Chaque nuit automnale nous rapproche du gouffre à vie sociale qu'est Football Manager. On a beau essayer de l'éviter, connaître ses tourments, on y replonge joyeusement, comme aspiré par la richesse de son contenu et la délicatesse de ses courbes. Une fois qu'on y a goûté, difficile en effet d'y échapper, d'autant que les équipes de Sports Interactive, jamais blasées, toujours affûtées, se creusent les méninges pour que l'on renonce à notre cure de désintoxication.
Voilà plus de deux décennies que Football Manager façonne, saison après saison, son image de franchise modèle du genre, grâce à son succès commercial et l'interminable liste de bonnes décisions prises par ses développeurs. Si l'on devait comparer la série à un club, FM serait le Bayern Munich, institution intouchable, jamais décevante, dont les retouches apportées à chaque intersaison lui donnent de l'épaisseur sans trahir son fond de jeu. Ses fidèles lui vouent un culte absolu et la soutiennent les yeux fermés. D'ailleurs, ils n'ont pas attendu l'avis de la presse pour se procurer le précieux sésame. Et sont déjà à leurs claviers pour mener leur armada vers les sommets.
Pour les autres, ceux qui n'ont pas encore fait un stock de provisions pour les huit prochains mois, sachez simplement que pratiquer Football Manager est un mode de vie. Un jeu total qui suscite toutes les émotions possibles et inimaginables qu'un être humain puisse ressentir. Les frontières du management entre réel et virtuel ont sauté depuis une paire d'années. Depuis que certains membres du staff (recruteurs, dirigeants, scouts) utilisent cette simulation de gestion ultra-pointue pour améliorer le quotidien de leur club. Depuis que des anciens athlètes en reconversion testent leurs compétences d'entraîneur sur ce logiciel. Un mélange des genres encouragé des deux côtés, par l'éditeur du jeu, Sports Interactive, comme par les clubs eux-mêmes, et de plus en plus assumé, dans le domaine du recrutement notamment.
Le Joga Bonito sur la touche ?
La réputation de cette série tient notamment à sa base de données extrêmement copieuse, rendue possible grâce à 1300 bénévoles répartis dans 52 pays, et sur la fluidité de son interface. Des valeurs sûres qui ne font pas défaut à cet épisode 2016. Souvent considéré par le passé comme un simple tableur Excel, FM a travaillé ses gammes ces dernières saisons. Et cette nouvelle version a encore franchi un cap, grâce à un menu de navigation épuré, mieux organisé, sur lequel toutes les informations importantes apparaissent en surbrillance. A titre d'exemple, les consignes tactiques attribuées à ses ouailles s'effectuent désormais en quelques clics via un écran bourré de graphiques, pictos et jauges, mais toujours lisible.
La gestion des remplacements a également été facilitée, tout comme l'approche collective des coups de pied arrêtés. Des petits changements appréciables - on gagne en ergonomie - mais qui ne bouleverseront pas les habitudes de ceux qui roulent leur bosse depuis plusieurs années sur leurs schémas de jeu. En revanche, ces mêmes drogués de tableaux noirs peuvent s'estimer lésés contre le moteur 3D du titre qui, même s'il ne constitue pas l'essence-même du jeu, reste proche d'une version nineties de FIFA. La rigidité des animations ne nous permet pas forcément de cerner les corrections à apporter à notre équipe, et il faut se forcer pour ne pas switcher sur la vue 2D, beaucoup plus pragmatique mais moins agréable à l'oeil. L'essentiel est, certes, ailleurs mais on exige toujours le meilleur d'une dame que l'on paie plein pot chaque année.
Les petits plus qui font la diff'
Pour nous faire passer la pilule, ses concepteurs lui ont apporté des modifications en surface. Des retouches plus ou moins utiles, certaines réussies, d'autres beaucoup moins. On n'en rêvait pas forcément, mais l'idée de personnaliser son club de A à Z, comme son avatar (visage, tenue de match, comportement...), n'est pas inutile, renforçant encore le côté immersif du titre. Ces nouvelles options vous permettent non seulement le choisir le nom de votre équipe, son passif, mais aussi les couleurs de votre maillot, et le profil de vos protégés. C'est toujours cool de pouvoir former sa Dream Team de footeux du dimanche et de grimper les échelons. Mais cette "nouveauté" reste un coup de pub déguisé puisqu'il était possible d'entamer cette folle épopée en modifiant l'éditeur de données.
Football Manager 2016 tente également un passage au multijoueur. La création d'un mode "Fantasy Draft" permet en effet aux joueurs de se mesurer les uns aux autres, avec un budget limité. Il faudra donc faire preuve de bon sens et d'un flair certain pour dénicher les perles rares et tirer son épingle du jeu. L'olive sur une pizza XXL. On pourra la croquer par gourmandise comme la laisser de côté pour se concentrer sur la matière principale. L'outil Prozone est tout aussi dispensable, à moins d'être un acharné des datas et de la statistique. Ce tableau à multiples fenêtres vous ouvre ainsi de nouvelles possibilités dans l'analyse de vos matches, mais son austérité et son ampleur est du genre à effrayer le premier allergique aux chiffres. A vous de voir où vous souhaitez placer le curseur de l'exigence et jusqu'où vous être prêts à vous investir pour mettre toutes vos chances de votre côté.
Joue-la comme Gourcuff
D'ailleurs, ce cru se concentre davantage sur la partie "opposition" que sur la gestion des périodes entre les rencontres. Preuve en est, les conférences de presse auxquelles les équipes attachent beaucoup d'importance, mais qui se révèlent à la longue redondantes et parfois peu inspirées. Rien de fâcheux, cela dit, contrairement à cette série de pépins physiques qui gangrène notre effectif. A croire qu'Arsenal a servi de modèle pour régler la souplesse du système de blessures et que nos protégés ont été formés à l'école Yoann Gourcuff. Un prochain patch devrait d'ailleurs désengorger nos infirmeries qui sont à guichets fermés.
On est tatillon mais jamais un Football Manager n'avait offert autant d'outils de personnalisation et une pratique aussi simple d'utilisation que pointue. Surtout, on n'est pas contraint d'attendre plusieurs mises à jour pour apprécier l'expérience, optimale dès la sortie du titre. Et les développeurs sont parvenus à trouver un équilibre de jeu plutôt juste -entre réalisme des actions et diversité des phases - chose rare depuis plusieurs épisodes. Reste cette note mitigée qui tiraille notre âme d'esthète du foot total, quand on voit des fondations aussi solides et une tapisserie vieillotte, voire désuète. Il serait peut-être temps de la remettre au goût du jour.