Impossible de dissocier la série Xeno de son créateur, Tetsuya Takahashi, au point que ce RPG initialement intitulé Monado : Beginning of the World n'a guère tardé à être rebaptisé Xenoblade. Certains lui prédisaient un sombre avenir, dans le sillage de Xenosaga, en raison des ambitions démesurées de notre "übermensch". Pourtant cet adepte de Nietzsche a offert à la Wii l'une de ses oeuvres les plus accomplies, digne de figurer aux côtés de Xenogears. Son portage exclusivement destiné à la New 3DS permet-il de conserver ce monument intact, voire de le redécouvrir sur portable ?
Un horizon dessiné par les hautes herbes, qui se courbent sous le vent. Un ciel azuréen, où planent paisiblement de gigantesques nuages. Et au milieu trône une épée mystérieuse, plantée à côté de quelques débris mécaniques... C'est sur cette page que s'ouvre à son tour Xenoblade Chronicles 3D, une fenêtre de plénitude sur ce monde littéralement colossal. Il repose en effet sur les épaules de Bionis, le dieu des hommes, figé sur place alors qu'il portait un coup fatal à Mékonis, le dieu des Mékons, et réciproquement. Toutefois ce statu quo n'empêche pas leurs hôtes de se livrer une guerre sans pitié. D'un côté, l'univers verdoyant des humains qui vivent en harmonie avec la Nature. De l'autre, celui des machines et ses plaines de désolation, surplombées par des usines. Or nos monstres de métal n'ont semble-t-il de cesse que d'envahir les terres de leurs voisins, en les absorbant au passage.
Gigantisme
Le jeune Shulk fait justement partie d'une colonie « d'Homz » menacée, et farfouille aux alentours dans l'espoir de dénicher des carcasses de robots à bricoler. Ce canevas évoque immanquablement Nausicaa : La Vallée du Vent, des similitudes confirmées dès lors que l'on arpente ces immenses étendues. Des collines, des rivières, des forêts, des lacs et des montagnes se dressent à perte de vue, avec le vide et d'abruptes falaises pour seules frontières. Ainsi un souffle de liberté nous emporte immédiatement dans ce monde tantôt baigné de soleil, tantôt ruisselant de pluie. Évidemment la végétation apparaît moins foisonnante et les textures moins fines que sur Wii, la baisse de résolution entraînant un crénelage plus marqué. Cependant ces anicroches s'oublient vite devant de tels paysages, observés à l'aide du stick C, d'incroyables panoramas que la 3D auto stéréoscopique rend encore plus vertigineux. Et ce splendide décor n'a rien d'une nature morte...
Hors-piste
D'innombrables animaux habitent ces contrées, soumises aux variations diurnes et nocturnes. Une atmosphère débordante de vie dont on a tout loisir de s'imprégner, tant Xenoblade encourage l'exploration buissonnière. Point de cut-scenes intrusives et dirigistes ici - ni hélas de voix nippones, puisque cette version New 3DS ne propose que les doublages en anglais. L'endroit où l'histoire doit reprendre son cours est clairement signalé, ce qui laisse libre de vagabonder aux quatre coins de chaque région. Ou presque, car la faune ne se montre pas toujours pacifique, et encore moins indifférente aux pérégrinations de nos aventuriers. Certaines espèces réagissent au bruit, d'autres à l'agression de congénères, voire simplement à l'intrusion de proies sur leur territoire. D'ailleurs la présence de bestioles au niveau démesuré suffit à indiquer les lieux trop dangereux, qu'il convient de visiter plus tard. Mieux vaut alors prendre la fuite, bien que l'éradication de l'équipe n'occasionne pas le moindre malus.
Terre d'opportunités
On se retrouve juste au repère le plus proche, des balises qui servent aussi à se téléporter n'importe où sur la carte, désormais quasiment sans temps de chargement grâce au changement de support. Monolith Soft avait en effet déjà soigneusement gommé sur Wii les éventuels aspects fastidieux de ces longues balades, et des rencontres parfois fâcheuses qu'elles suscitent. Les plus impatients peuvent même faire avancer l'horloge à leur guise, quitte à écorner légèrement le sentiment d'immersion dans cet océan de quêtes plus ou moins optionnelles, selon les liens établis avec la population, sociogramme à l'appui. Entre la collecte d'objets, de métaux et d'ingrédients éparpillés un peu partout, les tâches se cantonnent plutôt aux sentiers battus, mais s'enchaînent avec un naturel désarmant. Quoiqu'il faille se tenir sur ses gardes, en particulier durant la traque de créatures uniques.
