An de grâce mille neuf cent quatre-vingt dix-sept. Un jeune-homme passe des nuits à tenter de sauver des vies. Il ne ménage pas ses efforts et malgré la difficulté de la tâche, il parvient finalement à venir en aide à tout un hôpital. Deux mille dix-huit. C'est la rechute. Theme Hospital change de nom pour devenir Two Point Hospital, mais je m'y remets. C'est une question de santé publique.
Lorsque Theme Hospital sort en 1997, il fait partie d'une suite de jeux de gestion qui cherchent à être plus originaux les uns que les autres (Theme Park, Theme Aquarium, Theme Park World...). C'est le sujet grave de la prise en charge de maladies qui est tourné en dérision, avec des affections toutes plus loufoques les unes que les autres. Succès à la fois critique et commercial, le jeu sera porté sur Playstation pour disparaître des écrans pendant plus de 20 ans. Aujourd'hui, il s'agit de voir si l'hôpital est encore en meilleure santé, avec cette version totalement réactualisée. À l'époque, le jeu bénéficiait de l'aura de Bullfrog avec l'ombre de Peter Molyneux en toile de fond. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Du centre de soins au centre universitaire
Pour dédramatiser totalement l'environnement anxiogène d'un hôpital, Two Point joue à fond la carte de l'humour. Le trait est donc joyeux et on appréhende le décor qui est créé au fur et à mesure comme une BD à la ligne claire. Mais dans le fond, il s'agit tout de même d'essayer de gérer correctement un établissement de soins et ses patients qui ne demandent qu'à partir en vrille.
Pour commencer, il ne faut pas grand chose. Un bureau d'accueil, une salle de consultation pour le généraliste, une pharmacie pour les traitements et de quoi aller satisfaire quelques besoins naturels. Mais tout ce petit monde aura bientôt besoin de plus en plus de choses. Les patients doivent s'occuper pendant qu'ils attendent et avoir des diagnostics de plus en plus affinés. Il faut donc prévoir des distributeurs de boissons, d'en-cas, des présentoirs à revues et même des bornes d'arcade (de SEGA et avec Sonic bien sûr) pour satisfaire tout le monde. L'environnement doit aussi être agréable avec plantes, posters divers et autres tableaux. Tous ces éléments ne sont évidement pas gratuits et viendront ponctionner le budget de l'hôpital.
Ce dernier devra évidement s'acquitter de sa tâche première, c'est à dire diagnostiquer, puis traiter les divers troubles des clients patients. Pour ce faire, le bureau du généraliste fait un premier débroussaillage, mais il sera rapidement nécessaire d'ajouter d'autres salles de diagnostics pour déterminer exactement de quoi il s'agit. Une erreur et cela peut mener le patient directement à la tombe (ce qui n'est pas si grave dans Two Point Hospital).
De plus en plus de maladies sont découvertes et nécessitent autant de salles de traitement spécifiques. Il devient ainsi plus compliqué d'agencer toutes les salles, elles ont toutes une taille minimale requise pour fonctionner. De fait, le petit hôpital a besoin d'acheter les terrains attenants pour s'agrandir et se réorganiser pour être plus efficace.
De l'interne au professeur
Pour apprendre toutes les ficelles du métier, Two Point Hospital vous fait voyager d'un établissement à l'autre, afin d'atteindre au moins une étoile sur trois dans chacun d'entre eux pour débloquer les suivants. À chaque étape, il s'agira d'apprendre et de maîtriser un nouvel aspect du jeu. Savoir comment découvrir un nouveau problème de santé, trouver le personnel spécialisé compétent, faire en sorte qu'il puisse se reposer, faire de la recherche, entretenir les machines... De ce point de vue, les gens de Two Point ont parfaitement réussi leur coup.
On réalise bien vite que la maîtrise des flux devra être optimisée, à la fois pour que les patients puissent enchaîner rapidement les soins et pour que le personnel soit efficace. Les paramètres sont nombreux, aussi bien pour atteindre des objectifs ponctuels fixés dans le jeu, que pour manager correctement tous les aspects financiers de chaque compartiment de l'hôpital. C'est un jeu mignon et d'aspect presque enfantin, mais d'une profondeur insoupçonnée au niveau du macro et du micro management. Heureusement, le jeu se charge généralement correctement des grandes lignes de la gestion. Les agents d'entretien vont aller tout seuls s'occuper d'arroser les plantes ou de déboucher les toilettes, les infirmiers et les médecins se déplacent souvent dans les bonnes salles en fonction de leurs spécialités. Mais pas systématiquement. Il sera parfois nécessaire de rajouter du personnel dans une salle et de lui donner la priorité lorsqu'il y a crise. Par exemple en cas d'épisode spécifique d'affluence, ou d'épidémie. Cela permet de laisser le joueur tirer les bénéfices d'une gestion plus fine tout en ne le noyant pas sous les tâches à effectuer. Un savant équilibre parfaitement atteint.
