Republication de notre test import du 15 février 2019

Remplacement de Pierre Taki mis à part, la principale différence entre la version européenne du jeu et la version japonaise originale est la présence (pour la première fois depuis le tout premier Yakuza) de sous-titres en Français. Tirée des dialogues japonais originaux, cette traduction est de très bonne facture (ce qui n'est finalement pas surprenant vue la qualité du travail effectué en Anglais par l'équipe de localisation américaine des jeux japonais de SEGA) et permet de plonger véritablement dans le monde de Judgment. Et indirectement dans celui de Yakuza.

Romain Mahut


Ci-dessous une mise à jour de notre test import originel réalisé à l'époque à partir d'une version import japonaise fournie par notre partenaire nin-nin-game.com


Si vous vous attendiez à une expérience totalement inédite de la part du Ryu Ga Gotoku Studio, dans une toute nouvelle zone nippone et avec des phases de jeu révolutionnaires, autant le dire tout de suite : ce n'est pas vraiment ce que propose le nouveau titre de Toshihiro Nagoshi et compagnie. En effet, Judgment recycle en bonne partie la formule popularisée par ses aînés tout en changeant sensiblement de ton et en ajoutant de nouvelles mécaniques de gameplay. On y incarne un personnage à la troisième personne, dans Kamurochô (la fameuse réplique du célèbre quartier de Kabukichô à Shinjuku), où l'on prend part à diverses activités tout en étant au coeur d'une intrigue qui se résout souvent à coup de plots de signalisation dans les dents.

Je crois que nous avons affaire à un serial killer

Fini les magouilles de truand japonais, les tatouages de dragon et les chemises déboutonnées jusqu'en bas du torse. Dans Judgment on incarne Takayuki Yagami, un ex-avocat contraint d'abandonner la robe après qu'un de ses clients, tout juste innocenté (fait rarissime au Japon), a assassiné sa petite-amie. On le retrouve trois ans plus tard à la tête de sa propre agence de détective privé, qu'il gère avec son partenaire Kaito (une des stars du jeu), ancien yakuza, dans le quartier de Kamurochô.

Les deux compères survivent de petit boulot en petit boulot, jusqu'au jour où l'un de leurs contrats les envoie sur les traces d'un serial killer qui a le bon goût de collectionner les yeux de ses victimes. Leur traque à travers Kamurochô les mènera sur les plates-bandes des Yakuza, mais également sur celles d'un conglomérat pharmaceutique produisant un mystérieux médicament. Quel est le point commun entre les yakuzas, un tueur en série et une plaquette de Doliprane ? Réponse en jouant au jeu ! À noter au passage que Judgment procure un éclairage sur le fonctionnement pour le moins "particulier" du système judiciaire japonais qui, des suites de l'affaire Carlos Ghosn, peut se révéler particulièrement intéressant pour le public français.

Comptez une bonne quarantaine d'heures pour voir le dénouement de Judgment tout en flânant de temps en temps dans Shinjuku (pour finir le jeu à 100%, il faut ajouter plusieurs dizaines d'heures à ce total). Le titre est divisé en 13 chapitres mis en scène comme dans une série télévisée japonaise, conversations interminables et interjections inutiles incluses, ce qui n'a pas empêché mon amie japonaise de squatter le canapé pendant mes sessions de jeu et d'en suivre l'intrigue avec grand intérêt.

Tu viens "Judgment and Chill" à la maison ?

Là, vous vous dites qu'on n'en a absolument rien à faire de la manière dont mes amis passent leurs dimanche soirs, et en temps normal vous auriez raison ! Mais dans le cas de cette critique, cela a son importance. Le casting de Judgment est composé d'importants noms du star-system nippon, tels que Kenichi Takito (ou Pierre Taki dans la version japonaise originale). Takuya Yagami, le héros du jeu, est d'ailleurs interprété par nul autre que Takuya Kimura, ou "Kimutaku" pour les intimes : un chanteur, danseur, acteur et ancien membre du boys-band à succès SMAP. Imaginez que le héros principal du prochain GTA soit incarné par... Patrick Bruel ? Vous aurez une petite idée de l'impact de ce choix sur le sol japonais.

Judgment n'est pas à considérer uniquement comme un jeu, mais comme une série interactive. L'inspiration de séries judiciaires japonaises comme 99,9 (une sorte de Law & Order japonais) ou encore Law High se fait clairement ressentir. On retrouve en jeu le même casting de personnages secondaires (la collègue introvertie, froide à l'extérieure mais attentionnée, le partenaire prêt à faire les 400 coups, le méchant qui est très méchant...), avec les mêmes mises en situation tantôt sérieuses, tantôt grotesques, qui font le charme des dramas made in Japan ou dans les autres épisodes de Yakuza. On ne peut que s'incliner devant les efforts réalisés par les papas de Yakuza en ce sens. Lors de la rédaction de ce test, mes parties de Judgment avaient même remplacé les soirées Netflix dans mon foyer !

