Kingdom Come : Deliverance est une belle histoire qui commence en l'an de grâce 2014 sur Kickstarter. Après une campagne de financement participatif réussie, un développement de plusieurs années allait enfin pouvoir commencer sérieusement pour ce curieux projet. Se destinait-il à devenir un RPG classique ? Que nenni, mon bon seigneur. Il s'agit en réalité de l'aboutissement d'un désir ardent d'historicité et de réalisme, ayant pour phrase d'accroche "des donjons mais pas de dragons". Pour le moins audacieux et ambitieux, le jeu de Warhorse avait dès lors toutes les cartes en main pour se démarquer de la concurrence, mais est-ce suffisant pour en faire un bon titre ? C'est ce que nous allons voir ensemble.
Présenter en quelques mots Kingdom Come : Deliverance n'a rien de compliqué. Il s'agit d'un RPG médiéval réaliste, prenant place dans le Royaume de Bohême en 1403. Pour resituer un peu, la Bohême, qui est une région située aujourd'hui en République Tchèque, était autrefois l'un des nombreux royaumes composant le vaste Saint Empire Romain Germanique. Le tout fut littéralement avalé en 1806 par l'Empire d'Autriche, avant de devenir la Tchécoslovaquie à la fin de la Première Guerre Mondiale. Le jeu a donc une localité réelle, précise, et ça tombe bien car ses développeurs viennent de là-bas. Globalement, toutes les villes, villages et même lieux-dits que l'on découvre dans le jeu existent ou ont autrefois existé. D'emblée, cela procure un cachet indéniable à ce RPG qui se veut, rappelons-le, réaliste jusqu'au dernier degré.
Il en va de même pour la plupart des personnages nobles que l'on croise lors de notre aventure. Pour vous aider à vous y retrouver, et pour les passionnés d'Histoire, sachez qu'un codex extrêmement intéressant est disponible dans votre fiche de personnage. Il est d'ailleurs constamment mis à jour au fil de vos découvertes, ce qui permet d'approfondir vos connaissances sur la période médiévale, en plus de mieux comprendre le contexte du jeu. Car ce qui peut vous paraître évident, honteux ou étrange en 2018 ne l'était pas forcément en 1403. C'est très important de le signaler. Nous sommes en face d'une représentation du Moyen-Âge viscérale, sans une once de "politiquement correct" pour adoucir le tout, et cela mérite d'être salué. Oui, le Moyen-Âge présentait des aspects sexistes, racistes et violents. Et au lieu de gommer les faits pour répondre à la demande pudibonde des censeurs de l'esprit, Warhorse a fait le choix de représenter la réalité historique dans son jus, sans jamais en faire trop, dans la mesure et l'intelligence.
Henry, le fils du forgeron, est venu me chercher
L'historicité et le réalisme sont présents partout, tout le temps, et c'est ce qui rend Kingdom Come : Deliverance si unique et intéressant. Le monde autour de vous est vivant et il fourmille de détails. Tout est mis en place pour vous faire prendre conscience que l'univers ne tourne pas autour de votre personne. Vous n'incarnez pas un "héros" comme peut l'être Geralt de Riv (The Witcher), vous êtes un simple fils de forgeron, avec ses faiblesses et ses piètres connaissances. Comme n'importe quel être humain, vous apprenez de votre expérience et de vos erreurs. Cela peut paraître tout bête, mais en tant qu'homme de basse extraction, vous ne savez pas lire. Ainsi, les livres que vous trouverez seront composés de mots sans aucun sens, avec des successions de lettres informes... Eh bien pas de problème : rien ne vous empêche de faire appel à un prêtre ou un greffier pour vous apprendre à lire, et ainsi ouvrir tout un nouveau panel de possibilités (apprentissage de recettes pour l'alchimie, besoin inhérent à certaines quêtes, etc.) ! Globalement, toutes les caractéristiques du jeu s'améliorent avec le temps et l'expérience. Plus vous marcherez, courrez ou sauterez, plus votre endurance augmentera. Plus vous combattrez, plus vos techniques de combats seront efficaces et plus votre force augmentera. À chaque montée de niveau, il sera aussi possible de choisir certaines caractéristiques, aussi bien pour votre constitution physique que votre éloquence. Par exemple, débloquer la compétence "mule" vous permettra de porter un peu plus d'équipement. Mais entendons-nous bien : il n'est question que de compétences passives. Si vous attendez de Kingdom Come qu'il vous fasse obtenir des attaques spéciales ou autres bottes secrètes automatisées, vous allez au devant d'une grande déconvenue.
Un système de combat qu'on adore détester ?
