Plus de sept ans après Braid, Jonathan Blow revient sur le devant de la scène indé pour nous livrer son deuxième jeu : The Witness, une nouvelle pépite qui devrait encore retourner le cerveau de tous les joueurs qui relèveront le défi, les poussant à la réflexion dans tous les sens du terme, mais cette fois dans un style très différent...
Je crois que je viens de vivre avec The Witness l'un des challenges vidéo-ludiques les plus intenses de ma vie. Et l'un des plus agréables pour autant. Comme quoi, à l'heure où les créateurs s'imposent de toujours plus nous prendre par la main, de ne jamais trop nous frustrer, c'est un sentiment qu'on pourrait presque avoir oublié. Il y a bien les Souls, notamment, qui jouent aussi avec nos nerfs via la ficelle old-school de la difficulté, mais évidemment The Witness s'intéresse plus à notre jugeote qu'à nos purs réflexes. On n'en attendait pas moins de Blow, qui démontre à nouveau avec maestria la passion qui l'anime pour les casse-têtes, son immense talent à les concevoir, mais aussi la grâce avec laquelle il les met en scène dans un univers qui marque l'esprit.
Myst 2016
Dans The Witness, tout commence par un couloir sombre, long et étroit, tout au bout duquel se dévoile une porte surmontée d'un interrupteur un peu spécial : un panneau où figure une ligne indiquant à chaque bout un point d'entrée et un point de sortie. On pose son curseur sur l'entrée, on trace un trait suivant la ligne jusqu'à la sortie, on valide... Un bruit sourd témoigne de l'activation du panneau, la porte s'ouvre. On découvre alors l'environnement dans lequel nous allons passer au minimum les 30 prochaines heures de jeu : une île déserte, totalement mystérieuse et bourrée de centaines d'autres de ces petits panneaux, évidemment plus complexes que le simple interrupteur qu'on vient d'activer. Car sous ce même principe de lignes à tracer depuis le point d'entrée jusqu'au point de sortie, vous aurez immédiatement affaire non plus à de bêtes lignes, mais aux vrais panneaux casse-têtes du jeu, sous forme de grilles. Ces dernières vous proposeront un challenge sans cesse plus corsé, mais aussi sans cesse renouvelé, malgré leur apparente simplicité.
Mais revenons-en à notre île pour l'instant. Passées les premières séries d'énigmes, vous libérant des ruines qui vous retenaient prisonnier de cette zone de départ (tout en vous permettant de vous faire la main sur quelques grilles assez simples), vous découvrirez donc tout l'environnement concocté depuis plus de sept ans par Jonathan Blow. Et d'un coup d'un seul, car l'île qui nous est proposée est ici un vrai monde ouvert où tout est accessible. Vous pourrez immédiatement vous balader dans les différentes zones que sont la petite forêt, la montagne centrale, le village, le laboratoire, la scierie, la côte désertique... Sur un périmètre assez vaste, pas géant mais ultra bien conçu, avec des zones très variées et parfaitement identifiables.
Vous pourrez ainsi explorer librement le monde qui vous entoure et vous imprégner de cette ambiance de solitude et de mystère. C'est l'un des points (très) forts du jeu. Car là où Braid mélangeait les énigmes à la plate-forme avec brio, The Witness mélange intelligemment les énigmes à l'exploration. L'un dans l'autre, on retrouve un peu de l'ambiance de LOST (la série) et surtout de Myst, le tout avec une patte graphique tout simplement splendide qui nous rappelle No Man's Sky, avec des modélisations volontairement sommaires sur certains éléments comme les roches, des textures duveteuses pour la végétation et des couleurs qui pètent très fort dans des décors radicalement variés... C'est simplement somptueux, plus esthétiquement que techniquement (il y a un peu de popping à signaler, mais ça reste "propre" sinon).
Observer le monde pour le comprendre
Vous allez passer tout votre temps de jeu dans la solitude la plus absolue, sans jamais être confronté à un personnage secondaire, ni même à des explications écrites ou une voix off vous expliquant que faire ou comment le faire. The Witness fait honneur à votre intelligence en vous laissant tout comprendre, tout trouver par vous-même, sans jamais vous prendre par la main.
À ce titre, l'île elle-même fait quelque part office de personnage secondaire, à travers le fantomatique créateur des plus de 650 puzzles qui la composent et en constituent le mystère. Côté narration, outre quelques messages audio et vidéo disséminés ici et là, qui vous parlent plus de notre perception du monde, de ses mystères, de sciences ou de philosophie, rien ne vous donnera de grand indices concrets sur une "histoire" à proprement parler.
Mais dire que The Witness est dépourvu de narration serait pour autant une grossière erreur. Jonathan Blow nous emmène à travers cette série d'énigmes, et à travers l'exploration de cet environnement, dans une véritable réflexion sur notre existence. La narration se fait en réalité par le prisme de vos découvertes, par votre faculté à observer le monde qui vous entoure pour le comprendre. The Witness n'est pas une bête série d'énigmes successives, car ces dernières servent un vaste propos, qui prendra progressivement du sens et trouvera toujours un écho chez le joueur.
Jonathan blew my mind
On ne prendrait pas autant de plaisir au voyage que nous propose Jonathan Blow si son contenu n'était pas si brillant. On parle là d'environ 650 casse-têtes qui relèvent tous plus ou moins d'un même principe de grille... et pourtant, il est fascinant au fil de la progression de constater leur immense variété. Chaque zone du jeu introduit un nouveau concept qui vient corser le principe de base, d'abord avec une série très simple de panneaux qui sont là pour vous faire comprendre ledit concept, puis avec une vaste série de plus en plus difficile, mettant à rude épreuve votre habileté mentale à les exploiter de manière de plus en plus complexe, en incluant parfois l'environnement... Tout cela, je le répète, sans un mot d'explication. C'est en étudiant votre environnement, en gagnant des connaissances sur le monde qui vous entoure, que vous comprendrez de mieux en mieux ce dernier, et avancerez de résolutions en résolutions vers votre but ultime : résoudre les mystères de l'île toute entière.
L'exploration libre et ouverte de cette île permet notamment, lorsque vous bloquez vraiment trop fort sur un puzzle, de passer à autre chose, d'aller voir ailleurs pour commencer une autre série de casse-têtes exploitant une nouvelle idée... En passant d'une zone à l'autre de cette façon, on évacue toute frustration, on croise nos futures conquêtes en repérant des portes fermées par des grilles pour l'instant totalement incompréhensibles... puis on réussi une nouvelle série, qui nous ouvre l'esprit sur une nouvelle façon de réfléchir au problème bloquant d'il y a quelques heures, et nous permet ainsi de revenir avec une idée, fort de notre nouvel apprentissage et enfin capable de débloquer la précédente situation.
À ce titre, The Witness est un jeu qui vous entêtera en permanence, même une fois la console éteinte. Vous allez également sortir très souvent papiers et crayons, voire faire quelques découpages pour mieux visualiser certaines choses... je n'en dirai pas plus, mais indéniablement cette île et ses mystères vous accompagneront dans votre douche, dans les transports et dans tout autre moment du quotidien situé entre deux parties de The Witness... jusqu'à ce que vous en ayez terminé avec lui, et qu'il ne vous laisse finalement avec le souvenir de grands moments, des réflexions plein la tête et une trace indélébile dans votre esprit de joueur.