Tout va pour le mieux en ce bel été de 1985 : le soleil brille, les oiseaux chantent, et alors que les Français se trémoussent sur le nom d'une célèbre discothèque popularisé par Jean Pierre Mader, l'éditeur Capcom s'apprête à lancer aux joueurs du monde entier un défi de taille, peut-être le plus grand jusqu'alors. Son nom ? Makaimura, plus connu dans cette partie du monde sous le nom de Ghosts 'n Goblins.
L'aventure hardcore comme le Nord qui met en scène le légendaire roi Arthur volant au secours de sa dulcinée connaîtra, succès oblige, un certain nombre de suites et de spin-offs (parmi lesquels l'injustement méconnu Demon's Crest), qui rappellent à quel point les développeurs basés à Osaka ont su faire preuve d'un talent insolent. Pourtant, depuis un Ultimate Ghosts 'n Goblins sorti en 2006 sur PSP, le plus hardcore des jeux d'action semblait avoir quitté le trône. Jusqu'à aujourd'hui.
Rise from your grave
Si rien n'indique qu'Arthur fera son retour tant attendu sur grand écran cette année (on espère quand même, hein, faut pas déconner), les joueurs pourront enfin célébrer le retour du plus célèbre des caleçons, et du héros qui l'habille, avec l'arrivée de Ghosts 'n Goblins Resurrection, annoncé sans crier gare durant la cérémonie des Game Awards. Mais plus de 35 ans après la naissance de la série, la recette old school peut-elle encore fonctionner ? Rassurons d'emblée ceux qui auraient vu dans l'arrivée du jeu sur Switch un gage de relative clémence, voire de laxisme : il n'en est rien. Mais genre, rien du tout.
En l'espace de quelques secondes, Guenièvre est ainsi kidnappée, contraignant un Arthur en sous-vêtement à changer ses plans, en restant sur la thématique de la dureté. Dès les premiers instants, le respect de l'univers est total, et l'étonnant choix du RE Engine, d'ordinaire privilégie par les survival horror recyclés, fait des merveilles : chaque sprite et élément du décor semble avoir fait preuve d'un vrai travail d'adaptation, et les nombreux mobs et boss bien connus des joueurs brillent autant que les nouveaux venus. Grâce à une direction artistique étonnante et tranchée, gérée de main de maître par Uichiro Murata, récemment crédité dans Resident Evil 3, Capcom trouve un équilibre très plaisant, qui évite le piège éculé des polygones en 3D placardés sur un axe pour singer une impression de rétro. On en redemande. Ca tombe bien, il y a de quoi (Luci)faire...
Il meurt, un peu, beaucoup...
Après avoir choisi un niveau de difficulté parmi les quatre proposés, Ghosts 'n Goblins Resurrection propose de sélectionner sa route, et de découvrir l'ampleur de la tâche. Peu importe au final le parcours en question, puisque la demi-douzaine de niveaux seront tous au final jouables à l'envi. Non, désormais, le plus important est de sur-vi-vre. Malgré une offre clémente en matière de points de vie, la tâche est, quitte à aller piocher dans un autre panthéon, herculéenne. Les flammes qui accompagnent chaque catégorie sont d'ailleurs là pour le rappeler : si le classique Paladin où deux touches suffisent à trépasser sonne comme le défi ultime, chaque niveau vient ajouter un point de vie supplémentaire à Arthur, jusqu'au mode Laquais et son respawn infini qui assurera aux moins téméraires une progression constante, mais peu glorieuse.
Car à peine le thème iconique du premier niveau a-t-il commencé que l'Enfer s'ouvre sous vos pieds, alors que les ennemis surgissent de partout, foncent sur votre fragile armure de la plus fourbe des façons, et ne pardonnent pas le moindre écart. Au sol ou dans les airs, les safe spots sont rares, et il faut avoir des yeux partout pour espérer rester en vie... À moins d'essayer le nouveau mode coop', qui permet à un second joueur de graviter entre Barry le protecteur, Kerry l'assist et Archie le (salutaire) bâtisseur de plateformes. Il n'en reste pas moins que si Hidetaka Miyazaki a su (re)définir le terme hardcore à travers une palanquée d'action-RPG impitoyables, Capcom nous rappelle qu'en matière d'action 2D hardcore, la barre était déjà très, très haute.