Les combats dans Kingdom Come : Deliverance vont faire jaser. Excellents pour certains et ratés pour d'autres, ils ne laisseront en tout cas pas indifférent. De notre coté (du mien en tout cas, car Plume, qui a préféré jouer au pad, se montre plus mesuré), le combat est fort appréciable car il nécessite une grande courbe d'apprentissage. Attention toutefois : la version PC est mieux lotie à ce niveau, car ici il est bien plus simple de combattre avec une souris et un clavier qu'avec une manette. Le combat fonctionne grâce à un système de directions, 6 au total en comptant la position centrale. La parade et l'attaque fonctionnent sous le même format. Il faut frapper, feinter, esquiver, parader... Vous avez la possibilité d'effectuer des attaques de taille (avec le tranchant de la lame) et d'estoc (avec la pointe). Évidemment, certains équipements ont un estoc quasiment nul comme les haches, alors que d'autre comme les épées bâtardes ou à deux mains peuvent faire un carnage avec la pointe. Le vice va si loin que selon votre type d'armure et celui de l'adversaire (plate, maille ou simple gambison), certaines armes auront plus ou moins d'efficacité et il faudra alors viser les points sensibles (visage si celui-ci est découvert, ou tout point faible dans une armure). Si durant les premières heures de jeu, ce système complexe peut faire enrager, cela s'améliore avec le temps, la pratique, et on finit par grandement apprécier toute la technicité qu'il offre. D'autant que le duel est loin d'être l'unique moment d'échauffourée, car on assistera par la suite à de grosses escarmouches et mêmes des batailles rangées, ainsi qu'une surprise qu'il vaut mieux éviter de trop étaler présentement. Le combat, tout comme le reste du jeu, est un hommage à l'Histoire ainsi qu'une bénédiction pour tous ceux qui cherchaient désespérément un titre médiéval réaliste à se mettre sous la dent.
Gentes dames et beaux damoiseaux
Quand un personnage d'une zone A vous dit qu'il doit se rendre quelque part dans une zone B, il ne disparaît pas dans les méandres des scripts du jeu pour réapparaître comme par enchantement plus loin, non : il va prendre son cheval (s'il s'agit d'un noble tout du moins) et va faire tout le chemin. De ce fait, et pour plein d'autres raisons, KCD est un jeu assez lent, qui prend son temps, mais ce n'est en aucun cas un défaut. Il s'assume pleinement, au risque de se priver d'un large public. Les goûts et les couleurs sont tellement différents d'un individu à un autre que Warhorse a préféré faire ce pari. Mais nul besoin pour autant d'être un hardcore gamer monomaniaque pour l'apprécier. Kingdom Come : Deliverance est ce que l'on pourrait appeler un jeu poétique et romantique, qui ne veut absolument pas rentrer dans des cases, et une chose est certaine : vous devrez oublier presque tout ce que vous savez des RPG habituels pour en apprécier les partis pris et la substantifique moëlle.
Cela fourmille de détails, la passion suinte des environnements et du scénario, et l'amour de la période médiévale est omniprésent. L'ambiance générale vous attrape l'oreille et vous berce d'une mélodie irrésistible. Prenons un exemple tout simple, qui n'a l'air de rien à l'écrit mais qui fait pourtant toute la différence... Vous devez traverser un bois pour vous rendre dans un village voisin, vous enfourchez donc votre cheval et galopez le long d'un chemin sinueux et boueux. Vous ralentissez votre allure presque inconsciemment à l'approche de cette forêt dense, qui grandit devant vos yeux, tout à coup, casque audio sur la tête, vous êtes happé dans une nature presque palpable. Le chant des oiseaux, le bruit du vent dans la cime des arbres... l'atmosphère vous engloutit. Au-dessus de vous, le soleil se couche et les derniers rayons de soleil traversent la végétation avant de disparaître à l'horizon. C'est aussi ça, Kingdom Come : Deliverance, un émerveillement pour des choses simples. Et tout cela sans compter sur une bande originale de toute beauté, enregistrée par l'orchestre philharmonique de Prague, qui vous mettra le coup de grâce.
Une claque de chevalier dans les gencives
Le CryEngine, qui on le sait se révèle un moteur bien difficile à apprivoiser, fait un travail assez remarquable dans les jeux de lumière et dans le rendu général. Mention spéciale aux bougies et aux lumières traversantes. Ce coté "photoréaliste" aura pour conséquence une certaine forme de rigidité, aussi bien dans les combats que dans les différents aspects du jeu. Certaines personnes n'accrocheront peut-être pas, mais force et de constater que le résultat fonctionne à merveille. Il faut vraiment y jouer pour se rendre compte du travail effectué. Une fois en forêt, ou dans la salle de banquet d'un château, difficile de ne pas tomber sous le charme. Ce qui aide beaucoup à apprécier l'ambiance, c'est aussi la sensation de vie. Chaque personnage du jeu a une existence propre et n'oriente pas uniquement son intérêt sur vous. Le menuiser travaille le bois, le boulanger sa farine, les gardes font des rondes, le monde dort, danse, bois, veille, mange... et meurt. Si parfois certains bugs viennent gâcher cet aspect (certains villageois ont une attitude étrange), cela n'entache pas la sensation générale de vie un peu partout.
