Véritable succès narratif de l'année 2015, le très français Life is Strange avait su asseoir la stature du studio Dontnod Entertainment, qui avait choisi de passer temporairement le flambeau à Deck Nine Games le temps d'une préquelle moins inspirée. Près de trois ans après avoir sacrifié la quasi totalité d'Arcadia Bay, voici votre serviteur de retour dans une Amérique au doux parfum de spleen.
Chapitre introductif d'une seconde saison très attendue de Life is Strange, The Awesome Adventures of Captain Spirit (à ne pas confondre avec une série de livres pour enfants signée Dav Pilkey) aura surtout créé la surprise en dévoilant son prix, similaire au zéro absolu. Mais parce que la gratuité ne fait pas la valeur d'une oeuvre, aussi charitable soit-elle, voici venu l'heure de se plonger avec juste ce qu'il faut de nostalgie dans la fantastique banalité d'un samedi matin esseulé.
Watching the game, having a Bud
C'est donc aux commandes de Chris, un garçon de dix ans à peine, que vous explorerez le petit monde barricadé de ce prélude qui mise tout sur le pouvoir de l'imagination pour malmener la banalité du quotidien et dédramatiser quelques problématiques désagréables. Si l'on pensera nécessairement au tout premier Pixar en découvrant la chambre d'Andy de Chris, la longue liste des indices permettant de remonter tel un saumon la rivière dresse un portrait moins joyeux que l'original. Obligé de tuer le temps dans une maison isolée depuis le décès de sa très (trop) cool génitrice, l'enfant doit composer avec l'alcoolisme d'un père ex-basketteur et l'éloignement des amis d'avant restés à l'autre bout du bled. Une séparation à l'échelle d'un continent aux yeux du blondinet.
D'échelle, il sera justement question tout au long de la grosse heure qui sera nécessaire à l'accomplissement héroïque de cette aventure en vase-clos. Si les joueurs ayant laissé en cours de route leur âme d'enfant risquent de frôler la narcolepsie (même avec si peu de contenu), les autres pourront sourire à pleines dents devant l'imagination débordante d'un enfant condamné à la solitude. Transformé dès les premières minutes en Captain Spirit, Chris n'aura de cesse de profiter de ce samedi matin hivernal d'une affligeante banalité pour rétablir la paix dans la galaxie mentale qui est la sienne, quitte à accomplir quelques tâches aussi ingrates que terrestres au passage.
Je crois aux forces de l'esprit
Les quelques pièces accessibles et le jardin enneigé seront ainsi le temps d'une heure (ou deux) le théâtre d'une introduction au jeu narratif, aux choix en l'occurrence très limités : les vieux aventuriers ne feront donc qu'une bouchée de la liste d'objectifs qui sert finalement de fil rouge à cette tranche de vie, tandis que les autres apprivoiseront sans crainte un genre accessible à tous. Il suffira en effet d'inspecter consciencieusement tous les objets mis à votre disposition pour enchaîner avec l'aisance d'une ballerine les résolutions d'énigmes minimalistes qui réservent parfois quelques jolies surprises. L'imagination de Chris sert en effet de levier pour basculer d'une seconde à l'autre dans le fantastique (et inversement), donnant lieu à des séquences inattendues et plaisantes, puisqu'elles viendront casser une mise en scène convenue mais toujours raccord.
La direction de la photographie et les angles choisis donnent en revanche le vertige, faisant preuve d'une maîtrise et d'une compréhension des espaces remarquables. Problème : avec une si courte aventure, l'audace semble être bien à l'étroit, et donne au final l'impression d'en faire des caisses sans véritable justification, et c'est au vu du travail accompli vraiment dommage. Qu'importe, les amateurs se rinceront l'oeil, même si l'on espère que Life is Strange 2 profitera de plus d'espace pour renouveler cet émerveillement.
Stranger Tights
Les phases purement contemplatives retombent à l'inverse comme un soufflé : remplies à ras bord de mièvrerie ou de bons sentiments, elles en font toutes bien trop pour être honnêtes. Il en va finalement de même pour tous les indices disséminés ici et là : à force de tomber sur des lettres raccord entre elles, le trait devient trop épais pour être apprécié à sa juste valeur. L'envie de satisfaire tous les joueurs aura raison des complétionnistes et des amateurs de finesse, qui esquisseront de temps à autres un facepalm de rigueur devant certaines scènes vraiment maladroites, et ce jusqu'au clap de fin. La suggestion d'une potentielle antagoniste suffisait, pas la peine d'en faire des caisses.
Si les choix laissés au joueur pourront paraître a priori insignifiants, une seconde lecture diamétralement opposé de The Awesome Adventures of Captain Spirit permettra de réaliser les embranchements scénaristiques insoupçonnés de cette pastille introductive : entre le sympathique capitaine défenseur du recyclage, passant l'éponge sur la troisième bière du matin, et le garnement prêt à tout pour mettre en pétard un paternel déjà bien chauffé par sa seule existence, il y a un monde qui fera pour certains passer la pilule de la brièveté comme une lettre à la poste.