Sony doit, dès les annonces du 20, montrer une vision qui sache faire table rase du passé.
Officiellement, la conférence tant attendue du 20 février concerne "le futur de PlayStation". S'il ne fait aucun doute que ce futur passera par une nouvelle console dont nous découvrirons les premiers éléments, il paraît également évident que pour réussir, Sony n'a d'autre choix que de repenser entièrement et en profondeur son approche.
L'époque des consoles de salon traditionnelles est révolue. Et pour commencer, de tout ce qui sera (ou ne sera pas) annoncé le 20, il me paraît clair que la "boîte" elle-même, à tout le moins ce qu'elle contient, est ce qu'il y a de moins important.
Edito #66
Virage à 180 degrés
Si Sony aborde l'introduction de sa prochaine PlayStation comme celle de la PS3 à l'E3 2005, nous aurons du souci à nous faire au sujet de ce futur. A l'époque, tout était dans la continuité des 20 ou 30 dernières années du jeu vidéo console : un étalage de puissance, de démos techniques impressionnantes, et de promesses de révolution essentiellement visuelle. Des promesses vites épinglées comme exagérées, avec des vidéos maladroitement présentées comme réelles alors qu'il s'agissait d'images de synthèse plus destinées à faire rêver qu'à montrer objectivement ce que seraient les jeux PS3.
Mais cette époque où l'on débattait en long, en large et en travers du hardware de la boîte n'a plus lieu d'être. La bataille ne se joue plus là (si tant est qu'elle s'y soit jamais déroulée). Les insistantes rumeurs de specs techniques des futures consoles de Sony et Microsoft, plus ou moins validées par diverses sources issues du développement, le montrent déjà : les deux consoles semblent parties pour adopter une approche similaire, certes avec des variations significatives, mais reflétant clairement l'obligation de se rapprocher d'une architecture PC accessible et connue des développeurs, débarrassée des excentricités du CELL ou de la démesure de la génération précédente. Non, assurément, ce n'est pas sur ce terrain là que l'avenir PlayStation se joue. C'est partout ailleurs.
Orbis : englober, rassembler, cartographier
On le sait, le marché s'est terriblement fragmenté. De grandes leçons ont été écrites ces dernières années. Le graphisme et la puissance ne font pas tout ; il existe bien des manières de jouer ; si elles ne sont pas dans la boîte, ça n'a que peu de chance de marcher ; il ne s'agit plus de simples jeux, mais d'expériences variées ; les joueurs sont connectés ; on peut bien jouer sans (trop) payer ; etc.
Orbis, ce nom de code mystérieux de la PlayStation 4, renvoie bien entendu au symbole du cercle, du globe. C'est aussi l' "Orbis Terrarum", la carte du monde, ou plus exactement, du monde habité, chez les Romains. Avec tout ce qu'il comprend ; bref, tout ce qui fait que le monde du jeu vidéo, le monde des joueurs, éparpillé, peut être rassemblé au sein d'une approche globale qui saurait intégrer tout ce qui a été découvert et exploré jusqu'ici, et même plus. Et en gardant à l'esprit ces dix dernières années, cela représente, effectivement, un horizon nouveau.
Pour toucher tous les peuples, tous les territoires, tous les publics, tous les développeurs & éditeurs, Sony ne peut plus compter uniquement sur les bonnes vieilles ficelles de la technologie.
Comment jouer
Pour commencer, le premier territoire d'importance lorsqu'on quitte la familière boîte pour chercher une stratégie ailleurs, c'est la manette. A cet égard, les premières fuites montrent déjà que Sony semble avoir compris une chose : elle doit être le premier vecteur de rassemblement. La tradition des boutons et sticks, alliée au tactile en plein essor, et, apparemment, à l'intégration de l'accessoire PS Move. Tandis que Nintendo a prouvé qu'une nouvelle manière de jouer ne pouvait percer sans être fournie dans la boîte, Sony s'est essoufflé sur une approche d'accessoiriste qui déjà, dans les années 80, peinait à conquérir.
En revanche, l'utilisation des périphériques existants et si communément répandus que sont les smartphones, les tablettes, et, dans une moindre mesure les PS Vita, paraissent aussi relever de l'évidence. Être présent partout dans les quotidiens des consommateurs, qui seront amenés à suivre leurs jeux même lorsqu'ils sont loin de leur console, c'est encore quelque chose qui tombe sous le sens quand on voit des projets comme le tout récemment dévoilé Destiny de Bungie.
Nous verrons si cela se confirme le 20, mais il semble qu'enfin, le constructeur ait tiré des leçons de tout ceci. Mais ce n'est qu'une petite pièce du puzzle.
