective à la pipe à nos côtés dans l'Angleterre Victorienne, localité principale des dix (cinq pour chaque jeu, mais en réalité le total monte à neuf, la toute dernière étant scindée en deux) affaires à résoudre, a quelque chose de chose de normal. Et de parfaitement divertissant. Outre les références nombreuses et parfois très subtiles à des oeuvres comme Le Ruban moucheté, Le Chien des Baskerville, Une étude en rouge, La Ligue des Rouquins, L'Homme à la lèvre tordue ou L'Aventure du Cercle Rouge, ou avec des noms bien connus des fans, il y a un rôle. Un très grand rôle.
Herlock Sholmes, c'est le personnage qui va par ses apparitions donne le coup de fouet qu'il faut aux enquêtes. Parce que son écriture, qui laisse croire à un parfait crétin, chose que sa très inventive colocataire et collaboratrice, la jeune Iris Wilson, n'a pas l'air de prendre en considération. Parce que sa gestuelle tordante. Parce qu'il cache bien son jeu. Mais aussi parce qu'il apporte un premier élément de gameplay réellement novateur pour la série.
Opération Déduction
Cela s'appelle la Danse de la Déduction. Ponctuellement, et avec des effets de mise en scène dynamiques jamais vus auparavant dans un Ace Attorney et une mélodie entraînante, Sholmes va partir dans une suite d'observations qui vont lui permettre de présenter une situation. Par exemple, le fait qu'un étrange individu est en fait un révolutionnaire russe et qu'il cache dans son dos l'arme d'un crime. Pour le joueur, qui devra se remettre des plans où l'accusé ne comprend pas ce qu'il lui arrive tandis que Sholmes virevolte en claquant des doigts, l'objectif sera d'observer et trouver la vérité. Il sera question de désigner les vrais points d'intérêt pour parvenir à une toute autre conclusion, qui elle fera avancer les investigations de façon dramatique. Ces segments sont assurément réussis, on peut néanmoins leur reprocher une certaine facilité, les options n'étant jamais très nombreuses.
D'ailleurs, on peut dire que l'intégralité de The Great Ace Attorney Chronicles n'oppose pas une résistance trop farouche. Si l'on bute, c'est qu'on n'a pas bien suivi. Ou par la faute de références culturelles ou d'un anglais (pas de VF, sorry) un peu complexe pour cause d'argot ou d'accent pas évident à l'écrit. Rares sont les moments où les connexions ne sont pas établies immédiatement, parce que les détails concernés ont pu être oubliés, car évoqués ou aperçus bien plus tôt. Les embûches viennent parfois du jeu lui-même : il arrive que vous scrutiez un objet et trouviez un point qui vous fera avancer un peu trop en amont. Et en le présentant, pourtant sûr de votre coup, prendrez un point de pénalité, sous les quolibets d'un procureur assez marquant. C'est qu'il faudra le manipuler à nouveau, un étrange reset ayant fait son office depuis. Rageant..
Ah non, pardon, le jeu est en marche
Les autres ajouts surviennent au tribunal, coeur de l'expérience Ace Attorney, mix entre une scène de théâtre et un stage de jeu de baston - les bruitages choc et gestes amples, répétés à l'envi de tous les acteurs marquant le caractère impactant d'une révélation, d'une objection ou d'un leurre déjoué. Sans point d'appui occulte, Ryunosuke et Susato, son assistante judiciaire, doivent composer avec deux autres éléments. D'abord, héritage de Professor Layton Vs Phoenix Wright, la multiplicité des témoins à la barre. Une pression sur une phrase peut enclencher une réaction chez un voisin, qu'il ne faudra pas laisser passer. Encore une fois, pas de problème particulier.
Avec les Examens de Synthèse, c'est une autre paire de manches. Présentant un système de jurés, qui vont faire pencher la Balance de la Justice du bon ou du mauvais côté pour votre client, The Great Ace Attorney Chronicles s'en remet un peu moins à du QCM. Selon vos connaissances et les pièces en votre possession, à vous de trouver deux avis contradictoires et divergents pour convaincre le jury dans son intégralité. Mentionnons que grâce à cette mécanique inédite, la dose de personnages secondaires complètement farfelus et aux mimiques férocement drôles explose. Ce qui a forcément un impact positif.
Rien n'est plus trompeur qu'un fait évident
Car si on peut toujours se dire que The Great Ace Attorney Chronicles tient trop du visual novel verbeux et qu'il ne fait pas autant cogiter qu'on l'espère, cela n'empêche pas les pérégrinations de Ryuonosuke de figurer dans le top de la série. Nous vous parlions de l'écriture plus haut : toutes les affaires, qu'elles soient liées ou non à ce que nous appellerons la grande intrigue, font montre d'un savoir-faire légendaire, avec un rythme excellent et des retournements de situations ahurissants. Naviguant entre l'ultra-fantaisiste bourré d'anachronismes et le sérieux, voire le tragique, teinté d'austérité scientifique, le voyage qui dure bien une soixantaine d'heures se termine dans un bouquet final complètement maboul qu'on ne risque pas d'oublier. On se penchera sur ses bonus, qui comprennent des artworks, un auditorium et surtout huit mini-épisodes (des saynètes apportant quelques compléments), avec un peu de nostalgie. Et en se demandant s'il ne faudrait pas que ça continue, au Japon, en Angleterre, ou même ailleurs, d'une manière ou d'une autre.