Rappelez-vous il y a 2 ans. On ne jurait que par des instruments postiches. Des batteries en caoutchouc, des guitares avec de gros boutons colorés... Tout le monde ressort son t-shirt Motorhead, et l'industrie du disque croit voir une lumière au bout du tunnel du téléchargement illégal.
Il y avait là, l'accomplissement d'un rêve, celui d'être une rockstar. Moi le premier, je m'y suis cru. Son à fond dans les oreilles, main sur le starpower, riff de Reptilia des Strokes. Des bonnes licences, Guitar Hero puis Rock Band, ont tout misé sur des tracklists foisonnantes, des gameplays bien huilés, et le scoring acharné. Pour peu que quelques amis possèdent deux bras aussi et un minimum le sens du rythme, il était même possible de jouer tous ensemble comme un "vrai" groupe. Bon il fallait quasiment autant de place que pour un "vrai" groupe justement, et le son produit ressemblait plus à une cacophonie de matières synthétiques martelées qu'à autre chose, mais quand même!
La poule aux oeufs d'or
En cinq ans d'existence, le marché du jeu musical en France pèse 60 millions d'euros, comparable aux revenus issus du téléchargement légal de musique. Pour Michaël Sportouch, directeur Europe d'Activation, la musique est redevenue sociale, après avoir été plongée dans l'individualisme des écouteurs autistes de l'iPod. En 2007, les ventes de morceaux cumulées entre Guitar Hero et Rock Band ont dépassé de 116 millions d'euros le chiffre atteint par toutes les plateformes de téléchargement légal, dont iTunes. Pour continuer dans les chiffres révélateurs de l'ampleur du phénomène, 1,6 milliards de dollars ont été amassés par Activision pour Guitar Hero 3. Rock Band et sa suite se sont écoulés à 10 millions de copies avec 28 millions de chansons téléchargées. Pour les artistes, paraître dans la tracklist d'un jeu musical devient même particulièrement valorisant pour l'image et favorable pour le porte-monnaie. Le morceau des vétérans Aerosmith qui figurait dans Guitar Hero III a connu un succès aussi considérable qu'inattendu. Entre les ventes numériques et physiques, le morceau a fait un bond de 136% la semaine de la sortie du jeu. Mieux encore, la version Aerosmith de Guitar Hero s'est plus vendue que n'importe lequel de leurs albums. L'industrie bascule. En un an, les développeurs qui devaient insister vis-à-vis des labels pour espérer obtenir un morceau pour leur jeu, ont été soudainement courtisés pour introduire des morceaux. Les managers appelaient les développeurs pour dire: "ce morceau serait excellent dans Guitar Hero parce qu'il y a ce solo super dur ou cette super mélodie."
Sortir de la crise du disque?
En terme de rémunération des artistes, les éditeurs proposent une partie fixe et des royalties, dépendant du nombre de téléchargements. Tommy Tallarico déclarait en 2008 : "les acteurs de la musique apprennent que les jeux vidéo sont la radio et le canal de distribution de l'industrie musicale du XXIeme siècle". Mais attention, le monde des requins n'est pas devenu celui des bisounours. Certaines majors refusent d'adhérer, d'autres investissent massivement. Edgar Bronfman, le CEO de Warner Music Group, a décidé de bouder les jeux musicaux parce qu'il estimait que la somme reversée aux acteurs de l'industrie musical était bien trop faible. Pour résoudre ce problème de tiroir caisse, le géant de l'industrie culturelle Vivendi décide de racheter en 2007 Activision Blizzard pour 12,8 milliards d'euros. Universal Music, qui possède le plus important catalogue au monde, et Activision, se retrouvent sous le même toit. Vivendi voit en cette opération une porte de sortie de la crise du disque et un moyen de créer un leader mondial du divertissement interactif. Viacom, géant des médias américain, possède lui aussi deux compagnies relativement complémentaires : Harmonix acheté pour 134 millions d'euros, responsable du développement de Rock Band, et MTV.
Le début de la fin
Les éditeurs ont succombé à la tentation de sortir des packs de chansons à profusion en DLC, et de mettre en vente des éditions spéciales de Guitar Hero, Rock Band et consorts avec le nom d'un groupe accolé derrière. Metallica, Green Day, AC/DC... Le joueur a vu là une pratique bassement mercantile plus qu'une véritable faveur aux fans (à par peut être l'édition Beatles de Rock Band très soignée). Des éditions spéciales des jeux voyaient le jour tous les six mois, et les revendeurs ne désemplissaient plus de ces cartons remplis d'instruments en plastique. L'addition commence à être salée : un investissement de base de plus d'une centaine d'euros auquel il faut consentir pour avoir le pack Guitar Hero + guitare en plastique. A cela, il faut ajouter d'éventuels DLC pour pouvoir se la donner sur les derniers morceaux de notre groupe fétiche.
L'intérêt du public pour ces interfaces plutôt lourdingues a péréclité rapidement. Succès éclair puis bide monumental. Le dernier né d'Activation, Guitar Hero : Warriors of Rock s'est vendu à moins de 261 000 unités aux USA. En comparaison avec les chiffres de vente de Guitar Hero III (plus de 15,5 millions d'exemplaires vendus à travers le monde), le soufflet est méchamment retombé. Activision décide de mettre fin aux sagas DJ Hero et Guitar Hero. Viacom revend Harmonix pour 50 dollars parce que le studio aurait perdu 300 millions de dollars les trois premiers trimestres 2010. Le studio licencie en février dernier 12 à 15% de ses effectifs, une trentaine de personnes. Les raisons de cette désaffection soudaine sont multiples : saturation totale du marché, multiplication d'accessoires, politique tarifaire de plus en plus dissuasive et opport(h)uniste, et DLC dont on ne voyait plus le bout de la facture. Les jeux musicaux n'ont pas sauvé l'industrie du disque, et les batteries factices ont été remisées à côté du vélo d'appartement. Il y a peu de temps, j'ai ressorti ma guitare en plastique poussiéreuse pour une petite partie, pas pour devenir une rockstar mais juste pour me rappeler le bon vieux temps. Comme si les jeux musicaux étaient déjà du retrogaming.