Enfanté en 2012 par les seuls Jonatan Soderstrom et Dennis Wedin, Hotline Miami n'avait rien du triple AAA policé dont raffole les foules. Moche, méchant, violent, bercé par une électro énervée et biberonné à toutes sortes de substances hallucinogènes, ce sale môme s'est affirmé comme un admirable diamant brut. Au point de devenir culte. Au point de craindre qu'un second rejeton apparaisse forcé, inutile, dénué de l'énergie et de la pureté initiales. Rassurez-vous : le bébé se porte bien.
Hotline Miami, c'est simple. Mais c'est complexe. Simple, parce que minimaliste à souhait. Twin stick shooter en vue aérienne sans aucune complication dans la prise en mains, il ne donne qu'un objectif pour chaque niveau : nettoyer tous les étages traversés de ses antagonistes. Et là, tous les moyens sont bons. On fait avec ce qu'on ramasse. Les poings, une batte, un couteau, une barre de fer, une mitraillette, un fusil à pompe, un silencieux, un marteau, un skate... Du moment que ça permet d'éclater des gueules et de semer la mort, on prend, on use et on se jette à la face des agresseurs, si possible à toute vitesse. Là où ça devient complexe, c'est que s'il suffit d'un ou deux coups pour terrasser l'ennemi, la règle s'applique aussi à votre avatar. Et qu'en aucun cas on ne vous fait de cadeau. Le potard du die & retry (avec respawn instantané, pour ne laisser aucune place à la frustration) est poussé à son maximum. La sensation d'être ce tueur à gages implacable de film d'action Hongkongais, l'attribution d'un score de rang S, synonyme de perfection dans l'exécution, ça se mérite. Encore plus dans cette suite.
No Crying Freeman, no cry
Et c'est là que vous vous demandez ce qui différencie ce volet de son illustre aîné si l'ossature reste la même. D'abord son level design, encore plus inspiré, encore plus vicieux. La difficulté est montée d'un cran. Dans les 25 stages proposés, qui prennent une bonne dizaine d'heures à retourner, les vilains sont disposés de telle manière qu'à l'ivresse meurtrière et l'extase provoquée par des combos opérées comme en pilote automatique, se marie la crainte. Celle du toutou oublié hors-champ. Celle du dernier type qui ne plie qu'aux attaques de mêlée alors qu'on l'arrose de balles, ou de celui qui, au contraire, ne rendra son dernier souffle qu'en vidant son chargeur. Celle du pauvre keum derrière une vitre totalement occultée. Tous fondront sur vous comme un nid de frelons. La mémoire, quand bien même le replacement n'est pas identique à vos réapparitions, va aller de pair avec les réflexes et un peu d'astuce. Faire du bruit et attendre sagement derrière une porte. Verrouiller - mais pas trop, parce que c'est traître - ceux qui refusent de bouger d'un pouce. Checker les angles. Tout va tellement vite qu'il vaut mieux, parfois, pour commencer, jouer la prudence. Mais ce sera pour mieux revenir plus tard en mode Hard, débloqué une fois la campagne terminée et qui met sens dessus-dessous les séquences connues, et sur les leaderboards. Parce que le fun procuré par ce gameplay instinctif, brutal, animal, ne connaît pas de limite. A part la fatigue nerveuse.
Babylon Zoo
Cette chorégraphie sanglante - qui a eu la bonne idée de s'exonérer des phases de furtivité pénibles de l'original - gagne aussi et surtout en variété. D'abord du côté des protagonistes. Cette fois, pas de seul héros avec pléthore de masques et/ou spécificités à choisir. Ils sont plusieurs, désignés d'office pour faire le sale boulot dans des passages précis. Ces différents acteurs ont, pour la plupart, leur propres capacités. L'un fait des roulades pour esquiver, l'autre ne se sert que de ses poings mais tue en un coup, un autre permet d'écarter les bras pour orienter ses tirs de mitraillettes avec classe, le journaliste refusera de tuer ou de prendre les armes à feu, préférant balourder les chargeurs lorsque vous tentez de les empoigner... enfin, si vous le forcez, il ne résistera pas longtemps pour faire gicler un peu d'hémoglobine. Et puis il y a Alex et Ash qui marchent en binôme avec soutien balistique et tronçonneuse sur chaque touche d'action. Ce que l'on prend pour une limitation permet surtout de tenter d'autres choses, de devoir s'adapter, d'être déboussolé. Pour mieux se sentir investi du devoir de progresser, le jeu étant difficile mais certainement pas impossible. Des masques optionnels se débloqueront pour tous, amenant de nouvelles approches possibles - mention spéciale au masque de serpent qui permet l'usage d'un nunchaku - et donc encore de la rejouabilité.
Ex-fan des eighties
Cette diversité se retrouve aussi au niveau des lieux à tapisser de tripes, boyaux, membres, têtes coupées et bouts de cerveaux. Le scénario, un casse-tête macabre totalement déstructuré et plutôt audacieux dans sa finalité, nous promène à travers différentes époques des années 80 et 90 et des environnements qui vont des bâtisses cradingues à des installations militaires dans la jungle en passant par une boîte de nuit, une prison ou encore un bateau. Un poil affiné et stabilisé (quand bien même il reste quelques bugs comme des vigiles pris d'épilepsie ou de saturnisme ou que le pathfinding du duo laisse à désirer), le moteur continue d'afficher un style unique. Dérangeant, criard et tellement eighties en termes de palette de couleurs, probablement dégueulasse pour certains globes oculaires délicats, mais sans aucun doute unique. Du pixel simple et coloré qui parvient à se révéler très précis dès lors qu'il s'agit de représenter le sol jonché de cadavres éviscérés, décapités, pulvérisés, éparpillés façon puzzle ou, pour les plus chanceux, récemment dépourvus de tête et d'épine dorsale. Simple, mais très efficace. Quand bien même la lisibilité est parfois remise en question, volontairement.
Sucé jusqu'à l'O.S.T.
Impossible, enfin, de ne pas évoquer la plus grosse star de ce Wrong Number : la musique. Perturbator, Carpenter Brut, Vestron Vulture, Mega Drive, Mad Animals, El Tigre, Jasper Byrne, M.O.O.N. et j'en passe : tous ces artistes se sont donnés rendez-vous pour faire de cette B.O. une expérience à part entière. En tout point inoubliable, elle évoque sans aucun doute cette époque formidable où l'on portait la mullet en short fluo Agassi en rêvant de voitures volantes. Elle pourrait figurer dans n'importe quel film policier des années 80, avec ses synthés agressifs et ses beats lourds qui claquent en rythme avec les coups que vous assénez. Cette bande-son renforce le côté trip sous acides de la partition visuelle, qui nous laisse toujours nous interroger sur la nature réelle ou totalement rêvée des événements. En gros, ça bastonne et il est difficile d'en décrocher une fois l'écoute entamée. Un petit côté entêtant qui provoque lui aussi ce besoin de ne pas décrocher de cette suite qui, rappelons-le, va bénéficier d'ici peu de temps d'un éditeur de level ultra simple qui devrait permettre de rester dans ce funèbre pays des merveilles pour longtemps. Très longtemps.
On attendait Dennaton au tournant, le silencieux à la main pour les flinguer en cas de faux pas. Sauf qu'ils ont trouvé le moyen de nous surprendre et nous toucher en plein coeur. En restant fidèle à la philosophie du premier épisode, en affinant certaines idées et en faisant le pari de la diversité, Hotline Miami 2 parvient à se montrer encore plus puissant que l'original. Une vraie drogue aux effets ravageurs