C'est avec un peu de retard et donc toutes mes excuses que nous publions aujourd'hui, comme promis, nos interviews avec Ken Levine, directeur créatif sur BioShock Infinite et tête pensante du studio Irrational Games, et de Drew Holmes, auteur sur le jeu.
Pour ceux qui l'auraient raté, notre article après 5 heures de jeu sur BioShock Infinite est toujours en ligne ! Excellente lecture à tous.
Sommaire
Gameblog : Est-ce que vous avez des règles de design ?
Ken Levine : Il y a certaines choses qui ont tendance à s'imposer. Il faut toujours être ouvert au changement, je me souviens par exemple qu'il y avait ce genre de choses à Looking Glass, des sortes de règles de design. Parfois quelqu'un les brise, et il apparaît que c'était une très bonne idée de les casser. Mais j'imagine qu'il y a par exemple ce que j'appellerais des "métarègles". Par exemple, parfois, un designer entre dans la pièce et lance : "le joueur va ressentir ça". Et c'est là qu'on arrête la conversation en général. Tout ce qu'on a, ce sont des pixels et du son.
On ne peut donc pas vraiment parler de ce que le joueur va ressentir. Tout ce dont on peut parler, c'est ce qu'on va lui montrer, et ce qu'on va se faire dérouler devant lui. Je crois qu'en tant que développeurs il est important qu'on réfléchisse en ces termes, parce qu'autrement, on utilise un langage dont on ne dispose pas vraiment. Ce qui peut aboutir à des situations où l'audience ne comprend pas vraiment ce que vous essayez de faire passer. C'est un des défis de nos jeux : communiquer. Parce qu'en général on ne coupe pas l'action pour montrer de longues cinématiques, alors il faut que les choses soient saisies très rapidement. Du coup l'espace visuel et l'espace sonore sont très importants pour nous parce que nous avons tant d'information à faire passer... et si on prend le début du jeu par exemple, on vous balance beaucoup d'information ! Ce qui pourrait créer certains "embouteillages". Par exemple faire attention à ce que les personnages ne parlent pas les uns par-dessus les autres... on doit s'assurer de laisser suffisamment de temps au cerveau du joueur pour digérer l'information, qu'il ne soit pas débordé. On ne peut pas balancer une tonne d'information et demander réalistiquement au joueur de tout absorber et comprendre.
Mais vous voulez tout de même, à l'évidence que le joueur ressente des choses...
Oui. Mais les outils de construction que vous avez pour leur faire ressentir quelque chose sont des sons, des visuels, et les vibrations de la manette. On veut qu'ils ressentent, mais comment leur faire ressentir quelque chose avec ces seuls outils ? Si vous avez un marteau et des clous et que vous n'avez pas de scie, ça vous dit quelque chose sur ce que vous pouvez faire avec. Mais certaines personnes peuvent faire des choses extraordinaires avec juste un marteau et des clous. C'est notre boulot : essayer de faire des choses extraordinaires avec les outils dont on dispose. Il ne faut pas prétendre avoir une scie quand on n'en a pas.
Je ne pense pas qu'il y ait de réponse ferme à cette question, mais est-ce que vous commencez par le gameplay ou est-ce que vous commencez par l'histoire ?
Celle-ci est plus difficile. Nous avions déjà des principes de gameplay forts : arme dans une main, une sorte de pouvoir dans l'autre, tout ça remonte à System Shock 2. C'est une sorte de technique que nous avons développée et qui fonctionne plutôt bien, je crois. Du coup, non, cette fois on a commencé avec le contexte, la période, et la ville flottante. On savait qu'on voulait un élément vertical dedans, on s'est intéressé au vol, aux jetpacks, ce genre de choses dingues. J'ai toujours été un fanatique de montagnes russes. C'est donc naturellement que j'étais orienté vers quelque chose comme les skylines. Elles ont présenté elles-mêmes leur propre ensemble de problèmes et de défis. Mais vous savez, tout se développe au fur et à mesure, même si elles (les skylines, ndlr) se sont manifestées plus ou moins par hasard. Elizabeth, alors qu'elle se développait narrativement, qu'elle devenait de plus en plus importante pour nous vis à vis de l'histoire, nous voulions également qu'elle deviennent de plus en plus importante du point de vue gameplay, parce qu'on ne veut pas se contenter de prétendre qu'elle existe, notamment en combat... Ok, elle pourrait s'occuper d'une ou deux déchirures, mais en dehors de cela, elle se contenterait de rester plantée là. Alors on a commencé à trouver tous ces autres moyens pour elle de s'exprimer. Pas simplement pour ajouter plus de fonctionnalités, parce que... en fait, je me suis mis à réfléchir à ce qui soude les relations entre les gens. Et pour moi, ce qui les soude, c'est qu'on s'aide les uns les autres. Votre pote est quelqu'un qui vous aide, de bien des manières, et cela forme un lien. Elizabeth est toujours avec vous, elle vous aide. Je crois que c'est une façon puissante de nouer une relation. On essaie ainsi de faire quelque chose de très difficile. On essaie de donner corps à cette fiction, et pas seulement entre vous et elle, mais aussi entre vous et le rôle de Booker. Il y a de nombreuses couches d'abstraction, qui ont finalement bien peu à voir avec la manière dont des relations normales se nouent. On a donc passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière dont les relations se forment...
... la plupart du temps c'est une question de temps.
Oui ! Et nous n'avons pas beaucoup de temps non plus, n'est-ce pas ? Ce n'est pas comme si vous rencontriez Liz, et que vous puissiez vous dire "on a qu'à se voir la semaine prochaine, prendre un café". Vous avancez à toute berzingue dès le départ ! Il a donc fallu s'assurer qu'il y avait une connexion plutôt rapide. Sans tomber dans la facilité en disant simplement "ces deux là s'apprécient", parce que c'est le joueur qui incarne Booker, donc la relation doit se nouer entre Elizabeth et le joueur.