Malgré l'absence du mot "Soul" dans son appellation, Bloodborne se veut l'héritier résolument spirituel de la saga débutée sur PS3 avec Demon's Souls. Une lointaine parente de la très obscure lignée des King's Field et dont Sony n'a pas vu venir le succès, au point de laisser sa publication à d'autres éditeurs hors du Japon, en dépit de ses bonnes relations avec From Software. Pire : les deux épisodes de Dark Souls ont aussi été lancés sur Xbox 360 et PC, ce que la firme gardait en travers de la gorge. Douloureuse blessure que cette transfusion exclusivement destinée à PS4 vise à guérir, avec le secret espoir de revigorer le concept pour la nouvelle génération. Opération réussie ?
L'ambiance sombre de ce crépuscule sans fin a un air de déjà vu, toutefois Bloodborne abandonne le cadre médiéval de ses prédécesseurs pour un théâtre plus moderne aux allures de Londres à l'époque Victorienne. Entre l'architecture néo gothique de ses rues brumeuses surplombées par d'imposantes tours, les bois inquiétants où la lumière peine à traverser les branchages, et les panoramas lacustres propices à la contemplation, Yharnam évoque les romans de Sir Arthur Conan Doyle et les peintures de J. M. W. Turner. Une poésie pleine de noirceur que sa narration distille goutte à goutte, au fil de l'aventure. Si le scénario des Souls ne servait que de toile de fond, celui de Bloodborne fait littéralement corps avec le récit, tout en laissant planer un épais mystère sur les tenants et aboutissants volontairement ésotériques de ce véritable cauchemar. Il débute ainsi par une mystérieuse expérience de transfusion sanguine, prélude à un réveil pour le moins brutal face à un loup-garou. A peine le temps de reprendre ses esprits que la mort frappe, impitoyablement, accompagnée du son à glacer le sang des os qui se brisent et de la chair déchiquetée.
Rite mortuaire
L'apprentissage par l'échec, une méthode traditionnelle - pour ne pas dire archaïque - sur laquelle s'appuie à son tour Bloodborne. Pour mémoire, la mort n'est ici pas une fin en soi, mais une simple sanction invitant à mieux gérer une situation, ou à s'y prendre différemment. Et s'il n'est plus question de revenir sous forme fantomatique, chaque décès ramène à la dernière lanterne. Celles-ci remplacent les feux de camp, de la même manière que les échos de sang se substituent aux âmes, qui jouent toujours le rôle de points d'expérience. Or ce précieux butin reste à l'endroit précis où l'on trépasse, à moins qu'un ennemi ne l'absorbe - une fulminante évolution de cet opus. Dans les deux cas, il faudra récupérer son dû avant de succomber à nouveau, car il serait dès lors définitivement perdu. De quoi donner une furieuse envie de retourner sur les lieux du crime, voire de se venger en traquant le coupable, trahi par une lueur dans le regard quand il s'est rassasié avec notre dépouille sanguinolente. Ces principes permettent de maintenir la pression, tout en incitant à progresser sans cesse, puisque l'adversité se régénère également à chaque résurrection (hormis les Boss).
L'art de tuer vite et bien
Cette formule, encore un peu laborieuse au départ, en découragera certains. Néanmoins son caractère punitif se montre rarement injuste, dans la mesure où les sempiternels soucis techniques de la série ont été largement gommés. Les chutes de frame rate sont très ponctuelles, surtout en solo. Et si les cheveux et autres fourrures paraissent quelquefois en carton, la raideur des mouvements se justifie par la rigueur du timing. Seul grief persistant, le système de verrouillage de la caméra peine à suivre les créatures virevoltantes, ou à cibler l'ennemi voulu au sein d'un groupe. Car nos vilains sbires ont désormais tendance à se déplacer plus agilement et en meutes, de sorte qu'une offensive frontale s'avère souvent suicidaire. Mieux vaut les prendre par surprise, ou les disperser par le biais de diversions, en lançant des galets par exemple. Ensuite, la fuite demeure une stratégie louable, cependant Bloodborne met l'accent sur l'agressivité. Cette démarche se traduit par le retrait des boucliers, les manoeuvres de défense se résumant à l'esquive. En outre le carnage est encouragé par la distribution généreuse de fioles de sang et un système de regain de santé, avec des dommages atténués ou même annulés quand on contre-attaque immédiatement.
