Après la pépite This War of Mine, 11 Bit Studios refait un tour du coté de la gestion pour nous proposer Frostpunk, un jeu qui change d'atmosphère mais reste dans le registre post-apocalyptique, marque de fabrique de ce groupe de développeurs polonais. Cette fois, nulle question de troisième guerre mondiale, car la principale menace vient de la nature elle même, totalement déréglée et qui vient faire s'abattre sur le monde une nouvelle ère glaciaire. Dans Frostpunk, l'hiver est déjà là, prêt à vous tuer à la moindre faiblesse.
Frostpunk a la riche idée de se dérouler au beau milieu du XIXème siècle, à une époque révolue où la machine à vapeur est au centre de l'intérêt technologique (d'où le nom du jeu). Une ère glaciaire s'abat sur le monde et un groupe de survivants parvient tant bien que mal à quitter l'Angleterre pour trouver un lieu plus propice à la survie. 80 personnes, femmes et enfants inclus, trouvent alors un cratère abritant un immense et mystérieux générateur à charbon.
Contrairement à la plupart des jeux de gestion, où l'on commence sans habitant et où le but va être de faire grossir une communauté, Frostpunk vous impose un nombre défini de personnes. Car le but ne va pas tant être d'agrandir son groupe, mais surtout de le préserver au maximum de l'environnement. Le froid, loin d'être timide, n'hésitera pas à descendre en dessous de la barre des -40 à de nombreuses reprises.
Un froid de canard
Autour du fameux générateur se trouvent 3 ressources primaires sur lesquelles reposent votre survie : le charbon, le bois et le métal. Il va falloir très vite assigner vos citoyens à la récolte, car la moindre minute perdue peut être fatale à un ou plusieurs individus de votre communauté. Contrairement à bon nombre de jeux de gestion, la pression est constante dans Frostpunk et il faut attendre longtemps avant de pouvoir "souffler". Une journée en jeu débute à 8h00 et se termine à 18h00 ; après ça, la nuit tombe et il devient quasiment impossible pour votre population de travailler, car le thermomètre tombe si bas qu'une sortie rimerait avec mort assurée. Une fois que vous possédez assez de charbon dans votre stock, vous pouvez allumer le générateur et commencer à diffuser de la chaleur. Tout tourne autour de cet élément. Ainsi, au fil du temps, votre ville formera des cercles concentriques qui auront comme point central le fameux générateur. Pour connaitre à chaque instant votre niveau de chaleur, vous possédez une carte thermique vous permettant également de repérer les points les plus froids de la ville, et ainsi tenter de remédier au problème.
L'hiver aux trousses
La chaleur n'est pas le seul élément à surveiller, et très vite vous allez vous rendre compte de deux autres points capitaux : la barre de mécontentement et la barre d'espoir. Chacune de vos actions aura une répercussion à plus où moins long terme. Être trop longtemps "dans le rouge" signera la fin de votre partie. Pour satisfaire votre peuple tout en gardant en tête l'intérêt commun de la survie, il sera possible de promulguer des lois via une interface spécifique. C'est là qu'on aborde le propos du jeu, sombre mais aussi très intelligent. Il va falloir jongler entre les mesures pour trouver un équilibre, et cela peut parfois prendre des allures assez sordides comme avec la dépénalisation du cannibalisme, faute de gibier pour nourrir toute votre communauté, ou encore le travail légal des enfants, pour réussir à faire tourner votre économie. Des décisions radicales et dures qu'il est nécessaire de mûrement réfléchir, car la promulgation d'une loi au mauvais moment peut être dramatique pour le moral et semer le chaos et la révolte.
Moi mon père il était charron ! Et je peux te dire que ca filait doux !
Chaque poste, chaque métier, doit être assigné manuellement (un bâtiment ne produit par défaut aucune ressource) et il faut évidemment finement mener chacune des activités. Un ingénieur qui est qualifié devra par exemple être affecté à un travail de recherche pour faire progresser votre arbre technologique, et non à un vulgaire travail de "récolte". L'arbre technologique est classiquement divisé en sous-catégories, elles mêmes divisées en branches :
- Chauffage
- Exploration et Industrie
- Ressources
- Faim, Santé et Habitation
Lors des premières parties, on navigue complètement à l'aveugle, car il est impossible de connaitre les détails de chacune des technologies. C'est l'une des rares doses d'aléatoire du jeu. En plus des ressources communes, il existe des ressources plus rares comme la main d'oeuvre. Pour découvrir tout ceci, il faudra envoyer des expeditions en dehors de la ville, via différents points d'intérêts qui sont présents sur la carte générale. À chaque découverte, un micro-événement se produira et vous laissera parfois le choix entre plusieurs possibilités comme rentrer à la base ou continuer. Si continuer peut s'avérer être extrêmement gratifiant en ressources, on risque aussi de tomber sur de très mauvaises surprises (on vous laisse le plaisir de la découverte) pouvant être dramatiques pour la communauté. Le jeu est intransigeant et ne laisse pas la moindre place à l'erreur. Le problème, c'est que comme tout est très scénarisé, l'effet de surprise a lieu une fois... et c'est tout.
Winter is coming
Si dans les jeux de gestion traditionnels on peut aisément dépasser la cinquantaine d'heures de jeu (quand la qualité l'exige), ce n'est clairement pas le cas de Frostpunk. Après une dizaine d'heures, le jeu se termine et la "rejouabilité" est pour ainsi dire inexistante, ou plus précisément inintéressante, car le jeu est bien trop automatique et mécanique (voir clairement clinique). Une fois que l'on connait les ficelles (technologies, système de loi), il n'y a plus qu'à reproduire le même schéma (le seul possible) pour terminer la partie. Fort heureusement, le jeu est découpé en trois actes, et les deux autres vous réservent de très belles surprises qui vous forcent à revoir intégralement votre vision des choses.
Le problème, c'est qu'une fois que l'on connait la chanson, le plaisir disparaît progressivement. Il en va de même pour la portée morale des lois. Lors de notre toute première présentation du jeu par les développeurs, ils avaient souligné l'importance du choix moral dans l'évolution de notre petit groupe de survivants, mais force et de constater que ce n'est pas vraiment le cas. Le coté trop mécanique précédemment cité vient alléger l'importance du choix moral, et c'est fort dommage car la simple présence d'événements aléatoires aurait pu résoudre une partie de la problématique.
Fous ta cagoule
Outre ces soucis, le titre de 11 Bit est d'une grande qualité aussi bien dans ses différentes phases de gameplay que dans son propos. D'autant que pour appuyer le plaisir de jeu, Frostpunk repose sur une direction artistique et technique qui frôle le sans-faute. La sensation d'être démuni face au froid est omniprésente et cela est renforcé par l'omniprésente de la neige qui recouvre la moindre parcelle de vie. Le jeu est précis et tape juste à bien des égards. Le simple fait de voir la neige fondre sous les pas de vos travailleurs est un vrai plaisir pour les yeux. Nos oreilles ne sont pas oubliées non plus puisque la musique fait mouche à chaque fois. Mention spéciale à l'introduction, qui rappellera le thème principal de 28 jours plus tard. Frostpunk ne fait pas un sans faute, mais reste une belle oeuvre vidéo-ludique qui s'inscrira sans peine en lettres d'or dans l'histoire du jeu de gestion. On attend toutefois quelques patchs de contenu ou autres DLC supplémentaires qui pourront venir aisément modifier encore dans le bon sens ce verdict.