Voilà maintenant des décennies que le jeu vidéo nous emmène à la découverte de planètes surprenantes, généralement synonymes de conquête spatiale et de combats menés à grands coups de blasters. Mais au milieu de cette guerre des étoiles et de ses effets pyrotechniques, n'aurait-on pas oublier de... s'aimer ?
Nouvelle et étonnante proposition des Français de The Game Bakers, quatre ans après le très énervé Furi, Haven nous emmène donc loin, très loin d'ici, à la rencontre de Yu et Kai, deux tourtereaux bien obligés de vivre d'amour et d'un peu d'eau fraîche depuis le crash de leur vaisseau sur une planète relativement hospitalière.
Yu, Kay, tout les lie
Au moment où le joueur pénètre dans leur intimité, cela fait déjà un mois que le jeune couple (ou le couple de jeunes) s'est posé en catastrophe sur Source, une planète relativement clémente, qui offre en plus de son air pur, une terre nourricière. Et comme pour attester de la place centrale qu'occupera leur relation dans cette odyssée spatiale, c'est en pleine argumentation culinaire que le rideau s'ouvre, alors que Yu se languit à voix haute de l'extrême redondance de la cuisine locale.
Avec Haven, The Game Bakers semble avoir avant tout dépeindre l'émouvante simplicité du quotidien d'un binôme qui s'aime, pleinement, et met ainsi un point d'honneur à laisser toute sa place à cette romance perdue dans l'espace. Les dialogues, d'abord plaisants avant de devenir bien trop nombreux, permettent de saisir quelques instants d'amour fugace, de réflexions bien senties, entre appels du pied à la débauche en tous lieux et reproches légitimes face à celui ou celle qui prend tout son temps sous la douche. Quel dommage que leur qualité s'efface progressivement, au fur et à mesure que l'aventure ne cesse de dérouler des discussions que l'on zappera de plus en plus, pour se recentrer sur le seul scénario. Passé quelques heures de jeu, l'intrigue se complexifie, et dévoile un contexte assez orwellien qui interpelle, et donne envie d'en démêler les fils Il faut dire qu'en dehors de leur Nid (le nom qui sied si bien à leur carlingue d'outre-galaxie), Yu et Kai doivent composer avec Source, un caillou qui fait tout de même preuve d'une relative inhospitalité. Et malgré la dimension ô combien biblique (et donc incestueuse à terme) de cette idylle, les amoureux espèrent ne pas avoir à jouer trop longtemps les Robinson Cruosé.
J'ai descendu dans mon jardin
Cela tombe bien : la surface morcelée de leur terrain de jeu psychédélique regorge de fruits à cueillir, et surtout de matériau à récupérer, afin de réparer leur Nid d'amour, et de vivre pleinement ce dernier, ,sans entraves. Haven prend dès lors des airs de jeu d'exploration à l'accent rôliste assumé, et où la gestion de survie complique vite la tâche. Que l'on incarne indifféremment l'un ou l'autre des tourtereaux, il faudra donc partir à l'aventure et ratisser les différentes zones de Source avant de passer la nuit à couvert, dans le meilleur des cas. Entre les graines à récupérer pour faire durablement pousser des plans, les ingrédients indispensables à la réalisation de plats ou d'objets de soin, il y a de quoi faire. À vrai dire, il y a même trop d'éléments à récolter : malgré un ratissage des zones en règle, la progression réclame encore et toujours plus de loot, puisque l'aventure n'entend faire aucun cadeau aux joueurs, aussi enamourés soient-ils.
Lointain héritier des jeux de glisse de l'ère 128 bits, Haven propose d'explorer son univers grâce à des bottes bien pratiques, qui donnent la sensation de glisser sur la surface, ce qui demande évidemment un petit temps d'adaptation. Il faut dire que les collisions permissives ne sont pas toujours parfaites, mais un virage bien serré ou un demi-tour facile à placer permet de rééquilibrer l'ensemble. Mais pour profiter de ce état de grâce, il faudra penser à recharger ses bottes de sept lieues via des ondes, ces flux qui permettent également d'atteindre les hauteurs, et de nettoyer la rouille à la façon d'une Amaterasu bicéphale. Mais il faudra d'abord se passer d'une indispensable carte, ce qui complexifie largement l'exercice, dans la mesure où les zones du jeu se ressemblent trop pour permettre de s'orienter naturellement. Il n'est d'ailleurs pas rare de passer plusieurs minutes à simplement chercher l'onde qui permettra d'atteindre la zone suivante. On erre, en attendant un coup de chance qui n'arrive que trop tard, et l'on se demande rapidement pourquoi le jeu s'évertue à nous compliquer la moindre tâche, aussi essentielle soit-elle.
Tu sais pas lire une carte !