Qu'est-ce qui est petit et marron ?
C'est que Ghosts 'n Goblins Resurrection se donne bien du mal pour troller le joueur dès que l'occasion se présente : entre les modifications de terrain, les affaissements, les branches qui cassent, ou les zones d'ombres, tout est fait pour entraver votre progression. Tout. Il n'y a donc pas d'autre choix que d'apprendre à l'ancienne, à la dure donc, les moindres pièges de cette aventure pleine à craquer. Quel dommage cependant que certaines des mécaniques ne soient pas plus explicitées, à l'instar des checkpoints de deux types, rouge et bleu, qui facilitent la progression mais ne fonctionnent pas toujours si l'on passe par un menu pour recommencer, plutôt de que mourir dignement in-game. Au vu du nombre de retry, Capcom aurait pu nous économiser cette peine, surtout qu'un message d'encouragement n'hésite parfois pas à nous rappeler que l'on était si près du remporter ce fichu combat de boss. C'est ce qui s'appelle remuer le couteau dans la play.
En plus de ces marqueurs destinés à rendre la tâche moins inconcevable, les joueurs peuvent compter sur un arsenal fidèle à la série, mais qui prend lui aussi un malin plaisir à se mettre sur votre chemin, et à modifier votre arme principale au pire moment. On imagine alors que, quelque part dans un bureau d'Osaka, un designer s'esclaffe grassement. Les moins patients auront depuis belle lurette lâché l'affaire. Mais 2021 oblige, un tout nouvel arbre de compétences vient offrir une bonne raison de partir à la chasse aux fées : accessible dans le menu principal, l'arbre de Brocéliande offre une panoplie de bonus bien pratiques, des attaques magiques déjà bien connues aux nouveaux slots d'armes, il y a de quoi faire, et leur effet cumulatif offre à lui seul une bonne raison de retourner au front, même si, au bout du compte, c'est la mort qui nous attend. On vous a dit que le jeu était VRAIMENT dur ?
Sacré Professeur F, tu es un farceur
Entre des boss gavés de points de vie, des mécanismes d'un sadisme pur, la gestion si particulière du scrolling (oui, même en 2021, les ennemis peuvent ressurgir du bord de l'écran, et ne pas prendre de dégâts par-dessus le marché) et un saut rigide qui ne facilite pas la tâche, il y aurait de quoi renoncer. Et pourtant, Ghosts 'n Goblins Resurrection happe le joueur, le renforce, le fortifie mentalement, et après quelques heures de persévérance (et un peu de par coeur), tenter le mode Paladin n'a finalement plus l'air d'être une si mauvaise idée. C'est que l'aventure est plus riche qu'il n'y parait : en plus des orbes et des fées à récolter dans les différents niveaux du jeu, la défaite du boss de fin n'est évidemment qu'un leurre, puisque dans la longue tradition de la série, tout est à refaire.
Mais n'allez pas croire que la boucle se veut aussi sèche qu'en 1985 : malgré le retour en grâce de Tokuro Fujiwara, illustre réalisateur de la série qui rappelle durant le staff roll les pratiques des années 1980, le second run réhausse encore la barre (c'est possible) en masquant largement la visibilité du joueur, et ainsi faire relativiser sur ce que l'on pensait il y a quelques heures encore impossible. C'est sans doute là que Ghosts 'n Goblins Resurrection excelle : en poussant le joueur à faire preuve d'une attention constante, à anticiper plusieurs trajectoires simultanées et à offrir au final l'incomparable satisfaction d'avoir puisé dans ses tripes pour élever son niveau de jeu, il oblige à l'humilité. Rien que ça. Chapeau Heaume bas.