L'hôpital qui se fout de la charité
Ce qui fait le charme de Two Point Hospital, c'est surtout un humour décalé et caustique. Les pathologies sont plus loufoques les unes que les autres. On trouve par exemple la maladie des disques durs, qui provoque des pertes de mémoire. Ceci en référence aux disques inter-vertébraux, qui sont moins amusants lorsqu'ils provoquent de véritables douleurs dorsales. La maladie de la tête de tortue est soignée avec un appareil qu'on pourrait traduire par la chasse d'eau, en référence aux tortues qui étaient jetées dans les toilettes et qui ont ainsi proliféré dans la nature. Enfin un hôpital où on va sourire à tout bout de champ.
Ce qui est moins drôle, c'est la gestion des ressources humaines. Il n'est pas toujours évident de jongler avec les spécialités de chacun. Pour progresser, il faut former le personnel aussi bien pour qu'il soit plus performant, que pour qu'il puisse s'occuper de nouvelles salles. Un médecin ne peut par exemple pas soigner les pathologies psychiatriques s'il n'a pas été formé à cela. De plus, tout le monde souhaite être augmenté avec l'expérience acquise et évidement tout cela coûte des sous. Former est indispensable, mais pendant la formation, l'intéressé ne peut plus travailler... L'équilibre à atteindre est délicat, d'autant que les formations amènent également du bonheur à ceux qui progressent.
L'argent est donc, comme partout, le nerf de la guerre. Les revenus peuvent être sensiblement augmentés en changeant le prix de certaines pathologies. Cela se fait au prix d'une baisse de notoriété. Mais en étant plus fin, on peut lancer une campagne marketing, avoir des salles de haut niveau et très bien équipées et demander un prix en conséquence.
Lost in translation
La plupart de ces jeux de mots sont réussis et passent la barrière de la langue. Mais on perd parfois le sens d'un calembour en route. La tête d'ampoule par exemple est amusante en soi (le patient a effectivement une ampoule à la place de la tête qu'il faudra dévisser...) mais en anglais, le jeu de mot entre lightheaded (étourdi) et light-head (tête de lumière) prend tout son sens. Pour en profiter pleinement, être anglophone est donc un plus.
Pour ceux qui ne goûtent pas la langue de Shakespeare, il est également dommage de ne pas bénéficier de sous titres au niveau de la carte des hôpitaux. À chaque fois qu'un nouvel établissement est disponible, l'orateur s'exprime en anglais pour en décrire les principales caractéristiques, mais... sans sous-titres. Même sanction pour les annonces internes qui sont parfois hilarantes, mais uniquement en anglais. De plus, quand elles ne sont pas drôles elles peuvent apporter des informations importantes pour le gameplay, comme une demande de médecin en soins ou pour la maintenance d'un appareil.
Tout comme les nouvelles maladies et les nouvelles salles, un certain nombre d'éléments sont déblocables uniquement avec des Kudosh. Ces derniers sont gagnés en remplissant des objectifs spécifiques (capturer 100 fantômes, déboucher 50 WC, soigner 1000 patients...). On ne voit pas très bien l'intérêt de ce système qui arrive comme une importation de mécanique de smartphone.
Pour vous rendre compte de Two Point Hospital, il aura fallu une quarantaine d'heures de jeu et une bonne grosse frustration. Car soudain, au 9ème hôpital à gérer (Duckworth-Upon-Bilge), les revenus ont tout simplement disparu.
Combler le trou de la Sécu
C'est normal, même si ce n'est pas expliqué clairement dans l'introduction. Vous passez aux commandes d'un hôpital public qui soigne gratuitement. Sans doute une errance de traduction supplémentaire, puisque d'autres hôpitaux publics n'ont pas la même contrainte. Il aura fallu quelques heures de patience et de recherche pour découvrir qu'il ne s'agissait pas d'un bug... Sachant qu'il y a 45 étoiles à récupérer en tout, cela signifie qu'il y a 15 établissements à sauver et à gérer (3 par hôpital).
Le travail est colossal. Pour aider, toutes les avancées obtenues sur un site, sont valables pour tous les autres. L'intelligence du game design suggère alors qu'il faut exploiter à fond les capacités d'un hôpital universitaire qui fait de la recherche pour obtenir tous les améliorations nécessaires à l'avancée d'un voisin.
Il faut entre 30 et 40 heures de gestion pour arriver au bout de la liste et sans doute au moins une vingtaine d'autres pour obtenir toutes les étoiles. Entre temps, vous aurez appris toutes les ficelles pour gérer à peu près tous les aspects du jeu et ils sont légion : bonheur du personnel, soif, faim, fatigue, divertissement, formation, spécialités, tarifs, emprunts...
Si vous avez envie de vous aérer l'esprit et en plus à un tarif qui est largement en deçà des prix pratiqués pour des jeux de ce type sur Steam, Two Point Hospital est fait pour vous. Reste à espérer qu'il sera également porté sur d'autres supports que le PC ou le Mac. Il mérite d'être un incontournable aussi pour les joueurs console.