Heureusement, ladite carte tant attendue arrive, et il devient dès plus lors plus facile de nettoyer chaque environnement. La surface de cette petite planète est en effet jonchée de rouille, une ressource supplémentaire destinée aux réparations du Nid, qui témoigne également de la présence d'ennemis. Et donc, de combats. Entre deux rides à jouer les nettoyeurs de l'espace, il faut en effet pacifier la faune locale, et non la massacrer. Soucieux de porter un discours émancipateur à différents niveaux (et avec pas mal de réussite), Haven a la bonne idée de se montrer pacifiste : les créatures rencontrées ne sont pas méchantes par essence, simplement guidées par la rouille dont il faut les débarrasser. Une bonne idée sur le papier, qui montre malheureusement ses limites.
The Game Bakers a tout de même su faire preuve d'originalité : chaque tourtereau dispose (au départ) de quatre actions : attaquer au corps-à-corps (Impact) à distance (Blast), se protéger (Bouclier) ou pacifier les pauvres petites bêtes sans défense. Mais parce que l'individu n'est décidément pas soluble dans le couple, Yu et Kai se gèrent indépendamment : la croix directionnelle pour lui, les boutons de façade pour elle. Pour espérer triompher, il faut donc s'habituer à un peu de gymnastique intellectuelle, puisque chaque action doit être maintenue puis relâchée pour être validée. Indépendamment, cela va de soi. Pour que Yu se protège pendant que Kai distribue des pains, il faut donc appuyer puis relâcher la flèche du bas, et faire de même avec un timing parfois différent avec carré. La trouvaille est fort sympathique, mais pas sans revers, puisqu'il est tout simplement impossible de choisir sa cible, quand bien même chaque créature aurait ses propres points faibles. L'exercice devient alors frustrant, d'autant plus que les affrontements se ressemblent beaucoup trop pour donner le sentiment de véritablement progresser. Que l'on profite ou non de quelques étourdissements, tous les adversaires sont au final sensibles à l'une ou l'autre attaque, et c'est à peu près tout. La possibilité de combiner les deux attaques apportent un petit plus, mais la simplicité des mécaniques ne résiste que trop peu à la redondance des combats.
Nid de Chine, Nid caline...
Pour s'en débarrasser, il faudra nettoyer à fond chaque zone prise individuellement. C'est long, car la carte ne cesse de s'étendre, et les conditions qui encadrent le déplacement rapide ne poussent à l'utiliser qu'avec parcimonie : il faut ainsi retrouver son chemin avant de pouvoir progresser à nouveau. Quelques éléments environnementaux tentent de changer un peu la donne, mais l'impression de traverser des zones similaires demeure. On se surprend alors à préférer l'esquive à l'affrontement, d'autant plus que Haven prend un plaisir quasi-sadique à monnayer le moindre item. Une fois de retour au Nid, Yu et Kai peuvent, avant de se désaper pour une main effleurée ou un sous-entendu tarabiscoté, fabriquer de onguents de soin et autres objets offensifs, pour peu qu'ils aient sagement récolté des ressources dans la journée. Les rôlistes objecteront qu'il n'y a alors plus qu'à se remonter les manches et à faire grimper plus vite que ça le niveau de son équipe, mais là encore, tout n'est pas si facile.
Le moindre objet curatif devra donc s'utiliser avec parcimonie, sans parler des rares items permettant de cibler plusieurs ennemis à la fois, bien trop coûteux pour devenir une fois crédible en combat. Et puisque la faim semble ne pas avoir beaucoup d'impact au final, on encaisse, et on croise les doigts pour que nos amoureux survivent tant bien que mal. Dans son étonnante envie de ne jamais rien expliciter, on découvrira avec surprise que le seul moyen de déplacement rapide demande lui aussi de consommer des plats, mais encore faut-il qu'il se débloque, sans crier gare, plusieurs jours après l'avoir "découvert".
À deux, c'est mieux ?
Au final, la seule raison qui nous pousse à continuer reste de tirer le fil d'un scénario plutôt accrocheur, quand il ne s'attarde pas sur une foultitude de détails souvent insignifiants. Car les aventures de Yu et Kai abordent avec pas mal de justesse de vrais enjeux : le consentement, l'auto-détermination, l'aspiration à la liberté, le rejet du dogme, et la primauté de l'amour sur tout le reste. Ça, et la bande-son électro-planante de Danger, qui fait mouche, et offre une bouée de sauvetage à l'exploration cryptique de cet univers où tout finit inlassablement par se ressembler. Précisons que les restrictions actuellement en place ne nous auront malheureusement pas permis d'essayer le jeu coopératif, mais on se demande comment il pourrait d'un coup régler les problèmes récurrents qui empêchent au final de prendre son pied.
Comme lors d'un rendez-vous prometteur sur l'appli mais décevant en terrasse d'un café, on se presse, on trace, avec pour seul objectif d'arriver au bout, de conclure, et de passer à autre chose. D'aucuns diraient qu'il s'agit là d'une histoire sans lendemain, et ils n'auraient sans doute pas tort.