"Tout ça pour un dessin animé pour gamins..." C'est ce que m'a dit ma mère au téléphone alors que je lui parlais de la conférence de presse à laquelle j'avais assisté, au Royal Monceau, un hôtel prestigieux des Champs-Elysées. Un lieu où le tarif minimum d'une nuit correspond au prix d'achat d'un smartphone à la pomme dernière génération. Amuse-gueules très chics et jus de fruits exotiques nous attendent avant le début de la conférence à laquelle est également invité l'ambassadeur du Japon en France.
Je vérifie mon invitation, pensant m'être trompé d'événement, mais l'attaché de presse me confirme que je suis au bon endroit. J'ai très vite compris que je n'assistais pas au lancement d'un simple jeu vidéo, mais bel et bien au lancement de la nouvelle vague made-in-Japan qui s'apprête à déferler en Europe sur nos consoles, nos télévisions, nos smartphones, nos salles de cinéma, nos librairies et tout autre endroit où les Yo-Kai pourront être déclinés. Alors oui maman, tout ça pour un dessin animé. Mais laisse-moi t'expliquer les raisons d'un tel engouement car Yo-Kai Watch est bien plus qu'un simple dessin animé.
Sommaire
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Qu'est-ce que Yo-Kai Watch?
Commençons par l'histoire. Dans le jeu Yo-Kai Watch, on suit les aventures du jeune Nathan (ou de Katie au choix) qui se lance dans une chasse aux insectes avec ses amis pour un devoir de classe. Lors de sa recherche, il libère un esprit nommé Whisper emprisonné dans une capsule au milieu de la forêt. Pour le remercier, Whisper lui offre une montre magique, la Yo-kai Watch, qui lui permet de voir les Yo-kai autour de lui.
Les Yo-kai (il en existe un peu plus de 200) peuvent être assimilés à des Pokémon. Ce sont des créatures aux pouvoirs surnaturels capables de revêtir de nombreuses formes. Cependant, à l'inverse des Pokémon basés sur des animaux et des insectes, les Yo-kai puisent leurs origines dans la mythologie et le folklore japonais. Certains Yo-kai peuvent paraître familiers, à l'instar de Damona qui prend l'aspect d'un esprit féminin aux cheveux longs comme dans les films d'horreur japonais ou encore du Yo-kai renard à neuf queues nommé Kyubi qui rappellera de bons souvenirs aux fans de Naruto.
Dans l'univers de Yo-kai Watch, tous les petits tracas du quotidien sont le fait des Yo-kai. À l'inverse de Pokémon, les Yo-kai sont invisibles aux yeux des humains. Ils en profitent pour régulièrement leur jouer des tours. Une dispute éclate entre deux personnes? La faute d'un Yo-kai. La disparition d'une tablette de chocolat ? Encore un Yo-kai. Un petit creux dans l'après-midi ? Toujours un Yo-kai !
Ainsi, le but de Nathan est de se lier d'amitié avec les Yo-kai afin de les empêcher d'embêter les humains en accomplissant des quêtes pour eux ou en les combattants.
Yo-kai Watch est apparu pour la première fois au Japon en juillet 2013 avec le lancement du jeu-vidéo du même nom sur 3DS. Nouvelle licence du studio LEVEL-5, auteur de franchises à succès telles que Professeur Layton ou encore Inazuma Eleven, ce jeu de rôle pour enfants a été favorablement reçu par la critique et par le public. Le titre s'est vendu à 53 000 exemplaires dès sa première semaine de commercialisation au Japon, se hissant au top des ventes sur consoles portables. À la fin de l'année 2013, le titre s'était écoulé à 280 000 exemplaires.
Cependant, on ne peut pas encore parler de réussite fulgurante. Le jeu plaît mais les ventes ne cessent de diminuer après la sortie de celui-ci. Ce n'est que quelques mois plus tard avec la diffusion de la série animée sur les télévisions japonaises, le 8 janvier 2014 plus précisément, que le géant Yo-kai Watch va réellement se réveiller.
Yo-Kai Watch, une franchise calibrée pour le succès
Le lancement de la série animée a été un déclic incroyable pour la licence Yo-kai Watch. Diffusée sur TV Tokyo, chaîne nationale gratuite, cette série qui vise les enfants de 4 à 12 ans réussit dès son premier épisode à convertir toutes les têtes blondes du Japon à la cause Yo-kai Watch.
Très vite Jibanyan, Whisper et Keita (le nom du héros au Japon) deviennent les personnages préférés des petits japonais. Le succès de la série animée est tel que cela relance les ventes du jeu vidéo. Un mois après la diffusion du dessin animé, le jeu Yo-kai Watch passe de 280 000 copies vendues à plus de 500 000, quasiment le double des ventes réalisées en six mois atteintes en un seul. En avril 2014, le jeu dépasse le million d'unités vendues, confirmant l'efficacité de la stratégie mise en place par LEVEL-5.