Pour accentuer cet aspect, le jeu jouit d'un jeu d'acteurs très convaincant, aussi bien en français qu'en anglais et... qu'en allemand ! Car oui, je l'ai même testé pour vous dans la langue de Kant. Globalement, la version anglaise est quand même supérieure pour une simple et bonne raison : la synchronisation labiale y est de meilleure qualité. Mais l'acting n'en reste pas moins excellent et surtout convaincant. Henry, notre héros qui peut paraître un peu sans âme la première heure, s'avère finalement très attachant, et l'immersion coté jeu de rôle fonctionne. Le jeu réussit aussi son pari en proposant toute une gamme de personnages que l'on se prend à aimer ou détester comme dans un bon film. Dommage que des problèmes de cadrages inadéquats viennent parfois gâcher la mise en scène lors des phases de dialogues.
Des bugs à la pelle
Soyons honnêtes : Kingdom Come est très loin d'être un jeu sans bugs. Problèmes de caméra sus-cités, bugs de synchronisation, problèmes de physique ou encore chargements longs, très longs, TROP longs. En effet, à chaque fois qu'on souhaite engager une conversation, cela amène un écran de chargement noir de 2 ou 3 secondes. Vraiment regrettable, et clairement le problème numéro un. Le studio planche actuellement dessus, comme sur l'absence d'anti-aliasing, mais pour l'instant le jeu est tel qu'il est, il est sorti, et ce point reste bien handicapant, comme pas mal d'autres. On serait tenté de lui trouver des circonstances atténuantes, du fait que Warhorse est un studio indépendant ayant réalisé avec un budget limité un jeu tutoyant les AAA, ou encore se dire que cette ambiance est si exceptionnelle et prenante qu'elle vous ferait oublier ces errances techniques, mais les faits sont là : Kingdom Come est actuellement très buggé, au point de pouvoir rebuter même les joueurs de bonne volonté. Le jeu sera probablement plus appréciable de ce point de vue d'ici quelques mois et quelques mises à jour, mais impossible d'en juger pour le moment. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'il s'agit d'un jeu unique en son genre, qu'il sort complètement de la masse, et qu'il faut affronter ses défauts techniques pour pouvoir en profiter.
Kingdom Come est un écosystème cohérent et le scénario, de très bonne facture, vous fera découvrir la vie au Moyen-Âge telle qu'elle a pu être à un temps donné dans une zone donnée. Même les activités annexes, comme la chasse par exemple, doivent se plier à des règles strictes. Cette activité est réservée à la noblesse et les braconniers sont châtiés, car historiquement, un domaine, qu'il soit royal ou seigneurial, appartient au suzerain ou à ses vassaux, et ils sont donc les seuls avec le reste de la noblesse à pouvoir en avoir la jouissance. Le droit médiéval ne faisant pas de distinction entre la terre dans son sens large et la vie animale y habitant, la faune d'un terrain appartient donc de droit au propriétaire des lieux. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Attention donc en chassant la biche, car si un garde-chasse vous prend sur le fait, vous devrez au mieux payer une amende ou au pire aller en prison.
Il en va de même pour le vol. Le système étant parfois abusif, il s'avère quasiment impossible de revendre un objet volé à un honnête marchand, parfois même si vous l'avez volé en toute discrétion et sans vous faire voir. Ce système ne fonctionne donc pas à la perfection, et il faudra donc presque à chaque fois trouver un receleur. Dans tout les cas, si vous êtes pris sur le fait d'un vol ou de tout acte de brigandage, en ville ou ailleurs, votre réputation baissera et les gens seront moins enclins à vous faire confiance. De plus, les gardes n'hésiteront pas à vous fouiller (surtout la nuit pendant le couvre-feu) pour vérifier que vous n'êtes pas en possession de biens volés ou illégaux. Chacun de vos actes ayant une influence sur vous et dans une moindre mesure sur le monde, votre éloquence monte au fil des dialogues et votre habilité à mentir avec. Déclarer avec assurance à quelqu'un que vous n'êtes pas coupable de tel ou tel acte pourra parfois vous sauver la vie. Au contraire, si vous êtes un piètre orateur et préférez la manière forte, vos mensonges n'auront aucune utilité.
L'habit fait le moine
Kingdom Come jouit d'une incroyable profondeur et cela se ressent aussi dans les quêtes secondaires, habilement écrites et scénarisées. Au total, vous en avez aisément pour 80 heures de jeu, sinon plus, selon votre habilité au combat et à mener vos enquêtes. D'autant que le jeu inclut une quantité ahurissante d'objets différents qui vous poussent à toucher un peu à tout. On passe parfois 20 bonnes minutes chez un vendeur pour trouver l'arme, l'armure ou le vêtement qui nous correspondent le mieux.
Car notre apparence (comme notre odeur...) a un impact sur les PNJ et il vaut mieux être bien apprêté pour courtiser une dame et bien équipé pour impressionner le manant et le coupe-jarret. KCD pense beaucoup à l'évidence de certaines notions, qui sont pourtant bien souvent absentes des autres jeux de rôle. L'hygiène et la tenue générale en font partie, et l'apparat n'est plus uniquement un moyen de flatter vote ego, mais aussi une mécanique de jeu qui participe à l'évolution sociale de votre personnage. Bref, une illustration témoignant encore une fois que Kingdom Come pense à tout et pourrait bien se targuer d'être le le RPG le plus complet qui soit.