D'abord apparue sous l'appellation "Hunger", le titre dévoilé par les studios Tarsier en mai 2014 se fait plutôt discret jusqu'à la Gamescom 2016 où, sous la nouvelle tutelle de Bandai Namco Entertainment, il refait surface grâce à un trailer des plus intrigants. Il s'octroie par la même occasion un nouveau nom : Little Nightmares, soit "Les petits cauchemars". Le ton est donné.
Le joueur est amené à incarner Six, petite enfant malingre toute de k-way jaune vêtue et retenue captive dans "The Maw", sorte d'antre sous-marine faisant office de complexe hôtelier des plus singuliers, où chaque résident cherchera à lui faire la peau. Son objectif est simple : s'échapper vivante de cet endroit malsain avant que la faim qui la tiraille n'ait finalement raison d'elle.
Six Fed Under
L'ancienne appellation du jeu, Hunger, ne laisse pas de doute quant à la thématique sous-jacente qui émaille l'aventure. En quête de liberté après son évasion, Six n'aura de cesse d'être tourmentée par la faim, elle dont la faible constitution résulte certainement de son enfermement. Ainsi, à la fin de chaque niveau, notre Cosette en imper est contrainte de se sustenter avec ce qui lui tombe sous la main, quitte à se gâter les entrailles... Ces séquences poignantes sont à mettre en parallèle avec la prodigalité avec laquelle sont nourris les résidents de The Maw, véritables ogres insatiables. Difficile de ne pas voir à travers ce contraste l'absurdité de l'appropriation à l'excès par le prisme du tout-dévorant, qui va jusqu'à métamorphoser les êtres.
À la manière d'un Inside, point de dialogue pour expliquer tout cela et les noms de « Six » et de « The Maw » ne sont jamais évoqués autrement que dans la communication de l'éditeur. La narration du jeu, toute en suggestions, n'en est pas moins efficace et intelligible. Little Nightmares tire alors principalement sa force de son esthétique évocatrice.
À fond de cale
Le titre s'appuie sur un contraste saisissant dans les proportions. Les êtres humanoïdes difformes qui peuplent The Maw et qui ne sont pas sans rappeler les oeuvres du cinéaste Jean-Pierre Jeunet apparaissent comme gigantesques à côté de la minuscule Six. De même, tout ce qui entoure cette dernière est démesuré : les portes, les ustensiles, le mobilier en-dessous duquel elle peut se dissimuler...
L'univers de Little Nightmares fourmille en outre de petits détails qui font de l'exploration de The Maw un véritable délice pour les yeux. Les effets de lumière sont saisissants, notamment sur les objets à hauteur de Six, qui semblent luire. On appréciera également la variété des décors traversés, de la bibliothèque regorgeant d'étagères et de livres à la cuisine crasseuse et malveillante. Par ailleurs, un mouvement constant d'oscillation de la caméra permet de figurer le tangage de l'édifice, accentuant davantage cette impression de se trouver au fond d'une cale.
La musique se veut discrète mais néanmoins prégnante quand elle se fait entendre, en particulier lors des scènes-clefs dans la dernière ligne droite du jeu. Mais on retiendra surtout du titre son ambiance sonore générale, tout en cliquetis, clapotements et grincements sinistres. Mention spéciale aux chants étouffés d'enfants lors des « crises » de Six. Un appel de la faim comme une musique lancinante, de quoi filer sérieusement les miquettes.
Un autre regard
Contrairement à la plupart des jeux du genre (Braid, Inside, Unravel), Little Nightmares permet au joueur de se déplacer non pas sur deux mais sur trois plans de l'espace. Par conséquent, Six peut tirer avantage de la profondeur d'une pièce, conférant au titre une dimension exploration plus poussée que celle des jeux précités. On notera que les mains de Six s'appliquent contre un quatrième mur invisible lorsqu'on la dirige vers soi, accentuant cette impression de « maison de poupées » composée de multitudes de pièces à parcourir. À ce titre, le joueur est souvent contraint de revenir dans les pièces précédentes afin de pouvoir dénicher la solution (souvent figurée par une clef) lui permettant de progresser dans le niveau.
Par son statut de fugitive, la fillette doit constamment se soustraire à la vigilance de nombreux ennemis au cours de son évasion. Ainsi, la thématique du regard scrutateur est omniprésente dans le jeu (à travers des projecteurs de lumière, des tableaux...) et transparaît jusque dans le symbole de celui-ci, représentant Six cerclé de paupières.
Toutefois, il est également permis au joueur d'avoir un regard sur ce qui l'entoure puisqu'il peut diriger la caméra à une distance relative du personnage, lui permettant tout de même de scruter les environs.
Persona non grata
Conformément aux codes du jeu de plateforme/puzzle, le joueur ne dispose pas d'une kyrielle d'actions possibles. Grosso modo, Six peut courir, s'accroupir, tirer/pousser un objet, grimper et se servir d'un briquet, uniquement pour s'éclairer lors de la traversée des nombreuses zones obscures du jeu. Tout est fait pour accentuer ce sentiment de faiblesse du personnage, dont la présence semble bien dérisoire face à ce qui l'entoure.
L'intérêt du gameplay réside principalement dans les différences d'aptitudes entre les antagonistes humanoïdes rencontrés, dont le seul but est de se débarrasser de Six comme d'un indésirable. Le bibliothécaire compense sa cécité par la longueur de ses bras, capables d'agripper le personnage qui se dissimulerait en-dessous des tables ou sur les étagères. A contrario, le cuisinier dispose de tous ses sens mais ses petites mimines peinent à atteindre les hauteurs d'une pièce.
Dès lors, il appartient au joueur de comprendre rapidement le fonctionnement de chaque ennemi puis d'agir en conséquence pour ne pas se laisser attraper. Une fois cela intégré, les séquences de cache-cache et d'escapade se révèlent assez simples à jouer.
En queue de poisson
De manière générale, en mettant l'accent sur les phases de plate-forme, avec la verticalité et la profondeur des décors, Little Nightmares présente en fin de compte assez peu de véritables énigmes, la plupart d'entre elles ne sollicitant pas de la part du joueur un effort intellectuel important. Dans la plupart des cas, le personnage doit se démener pour que la créature qui occupe le plan se déplace afin de pouvoir récupérer la clef et progresser. Le level design du titre se montre trop rarement ingénieux, trop souvent simpliste à mon sens, réduisant l'intérêt d'une nouvelle partie.
Et si, malgré tout, il vous arrive de rester bloqué un peu trop longtemps, le jeu vous tend une main secourable en vous indiquant la marche à suivre par le biais de courtes indications, au lieu de vous laisser vous dépatouiller tout seul. D'autant que ces quelques phases où le jeu nous résiste correspondent d'ordinaire à des moments de frustration, comme une porte en partie dissimulée par le plan et qu'il suffit de pousser pour progresser...
Là où le bât blesse également, c'est dans la trop courte durée de vie du jeu. Au-delà de la simple donnée temporelle (4h à peu près pour parcourir les cinq niveaux), le titre nous promet beaucoup tout au long de sa progression, et notamment dans ses deux derniers niveaux, visuellement sublimes et délicieusement macabres, mais qui donnent en fin de compte un sentiment d'inachevé, après un « boss de fin » très abordable lui aussi. En bien comme en mal, on aurait aimé en voir plus de ce Little Nightmares.