Pour son troisième jeu, Supergiant Games a décidé de prendre les joueurs à revers. Abandonnant l'action-RPG en vue isométrique des très appréciés Bastion et Transistor, le petit studio de San Jose a concocté un jeu d'aventure fantasy dans lequel les combats laissent place à... une compétition sportive. Étonnant. Risqué. Et payant ?
Dans le Commonwealth, on ne rigole pas. Lorsque vous y enfreignez une loi, n'entrez pas dans le moule, vous vous voyez expédié dans le Downside, un purgatoire dans lequel il faut vous préparer à finir vos jours, sans possibilité de retour. Votre crime ? Vous êtes un Lecteur (ou une Lectrice), capable de déchiffrer des écrits. Ce qui est considéré comme un potentiel danger par les personnes au pouvoir a fait de vous un Exilé. Et alors que votre errance solitaire semble toucher à sa fin, que la Faucheuse commence à vous susurrer des mots doux au creux de l'oreille, trois vagabonds vous recueillent et vous prennent dans leur caravane. Ils devinent vos facultés et vous exhortent à inspecter un ouvrage renfermant un merveilleux secret : celui des Rites. Des épreuves qui permettraient aux parias les plus méritants, pendant une période dictée par les étoiles, de regagner leur liberté, absous de leurs fautes. Vous n'êtes pas les seuls à en avoir connaissance. D'autres vont se dresser face à vous. C'est sûr, il va y avoir du combat. Ou plutôt du sport.
Allumer le f... Ah non, faut l'éteindre
Un peu basket-ball, un peu football américain, un peu balle au prisonnier, un peu jeu d'échecs, un Rite consiste en l'opposition de deux trios en habits traditionnels sur un terrain plus ou moins truffé d'obstacles. L'objectif de chaque équipe est de projeter une sphère céleste dans le bûcher gardé par le camp adverse, ce qui aura pour effet de l'affaiblir, jusqu'à son extinction, signifiant la victoire. Les subtilités ne manquent pas. La première, c'est qu'on ne peut mouvoir qu'un seul de ses poulains - réunis sous la bannière des Nightwings - à la fois. Ce qui, soit dit en passant, couplé à des commandes qui souffrent parfois d'un temps de réponse discutable, ne délivre pas la dynamique souhaitée pour une discipline sportive. La deuxième, c'est que celui ou celle qui est en possession du précieux orbe est vulnérable. S'il entre en contact avec l'aura émanant d'un adversaire (plus ou moins large selon le participant, et qui peut se voir projetée), il se voit ejecté pour quelques instants, comme lorsqu'il choisit de se jeter dans la flamme au lieu de procéder à un lancer. Un bannissement, fut-il temporaire, cela signifie une infériorité ou une supériorité numérique. Et donc encore plus de précaution ou d'assurance lorsque l'on détermine ses placements, ses passes, ses interceptions ou encore l'usage des sauts et accélérations qui dévorent une très estimable jauge d'endurance.
Capable du meilleur ?
L'aspect stratégique assez poussé des "combats" de Pyre passe par un autre élément : votre effectif. Au cours de votre quête de rachat, longue d'une bonne dizaine d'heures, vous aurez l'occasion de recruter des profils plus variés. Outre le très équilibré humain, le colossal démon et le fort rapide toutou à la fringante moustache (?), vous verrez entrer dans vos rangs une harpie (volante, forcément), un ver de terre super rapide, un homme-arbre capable de créer des mines d'aura, et bien d'autres. Tous avec des statistiques et des facultés différentes - amenées à évoluer avec l'expérience et des talismans trouvés ou troqués chez un marchand au rire abominable. À chaque fois, en fonction de qui vous attend dans l'arène, on aura l'impression de devoir s'adapter. Les plus agiles sont aussi plus faibles et moins efficaces pour faire baisser le capital de points d'un bûcher, les plus destructeurs sont plus lents, etc. On ne pourra pas dire que ce jeu de balle, pour lequel vous pourrez vous faire une difficulté à la carte, manque d'idées ou de créativité. Malheureusement l'exécution ne permet pas d'en faire un bon moment assuré. Cette partie sportive se trouve alourdie par le concept du maniement d'un seul joueur - qui permet il est vrai de ne pas avoir à programmer une I.A. alliée qui pourrait poser problème. Le dynamisme, déjà bien freiné, souffre aussi d'imprécisions et de commandes ayant un petit temps de retard (surtout le changement d'équipier), rageant. Cela n'empêchera pas certains d'apprécier, voire de s'entraîner à devenir un tueur via le mode Duel (contre le CPU ou un copain en local). Mais la plupart des écueils laissent un vilain goût et généreront chez les moins accrochés frustration, lassitude et besoin de céder au désir brûlant de la ruade écervelée avec un personnage rapide ou voltigeur en difficulté la plus basse, ou se foutre de la défaite - qui n'est pas synonyme de game over mais mène sur d'autres routes. Dommage que le jeu de babablle s'avère un peu moyen et routinier, car pour ce qui est du reste de l'expérience, Supergiant ne s'est pas manqué.
Heureux qui comme eux lisent
Le "reste", c'est un visual novel à la structure assez linéaire, sans chemins de traverse, mais incroyablement prenant. Un road trip en roulotte qui ne manquera pas de faire penser à The Banner Saga, appuyé par un background d'une richesse impressionnante et par un univers fascinant - supporté une fois encore par un design extraordinaire et les compositions d'un Darren Korb qui n'a rien perdu de son inspiration. L'histoire, complexe, traite avec habileté de thèmes comme la liberté, la rédemption, le sacrifice, l'amitié, la conscience politique, l'usage de la violence, l'attachement à sa terre natale... Elle vous laisse croiser le chemin d'individus incroyablement bien caractérisés, tous charmants à leur façon, même en images semi-statiques, au passé parfois très lourd, et entendre cette seule et unique Voix s'exprimant distinctement, solennelle, dont vous finirez par connaître l'origine exacte avec surprise. Et le role play, s'appuyant sur vos performances autant que la tétrachiée de dialogues (100% anglais, sorry) dans votre logement à roues et ailleurs, pourra vous torturer. Car, sans spoiler, il faudra parfois prendre de lourdes décisions, se séparer d'amis ; réfléchir à qui, pourquoi, envisager les conséquences d'une absence sur soi, le groupe ou l'avenir du Commonwealth ; penser, peut-être, au moment où un antagoniste vous suppliera de le laisser vaincre, qu'il est plus méritant. Les différentes routes possibles piqueront peut-être votre curiosité au point d'y retourner pour ressentir d'autres émotions et accéder à un autre dénouement. Si vous acceptez que pour avoir le meilleur de ce merveilleux conte, il faut passer par le Pyre.