Sorti de terre en 2014, Shovel Knight est devenu le héraut d'un style, celui mélangeant une esthétique et des principes rétro à des paradigmes résolument modernes. Lorsque son studio se joint à un projet extérieur, et que celui-ci lorgne les "jeux de ninja" qui ont fait les beaux jours de l'arcade et des consoles 8/16 bits, on pourrait se dire qu'il n'y a pas de question à se poser. En réalité, Cyber Shadow en place une très sérieuse : êtes-vous réellement prêt(e) à faire un bond de 30 ans en arrière ?
C'est exactement là où veut vous emmener Aarne "Mekaskull" Hunziker, seul développeur, sous la bannière Mechanical Head Games, d'un Cyber Shadow rétro jusqu'au bout des orteils et sévère comme pas deux. À cette époque où se procurer un jeu vidéo était un contrat, un voyage sans retour, où une difficulté que l'on estimait arbitraire ne pouvait en aucun constituer un frein à cette nécessité impérieuse de retourner de fond en comble cette fichue cartouche de Mega Man, Ghosts'n' Goblins ou encore Teenage Mutant Hero Turtles achetée avec un argent de poche durement gagné. L'esthétique façon NES n'est que la face visible et plaisante d'un iceberg compliqué à éviter, qui cherche à tout prix à faire chavirer vos nerfs et couler votre amour-propre.
Il est ninja 9 heures ?
C'est d'abord à une fessée que s'apparente Cyber Shadow. Le héros, seul rescapé de son clan ninja, en croisade contre le Dr. Progen et son armée de robots ayant pris possession des ruines de Meka City, n'a pour ainsi dire rien d'un maître shinobi. Pour le premier des onze stages qu'il a à parcourir, il se contente de bondir et donner un coup de lame devant lui. C'est simple. C'est sec. Juste deux petites touches en plus de la croix directionnelle et une barre de vie réduite qui donne l'impression de hurler qu'il ne faut surtout pas se faire toucher, surtout pas par des piques et autres sols électrifiés la vidant instantanément.
On pourrait croire la petite note de modernité, la fluidité de l'action, inattaquable, ainsi que la vitesse d'exécution, à l'avantage du héros. Mais dans cet action-platformer 2D old school, sans échauffement, on se retrouve facilement pris de court par des ennemis surgis de nulle part, des projectiles qui envahissent l'écran et des pièges prenant de nouvelles formes alors que les espaces pour poser un peton se font de plus en plus rares. Les enfilades d'écrans se revisitent à de nombreuses reprises pour un réflexe tardif, une mauvaise lecture, une erreur de trajectoire menant à la collision provoquant un léger recul et donc une chute fatale. On réalise en quelques minutes que parvenir à un checkpoint salvateur, octroyant grâce à une monnaie récupérée sur les ennemis vaincus et des éléments destructibles de quoi se restaurer ou obtenir une arme satellite très fragile, relève du parcours du combattant.
Descente en puissance
Notre guerrier du futur va peu à peu se renforcer, faire grimper son capital santé et surtout obtenir des capacités le rendant plus redoutable - certaines piochant dans une jauge d'esprit. Grâce au lancer de shuriken, à la charge au sol, la glissade sur les murs, le double saut, ou encore la parade et le sprint, les affaires devraient s'arranger. Les possibilités s'étoffent, les moyens d'explorer, pour découvrir parfois des zones astucieusement cachées, deviennent plus nombreux. Mais le level design surchauffe et tout ce qui peut parasiter vos déplacements finit inévitablement par rendre vos mains moites. Ce qui n'est pas très amusant quand la précision est requise pour bien placer une attaque projetée, véritable don du ciel pour qui veut traverser un écran avec classe et efficacité, ou renvoyer une boulette qui tue à l'envoyeur.
Cyber Shadow veut votre trépas - et Dieu merci, si on le trouvera déloyal dans le placement de certains points de passage, au moins a-t-il accepté de céder aux sirènes des vies infinies. Il ne s'en cache pas. La rareté des soins en cours de route en atteste. Il en est fier. Tellement que, à partir de la moitié de l'aventure, si ce n'est pas avant, son manque de souplesse et d'indulgence va devenir un moyen de faire la sélection, de savoir si la frustration avec laquelle il flirte librement peut devenir le carburant de votre obstination. Vous avez gagné en résistance et en puissance et avez en tête de finir tous les environnements à 100% (ce qui devrait vous prendre une bonne quinzaine d'heures) ? Si vous ne maîtrisez pas vos compétences, c'est cuit. Tel un instructeur commando marine, il vous fera répéter encore et encore jusqu'à la perfection dans l'exécution. Les fantômes de Ninja Gaiden et Blue Shadow surgissent régulièrement pour vous murmurer que rien d'autre n'est autorisé et qu'avec des commandes répondant aussi bien, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même.
Obsolète mais stylé
On peut le dire, bien que faire entrer toute les manipulations au chausse-pied dans une configuration de manette NES puisse embrouiller (n'hésitez pas à remapper) et que l'on s'étonne de quelques doubles sauts qui s'oublient ou d'une visibilité réduite par endroits, le challenge en vaut largement la peine. La branlée que finit par nous infliger Cyber Shadow, surtout dans ses trois derniers niveaux, démoniaques, devient source de motivation. Vous claquez des dizaines de fois pour un détail, mais savez qu'il n'y a rien d'injuste. La composante die and retry nous fait toujours progresser. Comme un défi dont on peut se détourner le temps de se calmer mais auquel on doit, pour soi-même, pour sa famille, ses amis, sa patrie ou n'importe quelle cause, absolument faire face. La persévérance, pour découvrir de nouveaux moyens de torture, bastonner d'autres boss aussi bien pensés, profiter d'une esthétique impeccable et de compositions chiptune, signées Enrique Martin, entraînantes. Comprendre l'histoire de cette odyssée futuriste qui se prend un peu trop au sérieux pour un résultat pas très convaincant malgré les efforts déployés ? Peut-être pas. Mais c'était ce que vous reteniez des jeux d'il y a 30 ans ?