La guerre... la guerre ne meurt jamais. Ce qui n'est pas le cas des êtres qui ont la malchance d'y être mêlés. Porteur d'une imagerie et d'un message troublants, This War of Mine habite plus qu'il ne divertit. Un titre rare.
Le thème de la guerre a toujours été au coeur de l'univers du jeu vidéo, généralement représenté par un GI arme au poing, à la première personne, une pluie de balles sifflantes, des explosions entre le feu d'artifice et le souffle mortel... Un titre s'intéressant au point de vue de civils tient de l'exception, surtout lorsqu'il évoque à ce point des expériences douloureuses ou traumatisantes, et emprunte à cet égard des chemins de traverse où se perdra le grand public. Les sentiers de la gloire, sur une constellation d'autres productions plus divertissantes et abordables, leur sont grands ouverts.
War Survival
Premiers pas, premier choc. Visuel. This War of Mine débute par un lent travelling latéral, et nous fait découvrir un bâtiment en ruine de plusieurs étages selon une vue de coupe qui n'est pas sans rappeler Little Computer People, version post-apocalyptique. Un décor riche de détails graphiques, soutenu par un effet crayonné du plus bel effet et des notes de piano, superbes dans leur évocation de la désolation, qui parachèvent le tout. 11 bit studios signe, pour le moins, un excellent jeu d'ambiance. Dans cet univers criant sa volonté de réalisme, vous faites la connaissance de trois survivants évoluant en pleine guerre civile. En ce qui me concerne - l'aventure étant aléatoire à de nombreux niveaux - ce sera Katia, une journaliste (qui possède de bonnes compétences de marchandage), Bruno, qui animait sa propre émission télévisée de cuisine (capable, donc, de concocter des plats nourrissants à partir d'ingrédients de base) et Pavle, une ancienne star de l'équipe de foot locale (bon coureur). Trois profils très différents réunis sous le même toit par un coup du sort, qui pourront être rejoints par d'autres figures au cours de l'aventure.
Plus belles les vivres
Réduits à l'état d'animaux cherchant leur pitance, les membres de votre équipe ne raisonnent désormais plus qu'en termes de survie. Il faut penser à construire des lits pour mieux se reposer, des barricades pour protéger certains accès, une radio pour s'informer de ce qui se passe en ville (ou écouter un peu de musique classique et se détendre)... Bien sûr, la nourriture dans un premier temps, puis les médicaments dans un second, constituent une de vos priorités. Et puis il faut se chauffer lorsque la température vient à baisser, et penser à se défendre en fabriquant des armes... Autant d'impératifs dont il faut hiérarchiser l'importance à chaque journée qui passe (dédiée à l'amélioration de votre intérieur, sachant que vous ne pouvez pas vous rendre à l'extérieur à cause des snipers), avant d'envoyer un membre de votre équipe récupérer des fournitures en différents endroits de la ville, chaque nuit. Ainsi, rapidement, This War of Mine se transforme en jeu de gestion : le bric-à-brac que vous ramenez chaque matin servira à construire, en vrac, atelier de métallurgie, distillateur, filtre à eau de pluie, poêle rudimentaire... Rapidement, l'ambiance, déjà peu à la fête, devient lourde. Lorsque la faim se fait sentir, que la fièvre affaiblit, que le moral tombe et qu'une attaque de pillards durant la nuit a fait un blessé, l'à-peu-près n'est plus une option. La nécessité de savoir gérer ses ressources de la meilleure façon possible, au jour le jour, n'est même plus essentielle : elle devient rapidement critique.
« Jour 25 : Nous avons de la neige... »
Laborieux dans ses mécaniques, que l'on peut imaginer volontairement rigides - ici on ne « joue » pas à la guerre, on la subit -, This War of Mine se révèle brillant par son ambiance, ses enjeux, ses imprévus... Il oblige ainsi le joueur à sortir peu à peu de sa zone de confort, et à prendre toujours un peu plus de risques. Sachant que l'aléatoire, dans le jeu, est une règle (on ne sait jamais ce que l'on va trouver exactement à un endroit, les réactions des PNJ ne sont jamais évidentes...), chaque rencontre peut avoir de graves conséquences, chaque endroit fouillé représenter un danger inattendu. Ces enfants qui frappent à votre porte pour vous demander d'aider leur mère ne risquent-ils pas de vous déposséder d'un médicament qui sauverait l'un des vôtres plus tard ? Ces soldats qui invitent au troc n'ont-ils pas au fond, arme au poing, la tentation d'utiliser la force ? Et ce personnage itinérant qui vient vous proposer ses marchandises ne profite-t-il pas de la situation pour vous déposséder d'objets précieux ? Contrairement à la plupart des jeux, dans lesquels l'évolution des personnages les voit devenir plus forts, mieux armés, plus résistants, This War of Mine impose sa loi de l'usure : au bout de quelques jours, si tout s'enchaîne mal, un personnage peut ainsi manquer de sommeil, avoir faim, être blessé, malade, et, on l'imagine, couver une dépression sévère. Poussé à bout, si le corps ne lâche pas d'abord, l'esprit peut alors craquer, et inviter à un soulagement sans espoir de retour... au grand désespoir des protagonistes restants. C'est l'observation de ces caractères soumis à une pression perpétuelle qui fascine, la vision de ces corps chaque jour meurtris, l'étude de ces liens qui se renforcent ou se désagrègent, tandis que les espoirs fondent et que l'entraide si évidente du début laisse place à des sentiments plus égoïstes. Jusqu'à une fin souvent douloureuse, même lorsque la vie l'emporte. Une espèce de laboratoire de l'humain dont on ne ressort pas totalement indemne.
Proposant un gameplay cloisonné, voire austère dans ses contraintes, This War of Mine n'est certainement pas un titre qu'on lance pour se détendre après une journée harassante. D'un point de vue ludique, le jeu se révèle plus éprouvant que distrayant, et l'on regrette certaines limites qui le rendraient davantage "user friendly" (autoriser deux personnages à aller looter des matériaux la nuit au lieu d'un seul, par exemple), ou lui apporterait davantage d'envergure (absence de véritables dialogues, événements qui s'effectuent « en fond » sans que l'on sache vraiment ce qui se passe...). Reste un titre au magnétisme puissant, qui adopte un point de vue encore jamais traité avec une telle originalité et un tel brio dans un jeu vidéo.