Le 10 juillet 2014, la suite de Yo-kai Watch premier du nom est mise en vente sur 3DS. À l'instar des jeux vidéo Pokémon, Yo-kai Watch 2 est vendu en deux versions, Honke et Ganso, avec certains Yo-kai exclusifs à chacune des versions. Grâce au succès du précédent titre et surtout grâce à la série animée dont les épisodes continuent à être diffusés à la télévision, les deux versions se hissent directement à la tête des ventes de jeux-vidéo au Japon. Souhaitant ne pas s'arrêter en si bon chemin, LEVEL-5 sort une troisième version de Yo-kai Watch 2 (l'équivalent d'un Pokémon version jaune) pour accompagner la diffusion du premier film Yo-kai Watch au cinéma en décembre 2014.
C'est avec le deuxième épisode sur consoles portables que la stratégie cross-média se met réellement en place.
Après le succès du premier jeu vidéo et de l'animée, le phénomène Yo-kai Watch s'est complètement emparé de l'archipel Nippon et du quotidien des japonais. La gamme de jouets et de médaillons à collectionner mais également un programme de licensing extrêmement agressif ont permis à la licence de LEVEL-5 d'asseoir sa suprématie sur le Japon.
Le point commun entre une gourde, un vélo et une bouteille d'Orangina ?
Les Yo-kai sont littéralement partout au Japon. Tels les Pokémons en leur temps, il n'est pas possible de faire un pas sans y apercevoir un Yo-kai. Ainsi, les peluches, les vignettes, les trousses et autres fournitures scolaires ont toutes été redécorées aux couleurs des Yo-kai. Mais la déferlante ne s'arrête pas là, on trouve aussi des mouchoirs estampillés Yo-kai Watch, des gourdes, des shampoings, des pansements, des vélos et aussi de la nourriture, beaucoup de nourriture Yo-kai Watch. Principalement des snacks, des céréales ou des sodas.
Il est possible de vivre, de manger, de jouer et de s'habiller entièrement Yo-kai Watch. Chaque consommateur de ces goodies devient un support de publicité pour la franchise, à tel point qu'il est impossible de ne pas être confronté aux Yo-kai.
Que ce soit sur consoles, à la télévision, dans les cours de récréation, dans la rue ou sur internet, Yo-kai Watch est toujours présent pour convertir encore plus de fidèles à sa cause.
M'accorderiez-vous cette danse ?
La promotion du deuxième épisode de Yo-kai Watch sur 3DS est l'exemple le plus parlant de l'ampleur qu'a pu prendre la licence Yo-kai Watch au Japon. Dans la série animée chaque épisode se termine avec la chanson Yo-kai Taiso Dai-Ichi sur laquelle Nathan et ses amis dansent. La musique est entraînante, la chorégraphie suffisamment simple pour être effectuée par un enfant de 10 ans et ajoutez à cela le charme des Yo-kai et vous obtenez un hit musical.
La danse a été reprise par de nombreux groupes de pop-japonaise sur internet et régulièrement des vidéos d'idols reprenant cette danse dépassent le million de vues sur le Youtube japonais. C'est devenu une danse de ralliement entre fan de Yo-kai Watch.
Pour annoncer la sortie de Yo-kai Watch 2, LEVEL-5 a invité plusieurs centaines d'enfants et leurs parents pour danser aux côtés de leurs mascottes favorites sur la chanson des Yo-kai dans un quartier commercial japonais. Le résultat est impressionnant, il est rare de voir autant de personnes réunies pour danser sur une même musique, même pour une opération commerciale ! La vidéo a été vue plus de 4 millions de fois et prouve à quel point Yo-kai Watch est une licence fédératrice mais prouve surtout la capacité de LEVEL-5 a activé intelligemment les différents leviers médiatiques à sa disposition pour assurer le succès de sa franchise.
À l'heure où j'écris ces lignes :
- +110 épisodes de la série Yo-kai Watch ont été diffusés au Japon
- 2 films sont sortis au cinéma en à peine deux ans
- 10 millions de jeux vidéo ont été vendus
- 2 milliards d'euros générés en 20 mois par la vente des produits dérivés Yo-kai Watch
Pour l'anecdote, à sa sortie le film Star Wars VII s'est imposé à la première place en termes d'entrées vendues dans tous les Pays où il a été diffusé. Tous, sauf le Japon où le second film Yo-kai Watch, qui sortait au même moment sur l'archipel, a vendu 975 000 tickets contre 800 000 pour Star Wars VII. Même la Force ne peut rien contre les Yo-kai !