Chasse et cours
Dès que l'on se fait repérer, la confrontation commence, sans aucune phase de transition. Le pad circulaire est voué aux déplacements du meneur, qui pourfend automatiquement la cible à proximité. L'IA s'occupe des deux autres membres de la formation, souvent avec opiniâtreté suivant les ordres. Et heureusement, parce que la collaboration se révèle fondamentale, notamment pour manoeuvrer les ennemis en dirigeant leur hostilité vers l'un des personnages, pendant que ses coéquipiers s'organisent. Doit-on y voir à nouveau l'inspiration de Nausicaa ? Une chose est sûre, les affrontement tirent leur dynamisme de ces principes, malgré la confusion engendrée par une adversité massive et la fluidité sensiblement en retrait de ce cru portable. Surtout que le positionnement de la croix en dessous du pad n'autorise plus la sélection des "Arts" simultanément aux mouvements, une vraie lacune par rapport au duo Wiimote/Nunchuk avec des conséquences quelquefois très préjudiciables.
L'art des lames
Dommage que l'écran tactile ne soit consacré qu'à l'affichage de la mini carte, de l'heure et des informations relatives à ses troupes. Cela libère néanmoins un précieux espace sur l'écran supérieur, tout spécialement pour la palette d'Arts, qui englobent l'ensemble des techniques de combat, y compris les magies. Ces pouvoirs évolutifs constituent la facette la plus tranchante du gameplay, a fortiori avec l'élaboration des combos. S'y ajoute une jauge de motivation collective pour ranimer ses camarades, ou déclencher une offensive coordonnée. A ce moment précis l'action s'arrête, le temps de sélectionner les Arts qu'effectueront nos compères, dans l'optique de briser la résistance adverse. De fait, le choix de ces aptitudes régénératives et de leur timing s'avèrent des points stratégiques essentiels. Enfin n'oublions pas Monado, l'arme maîtresse de Shulk et la pierre angulaire de Xenoblade. Sa montée en puissance, phénoménale, va de pair avec l'intensité du scénario.
Histoires parallèles
Au-delà de ses capacités dévastatrices, cette épée laisse entrevoir l'avenir, un atout précieux pour éviter un funeste destin à son porteur, ou à ses compagnons. De la même façon que batailler à l'unisson donne accès à des habilités spécifiques, des liens se créent entre nos héros, qui s'encouragent (ou plaisantent) carrément au beau milieu de la mêlée ! Ces relations évoluent au fil de leurs conversations en aparté, dont on peut influencer la tournure. Il est aussi possible de les zapper, mais cela rimerait à se priver de tout un pan du développement des personnages, et d'une narration si délicatement bâtie. D'ailleurs le nouveau mode Collection permet d'admirer les principaux protagonistes sous tous les angles, ou d'écouter les musiques à l'envi. Ces éléments se déverrouillent via un système de loterie, avec des jetons obtenus par le biais du StreetPass, des pièces de jeu et de l'amiibo de Shulk.
Galerie de portraits
Un peu léger comme bonus, et pas très original, à l'image du casting qui rappelle tellement celui de Soma Bringer (entre autres points communs). Le classicisme du Character Design cache pourtant une intrigue autrement plus profonde qu'il n'y paraît. Le voici donc, l'énorme background inhérent à tous les représentants de la saga... Seulement cette fois, Takahashi a choisi de raconter son histoire pas à pas, plutôt que de nous ensevelir d'emblée sous une montagne de références énigmatiques. La longueur de l'épopée, une cinquantaine d'heures au bas mot, facilite bien entendu la construction très posée du récit. Et découvrir cet univers à notre rythme ne signifie pas que la trame centrale s'évanouisse au second plan, ni qu'elle manque de rebondissements. La tension va crescendo de bout en bout, tandis que les instants d'évasion jouent le rôle de respirations contemplatives.
Le sens du son
Idem pour la bande son, une partition collégiale composée des thèmes épiques de Yuko Shimomura, des mélodies atmosphériques de Manami Kiyota et des notes synthétiques d'ACE+, sans oublier le retour anecdotique Yasunori Mitsuda pour le générique de fin, le tout sous la houlette de Takahashi San. La beauté de ces morceaux déteint sur le jeu autant que l'inverse, et ils présentent une véritable unité, un équilibre qui reflète sans doute la sérénité atteinte par l'auteur. Oubliées, les circonvolutions du passé. Tetsuya Takahashi est enfin parvenu à concilier les mécaniques complexes de sa machine à écrire avec l'humanisme de sa plume, pour signer ce RPG d'exception, l'aboutissement limpide de toute son oeuvre. Et si ce portage sur New 3DS reste dans l'ombre de son homologue sur Wii, c'est pour mieux se cacher dans celle de nos poches.