À noter au passage que, même si les puristes joueront avec les voix japonaises, Judgment propose en occident un doublage en Anglais, le premier depuis le doublage rempli de stars du premier Yakuza. Même si ce dernier a été réalisé avec soin, il s'adresse principalement au public anglophone qui n'aime pas lire des sous-titres. Les intonations et façons de parler en Japonais et en Anglais étant sensiblement différentes, l'expérience paraît clairement plus authentique et immersive avec les voix japonaises.

Kamurochô Comedy Club

Il faut tout de même noter que si Judgment reproduit avec brio les qualités d'un drama japonais, il en reprend également les défauts. Le jeu des acteurs est au niveau de ce à quoi nous a habitué la télévision japonaise, c'est-à-dire médiocre au mieux. Tous les personnages surjouent chacune de leur ligne de dialogues. Les scènes censées être émouvantes virent aisément au ridicule à cause du manque de subtilité des acteurs. On est loin des excellentes performances de Red Dead Redemption 2 ou de God of War, en ce sens.

Judgment est également beaucoup trop bavard pour son bien. Les échanges entre personnages ne semblent jamais se terminer, ce qui ralentit atrocement le rythme du scénario. On a l'impression de passer plus de temps assis à ressasser le passé avec les potos de Yagami qu'à réellement partir à la chasse d'un tueur en série, lors des premières heures de jeu. Heureusement, le rythme s'accélère dans la seconde partie et les plus patients d'entre vous seront récompensés par un chapitre final de haute volée !

La vallée dérangeante

Se balader dans Kamurochô est un vrai régal. Celles et ceux familiers avec le fameux quartier rouge de Shinjuku retrouveront rapidement leurs marques et seront sûrement épatés par la fidélité avec laquelle chaque recoin ou enseigne emblématique a été modélisé par le Ryu Ga Gotoku Studio... en partant du principe que vous n'avez pas joué aux jeux Yakuza sortis récemment. Si c'est le cas en revanche, il faut admettre que l'on se retrouve en terrain connu, même si des passages et commerces inédits ont été ajoutés. On aurait aimé pouvoir visiter des quartiers différents comme le proposait déjà Yakuza 6. Mais pour les nouveaux venus, et il va y en avoir grâce à la présence de sous-titres en Français, Judgment reste donc une vraie carte postale interactive. Des néons multicolores aux devantures des combinis, en passant par les restaurants à Udon qui pullulent dans les rues de Kamurochô, c'est à un spectacle de premier choix qu'auront droit vos yeux et vos oreilles !

Concernant les protagonistes principaux, un soin tout particulier a été apporté à leur modèle 3D et leur gestuelle. En revanche, le moteur maison du studio montre vite ses limites lors des zoom sur les visages. La mâchoire des personnages bouge encore de manière très mécanique, comme si nous avions affaire à des automates. Rien de bien méchant, mais suffisamment remarquable pour déclencher ce fameux phénomène d'uncanny valley, quand plus un avatar tente de ressembler à un humain et plus ses imperfections nous sautent aux yeux. Cela étant dit, il arrive malgré tout que les visages des personnages parviennent à être particulièrement expressifs dans certaines scènes. On pardonne par ailleurs très vite à Judgment ses petits ratés lorsque Yagami passe en mode attaque et matraque des malfrats à toute vitesse, façon Shaolin Soccer (la balle de foot en moins mais avec autant de classe).

Le King du Kung-Fu

Yagami n'est pas Kiryû. Alors que notre yakuza préféré était une masse dont chaque coup faisait trembler le sol de Shinjuku, Yagami est plus agile et préférera littéralement danser autour de ses assaillants en les rouant de coups jusqu'à ce qu'un trauma crânien s'ensuive. À la manière de ce qu'il était possible de faire dans Yakuza 0, le héros peut ici alterner à loisir entre deux postures de combat dérivées du kung-fu, la première (la posture du tigre) étant parfaite pour les affrontements en un-contre-un et la seconde (la posture de la grue) recommandée pour le contrôle de foules. Notre détective est également un adepte de parkour, ce qui lui permet d'effectuer des glissades, de prendre appui sur des murs ou carrément de grimper sur ses adversaires pour les achever d'une rapide mandale glissée ou d'une bonne patate aérienne des familles.

Les "Heat Actions", des finishs ravageurs à activer sous certaines conditions, sont bien évidemment de la partie. Bien que quelques animations aient été purement et simplement recyclées des précédents jeux du studio, les nouvelles séquences vous feront consécutivement crier de joie devant leur beauté, puis de douleur vu l'état dans lequel vous laisserez vos adversaires. Certaines actions se réalisent même à deux avec vos partenaires d'infortune contrôlés par l'IA pour deux fois plus de "badasserie" !

