Parmi les grands noms qui ont permis au jeu vidéo japonais de se tailler la part du lion dans les années 1990, impossible de ne pas avoir une pensée pour Yuji Naka. Surtout connu pour Sonic the Hedgehog, le quinquagénaire aura eu l'occasion de rouler sa bosse sur Phantasy Star, non sans parfois tenter quelques coups de pokers, en témoignent NiGHTS : Into Dreams, ou Let's Tap. Désormais acoquiné avec l'éditeur Square Enix, Naka revient. Mais cette fois, c'est la cata...
Les mélomanes sûrs ne le savent que trop bien : passées quelques décennies, certains artistes opèrent parfois un retour aux sources, délaissant temporairement la complexité qui les caractérisait pour mettre en lumière une simplicité perdue. Le résultat est parfois surprenant. Mais ce n'est pas un adjectif que l'on pourrait accoler à la nouvelle aventure que nous propose aujourd'hui la nouvelle recrue. Oh que non. Accrochez-vous, ça va piquer.
En piste les clowns
Derrière sa plastique colorée et son explosion de couleurs qui frise parfois la saturation, Balan Wonderworld cache pourtant une certaine noirceur, à tout le moins une ambivalence que l'on ne soupçonnerait pas de prime abord. Aux commandes d'Emma Cole ou de Leo Craig, deux chérubins socialement troublés, nous voici propulsés dans le Balan Theater, un lieu magique géré par un drôle de tenancier, l'éponyme Balan. Sans doute faut-il voir dans ce clown mi-chapeau mi-dreadlocks comme une ouverture, annonciatrice des troubles à venir, comme à l'opéra. Quand même les menus, pourtant simples comme bonjour, ne font pas preuve d'une grande ergonomie, on entend l'orage poindre au loin...
Aux côtés de ce Monsieur (Dé)Loyal, nos héros vont ainsi parcourir une douzaine de niveaux thématiques, à l'ancienne, pour venir en aide à autant de protagonistes, ici une plongeuse hospitalisée, là un amoureux transie mais peu sûr de lui... Les exemples ne manquent pas, et les cinématiques illustrant ces différentes problématiques font monter d'une plastique vraiment léchée, très appréciable, mais qui semble avoir englouti une bonne partie du budget.
More is less
Car une fois que l'on rentre dans le vif du sujet (d'aucuns diraient "le lard"), tout se complique. Très vite. Et beaucoup. Balan Wonderworld s'entend pourtant comme un platformer 3D ultra-classique, à base d'environnements fermés remplis de gemmes multicolores à collecter, tout comme les trophées Balan, qui servent à déverrouiller les chapitres suivants. Ce schéma scolaire s'articule également autour d'une mécanique de costumes variés, que l'on débloque au fur et à mesure, et qui proposent à chaque fois une particularité : planer quelques instants pour franchir des précipices, déclencher une attaque rodéo, activer des mécanismes...
Avec quelque 80 déguisements aux noms rigolos, il devrait y avoir de quoi faire. Sauf que la pratique s'avère bien différente de la théorie : chacun d'entre eux se limite généralement à UNE action unique, que l'on ne retrouve pas ailleurs. Ainsi, certains costumes offensifs ne permettent pas de... sauter. Oui, dans un jeu de plates-formes, tout à fait. Dès lors, il faudra sans cesse basculer de l'un à l'autre pour récolter les items de rigueur et défaire les ennemis un peu bidons qui peuplent ces décors aussi enfantins que colorés. Comme si Mario devait changer de casquette dès lors qu'il fallait donner un coup de poing ou effectuer un BLJ. On croit rêver.
Billy Hackerman and the Giant Egg
Il faut dire que le level design ne propose en sus aucune idée novatrice, se contentant d'enchaîner les poncifs avec une régularité si scolaire que l'on se demande qui pourrait être charmé par la proposition, à moins de mettre ici les mains sur son premier platformer 3D. Et encore. Balan Wonderworld réussit l'exploit de louper à peu près tout ce qu'il tente : entre la perte des costumes à chaque erreur, qui nécessite donc un backtracking immédiat, les mini-jeux inintéressants ou les phases Balan Battle qui semblent avoir estimé suffisant de sortir le grand jeu pour que le joueur se contente de presser un bouton au bon moment, comme pour arrêter un GIF. La coupe semble pleine. On en vient même à se dire que les QTE, c'est pas mal, en fait.
Et puis, on se reprend. Et on se demande pourquoi. Pourquoi faudrait-il parcourir ces douze chapitres scindés en trois actes, défaire des monstres à l'I.A. d'un autre âge, supporter des collisions hasardeuses et une technique somme toute faiblarde (même l'écran de chargement semble à la peine), alors qu'il y a tellement mieux ailleurs. Même les amateurs sadiques de jeux flingués auraient plutôt intérêt à se relancer dans le remake de XIII, c'est dire.
Être ou ne pas être...
Et alors que l'on repose la manette dans un soupir de soulagement, impossible de ne pas s'interroger : qu'a-t-il pu se passer pour que Balan Wonderworld sorte dans cet état ? Naka a-t-il du composer avec un budget si limité ? Fallait-il à tout prix sortir le jeu avant la fin de l'année fiscale ? Personne n'a-t-il cru bon de tirer le signal d'alarme avant qu'il ne soit trop tard ? Ou Naka a-t-il à ce point cru bien faire, et remiser sa clairvoyance au placard ? À moins d'être dans le secret des dieux, impossible de trancher. Néanmoins, un constat s'impose : à moins de vouloir troller sa progéniture et profiter de ce 1er avril pour se donner bonne conscience, il semble bien difficile de trouver une bonne raison de se lancer dans ce partenariat d'un nouveau genre, qui nous donnerait presque envie de voir Naka raccrocher les gants (blancs), au moins pour l'honneur. Triste.