Arsenal polymorphe
Résultat, une férocité sans borne, soulignée à grands renforts d'effusions de sang, des joutes nettement plus dynamiques, et une prise en main moins ardue pour les néophytes. Cela ne signifie pas que les combats aient perdu en finesse pour autant, puisque l'arsenal s'inscrit naturellement dans cette logique. Les armes blanches sont dorénavant transformables en deux déclinaisons, la première plus rapide et vouée au corps à corps tandis que la seconde se distingue par davantage d'allonge et de puissance au détriment de la vitesse. Ce changement s'effectue d'un simple appui sur L1, même au beau milieu d'un enchaînement, avec une attaque spécifique à la clé. S'y ajoutent les armes à feu, elles aussi plus ou moins efficaces en fonction de la distance et de la taille des ennemis. En raison des munitions limitées et de l'absence de double fonction, ces jolies pétoires se cantonnent toutefois à un rôle d'appoint, notamment celui d'interrompre une combo adverse dans son élan. Deux armes de chaque peuvent être équipées, un choix crucial qui définit le style de combat, éventuellement modifié selon la nature des opposants. Il s'agit toujours de les approcher et de les observer précautionneusement, avant de déterminer le moment opportun pour les occire, faute de quoi c'est la mort assurée.
Doux purgatoire
Dommage qu'il faille systématiquement subir une trentaine de secondes (voire plus) de temps de chargement après chaque décès, un souci très regrettable que l'on nous promet de corriger rapidement via une mise à jour. Idem pour les pauses récurrentes qu'occasionnent les téléportations dans le "Rêve du Chasseur" afin de dépenser ses réserves d'hémoglobine, utilisée comme monnaie pour la montée en niveau, l'amélioration des armes ou l'achat de divers objets. Cette bâtisse intrigante entourée de pierres tombales ne ressemble pas de prime abord à un décor onirique. Pourtant sa quiétude s'apparente au paradis en comparaison des contrées lugubres et oppressantes de Yharnam auquel ce lopin de terre permet d'accéder, une fois les lanternes des différentes zones découvertes, tel un HUB, à l'image de Demon's Souls. Le monde de Bloodborne n'en demeure pas moins cohérent, puisqu'il se révèle interconnecté, et même de plus en plus ouvert à mesure que les portes se déverrouillent. Lentement mais sûrement, la trame se dévoile, la plupart du temps par l'intermédiaire des habitants cachés dans leurs maison, des rencontres quelquefois synonymes de précieuses informations et de missions annexes.
Casse-tête architectural
L'exploration suit le même processus, au travers de détours et de raccourcis plus ou moins dissimulés qui témoignent d'un travail de level design plus impressionnant que jamais, bien que certains passages requièrent de fastidieuses séances de collecte de sang au préalable.Et l'on redécouvre cet univers suivant l'angle par lequel il est abordé, une façon de constater les changements de ce microcosme, notamment sur les patterns ennemis. Ces derniers sont la plupart du temps réglés comme une horloge, mais il suffit d'une interaction pour chambouler de tels puzzles, a fortiori avec l'IA facétieuse de certains énergumènes. L'assimilation de ces comportements et de leur positionnement constitue une tâche éprouvante, et néanmoins fascinante, jusqu'à en perdre la raison à force d'écouter le delirium marmonné par les autochtones. Rien n'est plus effrayant que de tomber face à une abomination inconnue, et en triompher s'avère d'autant plus gratifiant que l'on a souffert pour y parvenir. Mieux, on en redemande, une plongée dans la bestialité dévorante rétribuée par des points de lucidité. En cas de réelle difficulté, on a toujours la possibilité de consulter les messages laissés par d'autres joueurs, d'assister à leurs morts pour éviter de connaître le même sort, ou de leur demander un coup de main.
Enfer sous terrain
Ces visites et les parties coopératives qui en découlent représentent encore le noyau dur de la dimension multi joueur, même si les plus belliqueux solliciteront des intrusions moins amicales, moyennant des points de lucidité. Seulement cette fois, les parties peuvent également se dérouler au sein de donjons générés aléatoirement, que l'on a ensuite loisir de partager en ligne. C'est là que résident les monstres les plus dangereux, tant que l'on veille à relever le niveau de l'adversité en se livrant à de nouveaux rituels. En outre ces dédales sous terrains regorgent de pièges, une facette essentielle de la saga relativement discrète dans le monde du dessus. Et ils renferment bien sûr de sacrés trésors, avec des objets aux caractéristiques parfois époustouflantes en récompense. Hélas leur structure manque fatalement d'imagination, et de variété, de sorte que seuls les acharnés y trouveront leur compte, sans oublier les réjouissances que réserve l'habituel "New Game +". La durée de vie se révèle cependant un tantinet moins longue qu'à l'accoutumée, avec près d'une quarantaine d'heures pour achever la quête centrale. Doit-on y voir une concession à destination du commun des mortels, les conséquences de la transition sur PS4, ou tout simplement l'expression d'une oeuvre accomplie ? En tout cas, plus besoin d'avoir l'éternité devant soi pour étancher sa soif de sang, fût-elle insatiable.