En parlant de l'IA, mon amie et spectatrice en parle le mieux : "pourquoi les méchants tournent-ils autour de toi sans t'attaquer ?". Je ne sais pas, très chère, mais c'est bien dommageable ! Yagami a déjà accès à une liste de coups et techniques qui lui permettent de tenir tête à plusieurs adversaires sans craindre de représailles, alors le fait que l'IA soit aussi passive retire tout sentiment de danger lors des phases de combat. Seuls certains boss capables de réduire votre jauge de vie avec un coup critique ajoute un peu de challenge aux affrontements, mais à part ça il est rare de se retrouver en difficulté (en Normal)... Mais il n'empêche que les joutes sont très agréables à l'oeil et que le système de combat a été retravaillé depuis Yakuza 6 et Kiwami afin de le rendre plus sophistiqué, aussi bien en termes de nombre de "Heat Actions" que de possibilités de combos. Et cela se ressent. Les amateurs de challenge ont tout de même intérêt à jouer en difficile d'entrée de jeu.

Détective privé à tout faire

Judgment ne serait pas un jeu Ryu Ga Gotoku Studio sans une longue liste de quêtes alternatives (qui prennent la forme de jobs de détective privé ou tout simplement de services rendus à la population de Kamurochô) et d'activités annexes. Et ça tombe bien : il y a à boire et à manger pour tout le monde !

En tant que détective privé, il vous sera souvent nécessaire de prendre discrètement des photos de suspects, de les suivre dans la rue sans vous faire repérer ou, au contraire, d'effectuer quelques courses-poursuites pour rattraper un vilain en fuite. Ces phases de jeu sont d'une fadeur assez étonnante pour un jeu signé Ryu Ga Gotoku Studio. Le gameplay de ces passages se veut très limité, les courses à pied n'étant par exemple qu'une succession de QTE, et elles ont le mauvais goût de durer une éternité. Mention spéciale pour les sections de filature qui peuvent prendre jusqu'à cinq minutes et qui, si pour une quelconque raison vous veniez à vous faire repérer, vous oblige à les recommencer dès le début !

Mais les phases d'enquête ne se limitent pas à des filatures ou des courses poursuites. Takayuki Yagami devra aussi faire preuve de ruse et d'inventivité pour s'introduire dans certains lieux et obtenir les informations dont il a besoin. S'il devra parfois revêtir des costumes plus ou moins grotesques pour ne pas se faire repérer, il devra aussi utiliser des outils pour s'introduire dans des lieux qui lui sont fermés (cela prend la forme de mini-jeux simples à comprendre).

Et pour ce qui est des phases d'enquête, le héros va également être amené à passer en revue des environnements pour trouver des indices (ou des chats...) et des preuves qui l'aideront dans sa progression. Il devra ensuite bien choisir ces preuves lors de phases de dialogues. Au cours de ces dernières, le joueur devra également sélectionner l'ordre des thèmes à aborder. Si les choix effectués sont les bons, alors il gagner de l'expérience en plus. Totalement inédites, ces séquences contribuent à différencier Judgment des Yakuza.

Plein de jeux dans le jeu

Pour le reste, ce n'est que du bon ! Ancien avocat oblige, on est amené à défendre certains clients de Yagami dans des passages à la Phoenix Wright particulièrement convaincants. Lorsqu'il n'est pas sur la trace du serial killer, Yagami peut aller se détendre en jouant à divers jeux comme les fléchettes, le baseball, les jeux de casino (japonais ou occidental), ou encore en dépensant quelques sous dans des bornes d'arcade avec une liste conséquente de jeux plus ou moins rétro (Virtua Fighter 5, Space Harrier, Fighting Vipers, Motor Raid, etc.). Et parmi ces derniers se trouvent une petite nouveauté : je vous conseille vivement de mettre vos petites mimines sur la borne de Kamuro of the Dead, une parodie du cultissime House of the Dead qui reprend des éléments de Yakuza : Dead Souls qui vaut le détour.

Qui dit 2019 dit forcément drone et réalité virtuelle. À un certain point du jeu, il sera possible de prendre part à des courses de drones à travers les buildings de Shinjuku, façon Wipeout sur fond d'eurodance (le drone sert également dans les phases d'enquête du jeu). Inutile donc indispensable.

La zone de réalité virtuelle, quant à elle, est un ersatz de Mario Party dans lequel on lance un dé et l'on enchaîne des mini-jeux ou des combats contre des tigres (et pourquoi pas ?) pour tenter d'arrondir les fins de mois difficiles. Malheureusement, il n'est plus possible de s'amuser dans un bar à hôtesse ou de pousser la chansonnette dans un karaoké, "Kimutaku" est apparemment un homme très timide, dommage. Malgré ces quelques retraits, les ajouts et le contenu global de Judgment évoqué ci-dessus font que ce dernier est, à l'instar de ses prédécesseurs, très généreux en contenu.