Après la vie insulaire de Tomodachi Life, où une attraction permettait déjà de s'essayer à une parodie rétro de RPG, les Mii s'aventurent corps et âme dans le genre avec Miitopia. Une manière de répondre à l'interrogation que suscite encore leur précédente expérience, en l'occurrence s'il s'agit d'un simulateur de vivarium pour avatars ou véritablement d'un jeu, son succès auprès du public ne faisant lui aucun débat, malgré un côté indéniablement artificiel. Cette épopée a priori simpliste des forces du bien contre le mal montre-t-elle un surcroît de caractère ?
D'aucuns considèrent Tomodachi Life comme un émule des Sims avec des Mii. Aux yeux de votre serviteur cependant, Tomodachi Collection (le premier opus sorti exclusivement sur DS au Japon) s'inspire davantage de Sennen Kazoku, qui consiste à veiller sur la descendance d'une famille durant plusieurs générations, et de Giftpia dont le cheminement se résume à rendre service aux habitants d'une île, deux curiosités hélas cantonnées à l'archipel nippon. Le rôle de Cupid avec ses manigances dans le premier et l'existence de servitude imposée à Pockle dans le second mettent ainsi en exergue le fameux quatrième mur, plus précisément cette distance qui sépare le joueur du jeu, avec un humour au cinquième degré. Ces statuts de tout puissant et d'esclave tournés en dérision constituent également le concept de Miitopia, puisque l'on a loisir de façonner des Mii, d'importer ceux déjà créés (éventuellement issus de Tomodachi Life) ou de récupérer les plus appréciés par la communauté afin de personnaliser les principaux protagonistes de l'aventure, y compris le grand méchant. Et cette quête demande prestement de retrouver les habitants de ce monde, ou plutôt leurs visages que notre vilain énergumène a enlevés.
Facétieux à en perdre la tête
Telle est l'intrigue "d'Udébu", l'appellation du premier village, histoire de moquer les prétextes souvent ridicules qui servent de scénarios aux RPG. Les situations reprennent gaillardement les poncifs de la discipline, tantôt pour les caricaturer à grand renfort de grandiloquence ou d'absurdité - musiques dans le ton à l'appui - tantôt pour mieux préparer les coups de théâtre, parfois radicaux. Évidemment, le fait d'assister à ces séquences avec des individus familiers en guise d'acteurs, voire des vedettes hors sujet ajoute encore à l'effet comique. Suivant le même classicisme trompeur, la carte se compose de repères reliés par des traits qui se dessinent au fil de la progression, avec des têtes ou des points d'exclamation pour signaler les objectifs, une pastiche schématisée de la structure basique de moult représentants du genre. L'équipe va donc d'un endroit à l'autre, en répétant des répliques aléatoires durant l'exploration des zones. D'où un aspect linéaire souligné par la vue de profil qui n'offre guère de contrôle sur l'avancée. Néanmoins le parcours comporte son lot d'embranchements, de raccourcis ou de passages secrets, un périple régulièrement interrompu par les nuits, entre autres.
Auberge espagnole
Si nos ouailles doivent quelquefois camper dans la nature, la plupart des journées se terminent à l'auberge, lieu social de prédilection. Au delà d'un sommeil salvateur, les Mii y développent leurs affinités avec ceux dont ils partagent la chambre, en fonction du temps passé ensemble ou de cadeaux surprises. Sachant que l'on décide de l'occupation des pièces de l'hôtel, à l'instar des appartements dans Tomodachi Life, libre à chacun de réunir les personnes de son choix, en particulier du même sexe. Point de polémique ici, les relations se limitent à l'amitié, et cet attachement n'engendre que l'apprentissage de capacités d'entraide vouées aux affrontements. Idem pour les déjeuners, car ils permettent non seulement d'améliorer les caractéristiques des Miis selon leurs goûts respectifs (découverts par l'expérimentation), mais aussi de les inciter à changer d'équipement, une fois repus et avec l'argent qu'on leur confie, sans garantie qu'ils achètent l'ustensile voulu. Restent enfin les jeux de roulette et de pierre-feuille-ciseaux pour gagner des vivres, des objets ou des voyages, une aubaine pour resserrer les liens. Autant d'activités où le hasard a une incidence très importante.
Combats arbitraires
Cette orientation hasardeuse se manifeste bien entendu à travers le nombreuses péripéties plus ou moins anecdotiques survenant aux détours des chemins, notamment des saynètes qui rapprochent nos aventuriers, quand ce n'est pas contraire. En parlant de bagarre, les combats traditionnels au tour par tour sont aléatoires, mais pas uniquement en terme de fréquence ou de types d'adversaires rencontrés. Seul le héros reçoit des ordres, tandis que ses camarades bataillent à leur gré, avec un comportement défini par le caractère qu'on leur a initialement attribué, pour le meilleur comme pour le pire. Un rêveur tendra par exemple à divertir les ennemis ou se tromper de cible, alors qu'un soldat déterminé pourra tantôt se préparer à encaisser des estocades, tantôt refuser les soins de ses alliés, quitte à déclencher des disputes. En plus du côté burlesque de ces querelles engagées au beau milieu de l'action, à l'image des manoeuvres de soutien mises en scène de façon mélodramatique, ces évènements inopinés donnent aux confrontations un facteur très imprévisible. De quoi pimenter les choses, surtout que les salières prodiguées par "l'esprit divin" font garder le rôle d'arbitre via la distribution à tout moment de points de santé, de magie ou la réanimation d'un équipier.
Mii classieux
Pareil pour la possibilité de mettre en retrait l'un d'eux le temps qu'il reprenne des forces, ou ses esprits, de sorte que Miitopia affecte au joueur une place résolument distincte. Sa philosophie interventionniste s'oppose au dirigisme adopté par une grande partie des RPG et leurs systèmes autrement plus complexes, en témoigne l'inventaire réduit à sa plus simple expression. Un pied de nez supplémentaire à la concurrence, dans la mesure où cette oeuvre apporte sa propre formule. Tellement d'entre eux mènent en effet à marteler frénétiquement le même bouton, employer les mêmes techniques, tout en économisant ses ressources. Avec cette liberté octroyée aux troupes, l'IA se charge d'exploiter l'ensemble des pouvoirs. Et que l'on y voie encore de l'ironie ou pas, les phases de leveling forcent un peu brutalement à tester les différentes classes, assez polyvalentes d'ailleurs. L'originalité de certaines mérite indubitablement le détour, en plus de leur cocasserie hilarante. Nintendo se paye carrément le luxe de rire de ses fans qui disposent d'une large collection d'amiibo, synonyme de tenues spéciales ou de tickets pour les jeux. En abuser est susceptible de ruiner le challenge, déjà peu élevé avec des défaites gentiment sanctionnées par un doux retour au bercail. Que dire enfin des attaques coopératives surpuissantes, sinon qu'elles s'inscrivent à merveille dans la vocation communautaire de Tomodachi Life. En somme, Miitopia s'apparente aussi bien à une initiation au RPG qu'à une satire rafraîchissante, mais dans tous les cas, il joue fougueusement son rôle.