Pour quels prix jouer
Les autres pièces sont encore plus importantes : la distribution, les plates-formes connectées, les prix - pas ceux du hardware, mais ceux du software. iOS, Android, Steam, le web et surtout, bien entendu, le paradigme du free to play : tout a changé, et Sony devra incorporer tout cela à ses plans, ou devenir une victime du Darwinisme vidéoludique. Aujourd'hui, un développeur peut parvenir à conserver les droits sur sa création (traditionnellement cédés à l'éditeur), et toucher des millions de gens avec, sans dépenser des mille et des cent pour se faire distribuer. Il peut penser au PC, aux tablettes, aux mobiles, et proposer des expériences aussi simples et accessibles qu'Angry Birds ou aussi pointues et originales que FTL sans avoir à braver les complexités épuisantes des circuits des consoliers, et de leurs demandes de royalties. La lourdeur de l'économie traditionnelle du jeu console doit être détruite à la hache, et sans états d'âme. Car si les consoles, qui n'ont pas changé en 7 ans, ont l'air datées, leur modèle économique, lui, est devenu presque archaïque, en tout cas fossilisé.
Non pas qu'il n'y ait plus de marché pour les jeux traditionnels à 60 ou 70 euros ; ce modèle fonctionne toujours parfaitement pour certaines productions. Mais aucune console ne peut prétendre toucher un public global sans incorporer aujourd'hui toujours plus de gammes de prix, d'autres méthodes de distribution, du free to play, etc. Et ce, d'autant plus si les malheureuses rumeurs de blocage de l'occasion devaient se vérifier (ce que nous ne saurons certainement pas le 20 à mon avis, mais bel et bien le plus tard possible). Le mouvement initié par le crossbuy (acheter un jeu sur PS3 pour l'avoir sur Vita, et vice-versa), est un autre élément qui pourrait être généralisé à d'autres plates-formes et d'autres éditeurs (ça a déjà été fait notamment avec VALVe, d'ailleurs). Ce serait aussi un excellent levier pour tempérer également le problème de la transition depuis un parc PS3 déjà installé vers un nouveau à bâtir sur PS4. Si la technologie Gaikai peut être utilisée pour régler le problème de la rétrocompatibilité, elle peut surtout se transformer en argument massue si Sony propose aux joueurs d'importer gratuitement leur ludothèque déjà acquise sur PS3 et PS Vita, sans téléchargement, dès la PS4 sortie de sa boîte et branchée à l'écran.
Quoiqu'il arrive, la négociation du prix comme du modèle économique adopté par un développeur ou éditeur pour tel ou tel jeu doit avoir lieu avec le consommateur, et non le constructeur de la plate-forme. Déjà, le fait que Sony ne fasse pas payer le jeu en ligne est un avantage qui pourrait se révéler déterminant s'il est poursuivi avec intelligence. A cet égard, avec Sony Online Entertainment dans son giron, et la présence, quoique très limitée, d'une partie de Steam sur PS3 (via Portal 2), j'ai bon espoir que le géant sache déjà que cette plus grande ouverture et cette flexibilité accrue sont une nécessité.
Avec qui jouer
Si on ne devait retenir qu'un seul des tsunamis qui ont tout changé ces dernières années, ce serait peut-être celui du social tous azimuths. Je ne parle pas là des jeux Facebook, mais bien du partage, du rassemblement des joueurs, de la création des communautés et de l'intégration du jeu dans une culture populaire incessamment partagée.
Une fois encore, les rumeurs d'outils comme la possibilité d'enregistrer les 15 dernières minutes de jeu pour les partager sur des portails vidéo semblent montrer que Sony l'a compris. L'essor de TwitchTV, de l'e-sport, la création du Miiverse chez Nintendo ou la présence de ponts entre Facebook, Twitter, et les jeux sont autant de témoignages impossibles à ignorer : le jeu next-gen sera social ou ne sera pas. Là encore, le maître-mot reste sans doute l'ouverture. Au contraire de Nintendo qui reste assez auto-centré avec son Miiverse, en tout cas pour l'instant, Sony a tout intérêt à jouer une carte différente en ouvrant sa machine aux communautés et aux outils déjà existants, fussent-ils hors de son contrôle.
20 février 2013 : une nouvelle page s'écrit
On l'a déjà dit : dans quelques jours, Sony joue son avenir.
Mais aussi celui des autres, dans une certaine mesure. On l'a vu, il y a beaucoup à repenser, à intégrer, à développer, à revoir, à prévoir. Mais, bien entendu, il ne faut pas s'attendre à tout découvrir Mercredi à Minuit. On ne parlera probablement pas du prix de la machine ; de sa date de sortie ; de ses verrous DRM ; etc. Mais, fort probablement, des grandes lignes d'une vision qui sera déterminante.
On en attend beaucoup : on veut y voir des jeux, du design industriel d'excellence, des révolutions en devenir, des partenariats d'un nouveau genre. Mais même si Sony y joue le "futur de PlayStation", il y a bien peu de chances pour qu'il balance dès ce premier tour tout son tapis. La partie ne fait que commencer, il y a beaucoup, beaucoup, de jetons en jeu, et d'excellents joueurs autour de la table.
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