En 1986, après avoir oeuvré avec succès sur un jeu de Tennis et une série d'enquêtes policières textuelle, un certain Yuji Horii décidait de synthétiser ses influences issues des jeux de rôle occidentaux de l'époque (Wizardry et Ultima en tête) pour créer sa propre vision du genre, sobrement baptisé Dragon Quest. Le reste fait partie de l'histoire.
Quelques décennies plus tard, alors que l'Édition Ultime de Dragon Quest XI sortie sur Switch vient dresser un pont arc-en-ciel entre les générations, en jeu comme dans la vraie vie, Square Enix décide qu'il est enfin temps de profiter d'un début d'idylle avec le public occidental pour refourguer à ce derniers une compilation en bonne et due forme des trois premiers volets, toujours chers aux coeurs des joueurs japonais.
Le gagnant du Roto
C'est donc la trilogie que l'on appelle Roto au Japon et Eldrick de l'autre côté de l'Atlantique qui débarque pour la première fois sur consoles en Europe : depuis la sortie du premier jeu en 1986, les joueurs du Vieux Continent n'avaient d'autre choix que de passer par l'import. Dragon Quest et ses suites Dragon Quest II et Dragon Quest III ont déjà fait l'objet de bon nombre de rééditions : de la Super Famicom à la Wii en passant par les smartphones, les exemples ne manquent pas. Il est donc fort surprenant de constater qu'entre toutes ces versions disponibles, Square Enix ait choisi de s'inspirer de la dernière sus-citée pour mitonner cette version Switch. L'interface inexistante aurait mérité un peu de travail, puisque cette petite cartouche se contentera de faire apparaître sur le menu de votre console les trois jeux séparément. Dommage, nous n'aurions pas dit non à quelques petits bonus de rigueur dans ce genre d'exercice...
Graphiquement parlant, cette compilation opte pour un "entre-deux" pas toujours flatteur (sauf pour Dragon Quest III qui a bénéficié de bien plus de soin et reste plus détaillé), superposant des sprites lissés sur des décors laissant un peu plus de place au pixel art. Il faudra passer par-dessus une première impression relativement brute avant de pardonner au géant du J-RPG cet obscur choix. Pourquoi ne pas avoir proposé d'alterner entre ces versions et les relookings 16 bits ? Le mystère reste entier. En revanche, il convient de saluer toutes les petites modifications apportées à ce dépoussiérage : entre une difficulté (heureusement) revue à la baisse, l'apparition d'une sauvegarde rapide mais aussi (et surtout) la présence des versions orchestrales des musiques de Koichi Sugiyama, il y a tout de même de quoi se réjouir. Petit bémol en ce qui concerne la localisation des trois titres : si l'anglais a généralement tendance à vous rebuter, ye olde English ici employé pour conférer aux jeux une ambiance médiévale qui risque de carrément vous déboussoler.
Et I, et II, et III nulla
Pour le reste, que peut-on espérer de la (re)découverte de Dragon Quest I, II et III ? Pour les apôtres de la modernité, pas grand chose : le caractère austère, redondant et cryptique des trois aventures ne les feront pas sortir de leur réserve. Pour tous les autres, curieux, passionnés d'histoire et autres esprits ouverts, il y a là une formidable occasion d'engloutir d'une traite (ou presque) trois années folles durant lesquelles le jeu de rôle nippon a forgé bon nombre de codes, et est entré à jamais dans la légende. Tous les défauts précédemment cités se transforment alors en autant d'objets d'étude, à recontextualiser pour en profiter pleinement.
Seul en scène dans un monde impitoyable ou le moindre faux pas peut vous faire perdre la vie, le premier opus est un cas d'école, une tentative de combiner les inspirations occidentales de Yuji Horii à travers un nouveau jeu, un nouveau genre. La suite paraît alors complètement démesurée à côté, intégrant intelligemment la world map précédente, que l'on perçoit d'abord à son thème avant de reconnaître les lieux. Enfin, la légende rétrospective du troisième épisode qui a marqué toute une génération de joueurs montre à quel point une formule peut rapidement s'enrichir en termes de gameplay et de scénario, le tout en l'espace d'une seule année de développement. Combattre jusqu'à plus soif pour espérer atteindre un niveau satisfaisant, se réjouir de l'arrivée de nouveaux compagnons, élaborer des stratégies simples mais dévastatrices : tous ces plaisirs simples auront contribué à faire le succès colossal de la saga, et nous sommes enfin en mesure de comprendre pourquoi. La possibilité d'engloutir relativement rapidement cette historique trilogie permet de mesurer l'immense chemin parcouru en l'espace de trois ans, et de rattraper un engouement jamais démenti jusqu'ici de la part du public japonais.