Yo-kai Watch ou la magie de la banalité
Beaucoup attribuent le succès de Yo-kai Watch aux nombreuses similarités qui existent avec la série Pokémon. Effectivement les deux séries partagent plusieurs caractéristiques en commun telles que la collecte de créatures aux pouvoirs naturels, leur répartition en types, les affrontements de monstres, le héros principal de 10 ans ou encore leurs mascottes mignonnes respectives... Les similitudes sont nombreuses et on les retrouve jusque dans les stratégies cross-média appliquées par les deux franchises.
Mais ce qui fait la force de Yo-kai Watch, ce n'est pas ses similarités avec Pokémon mais bel et bien ses différences.
Pokémon existe dans un monde fantastique où humains et Pokémon vivent en harmonie. Il n'existe pas de chats ou d'oiseaux, mais des Miaouss et des Roucoups qui peuplent les différents villages du monde de Sasha. D'ailleurs Sacha, jeune héros de 10 ans, a pour objectif de devenir le meilleur dresseur en remportant le titre de maître Pokémon et en attrapant tous les Pokémon qui peuplent Kanto. Rares sont les mères qui laisseraient leur jeune enfant, tout juste entré en CM2, voyager à travers le monde avec pour seul compagnon une souris jaune.
Heureusement pour nos maternelles, cette aventure épique pleine de rencontres extraordinaires et de combats spectaculaires, nous l'avions vécu derrière les écrans de nos télévisions et de nos Gameboy. Le monde fascinant de Pokémon ne peut qu'exister dans notre imaginaire. Nous avons rêvé pendant 20 ans de cet univers fantastique, Yo-kai Watch a décidé d'amener ce rêve dans notre réalité.
À l'inverse de Pokémon, Yo-kai Watch ne prend pas place dans un monde imaginaire mais dans un petit village japonais on ne peut plus ordinaire. Les Yo-kai sont invisibles et, bien qu'ils interagissent avec les humains, ces derniers ne les remarquent pas et vaquent à leurs occupations quotidiennes sans se douter de leur présence. Yo-kai Watch nous plonge dans un contexte familier, un monde concret auquel n'importe quel enfant peut s'identifier. Contrairement aux Pokémons, les Yo-kai sont censés exister tout autour de nous. La différence avec les monstres de poche, c'est que nous n'avons pas à les voir pour qu'ils existent, il suffit d'y croire pour que la magie opère.
Ainsi les Yo-kai sont des créatures qui, avec un peu d'imagination, apportent surprises et émerveillement dans le quotidien des humains, et c'est ce qui plaît aux enfants japonais. Il est amusant d'attribuer aux Yo-kai la cause de faits non-expliqués ou non-explicables, et tout de suite cela donne une nouvelle saveur à nos occupations quotidiennes.
Nathan, le héros de la série animée Yo-kai Watch, joue aussi un rôle extrêmement important pour connecter le monde des Yo-kai à celui des enfants qui regardent l'animée. À l'inverse de Sasha, Nathan n'est pas un enfant prodige, bien au contraire. Il n'est pas mauvais à l'école, mais il n'est pas particulièrement bon non plus. Il n'a pas de capacités particulières ou de traits spécifiques qui pourraient le rendre unique. De plus, lors de sa première rencontre avec les Yo-kai, il semble assez réticent à vouloir les aider plutôt qu'à se lancer dans une aventure à leurs côtés. En bref, Nathan est un jeune garçon de 10 ans on ne peut plus banal. Parce qu'il n'est pas exceptionnel, il est d'autant plus facile pour les enfants qui regardent la série animée de s'identifier à Nathan. Il n'est pas le héros de la série, mais un prisme à travers lequel les enfants vivent la découverte du monde des Yo-kai.
Une fois que Nathan récupère la Yo-kai Watch et découvre l'univers des Yo-kai, il ne se lance pas dans une quête à travers le monde pour tous les attraper. Au contraire, on le suit au quotidien avec ses amis ou à l'école à tenter de résoudre des problèmes qu'ont les enfants de son âge. Les sujets ne sont pas particulièrement excitants : des parents qui se disputent, une amie qui a faim, ou une photo disparue à retrouver... Mais la touche humoristique et espiègle qu'apportent les Yo-kai rend tout de suite le quotidien banal de Nathan très attachant aux yeux des enfants.
C'est le cadre ordinaire dans lequel se déroule Yo-kai Watch et la facilité qu'ont les enfants à se projeter dans cet univers qui ont fait, et font encore aujourd'hui, la force de cette licence.
Mais qu'en est-il pour l'occident, et plus précisément la France ? Je vous en parle dans la page suivante...