Attirant sur lui les regards dès son annonce il y a deux ans, Firewatch a su trouver de quoi alimenter la flamme depuis. Une équipe expérimentée (Jake Rodkin et Sean Vanaman qui ont oeuvré sur The Walking Dead, Nels Anderson, lead designer de Mark of the Ninja, l'artiste britannique Olly Moss), un casting vocal qui a de la gueule et une patte graphique qui subjugue auront suffi à créer de belles étincelles. Mais est-ce que tout ceci est finalement suffisant à allumer le feu ?
Il a pris sa décision. Mis ses affaires dans un énorme sac à dos. Il veut passer un peu de temps loin de la civilisation. Loin des problèmes. Loin d'une vie qui n'a pas été forcément tendre avec lui. Harry a le blues. Besoin d'oublier. Direction le Wyoming, dans la forêt de Shoshone. Cet été 1989 sera chaud et sec. Il le passera dans la tour de surveillance de Two Forks, à guetter que personne ne commette l'irréparable. Après des heures de marche où il aura pu apprécier la beauté des lieux, leur quiétude, il arrive à bon port. Il allume la lumière, une voix parle dans le talkie-walkie. C'est Delilah, son superviseur, qui occupe ce poste saisonnier depuis 13 ans.
L'appel de la forêt
Du moment où vous empoignerez ce radio-émetteur, votre expérience (pour peu que vous soyez anglophone, les sous-titres VF n'étant pas encore disponibles), s'ouvrant avec une scène d'exposition textuelle digne du premier quart d'heure de Là-Haut de Pixar, très plombante et assez réussie, commence. Vous allez pouvoir vous balader à droite et à gauche, découvrir des environnements d'une beauté époustouflante et dans lesquels vous aurez presque envie de vous perdre, avant de reprendre carte et boussole en mains. Il faut dire que sur le plan visuel, Firewatch frappe fort. Si la zone à explorer ne manque pas de limitations agaçantes (dont des murs invisibles qui restreignent une liberté de mouvement qu'on imaginait plus grande) et d'actions contextuelles assez lourdingues pour simplement surpasser un obstacle haut de 30 cm, elle se montre irréprochable dans ses différents traitements esthétiques, que l'on doit en grande partie à Jane Ng, ancienne de Double Fine ayant travailé sur The Cave). Par un choix de couleurs, d'effets et de jeux de lumières bluffants, chaque parcelle de terrain peut se transformer en un tableau, une carte postale, un fond d'écran que l'on découvre à travers les yeux de Henry. Quelle que soit l'heure, la hauteur du soleil ou de la lune. Et puis cette quiétude, ces doux arpèges signés Chris Remo (Gone Home) qui accompagnent certains déplacements, les gazouillis des oiseaux, le bruit de l'eau... On est transporté. S'il n'y avait pas ces fichus problèmes techniques sur PS4 (chargements de zones et sauvegardes qui font cracher les fps, freezes, objets à empoigner qui restent collés à la main et empêchent de voir la boussole...), on jurerait y être.
Modern Talkie
Et l'emploi du talkie-walkie, qui va devenir la pièce maîtresse de l'aventure, n'est pas là pour briser le charme. Par le biais de cet outil de communication certes primitif pour un oeil moderne, mais néanmoins efficace, vous allez vous trouver en permanence connecté à Delilah. Un lien particulier va se tisser entre vous, au travers de dialogues souvent justes, drôles et magnifiquement interprétés par Rich Sommer (Harry Crane dans la série Mad Men) et Cissy Jones (The Walking Dead de Telltale, Life is Strange). Ce sera à vous de choisir le ton, le tempo entre ces personnages manifestement endommagés. Car vous pourrez tout lui dire comme tout lui taire. Lui parler de tout ce que vous verrez, anodin comme intriguant. Répondre dans le temps imparti ou non avec les différentes répliques proposées. La mener vers de fausses pistes. Jouer avec elle. Flirter. Vous montrer désobligeant. Une fois encore, on jurerait y être.
Comme un manque
Alors qu'on peut savourer les différentes forces en action lorsque le protagoniste et sa très invisible interlocutrice discutent, difficile en revanche de ne pas regretter que la trame principale qui laisse planer le doute, la paranoïa, la peur, ne soit pas plus consistante et ne délivre pas, même s'il y a quelques surprises, la petite décharge nécessaire pour faire décoller le tout. Car oui, sans spoiler, on peut dire qu'un mystère plane, que des événements étranges vont se dérouler lors des différentes journées (avec de nombreuse ellipses) dépeintes dans Firewatch. Mais même en y mettant tout son coeur, on ressent à peine l'angoisse ou l'urgence. Le suspense se révèle mal récompensé. Jusqu'au dénouement, après quatre à cinq heures de jeu, on imagine quelque chose de fort. Qui n'arrive pas. Et l'émotion qu'on aurait dû ressentir dans les derniers instants n'y est pas non plus. Il manque quelque chose, une connexion. Un but. Dommage, car le voyage était plutôt joli.