Dans la douceur d'un dimanche après-midi, je télécharge Monument Valley. L'écran titre m'accueille avec ses lettres se disloquant, cette musique m'enveloppant et ses formes géométrique s'entrechoquant délicatement. Un peu plus de 2 heures plus tard, l'aventure s'achevait. Comme une parenthèse enchantée pour un jeu aux influences mêlées, témoin d'un plaisir inespéré...
Les explorations de l'infini, les constructions impossibles et les trompes-l'oeil oniriques de Maurits Cornelis Escher en point de départ évident. Les styles graphiques et ludiques de FEZ, Sword & Sworcery et Echochrome comme matrice générale. Pas de doute : Monument Valley parvient à digérer les références pour en faire émerger son identité toute personnelle.
Vous êtes Ida, étonnant personnage laiteux dans un monde géométrique parsemé de corneilles de noir vêtues. Une princesse à chapeau pointu, dans un monde habité par des becs pointus. Citadelles imprenables, montagnes abruptes, poupées russes ou tombeaux mystiques se déconstruisent ici d'une simple pression du doigt. Dans ce jeu de réflexion où il faudra apprendre à composer avec les perspectives, à s'affranchir du rationnel (les notions de bas et de haut s'estompent rapidement), tout paraît rapidement naturel. Les règles sont simples : il est possible de déplacer des blocs d'un geste, de manier des leviers, de faire tourner des roues pour dévoiler des chemins, de façonner le décor pour en faire émerger des chemins vers le lointain... De plus en plus complexe, l'architecture des lieux reste pour autant étonnamment lisible, permettant à la réflexion de s'épanouir sans réelle frustration.
J'avance, donc je suis...
C'est d'ailleurs l'un des points qui m'aura séduit. Oui, le voyage n'est pas long (10 chapitres pour environ 2 heures de jeu), il serait même du genre de ceux que l'on fini d'une traite. Mais c'est justement en cela qu'il puise aussi l'une de ses singularités. Une sorte de haïku numérique. Une parenthèse de jeu et de sensations. Un petit goût de trop peu ? Peut être, mais la sensation avant tout que rien n'a été dilué, que l'on a touché du doigt un nectar exaltant. Monument Valley m'a séduit pour sa capacité à laisser une trace. A l'image des grands jeux, plusieurs jours après l'avoir traversé de part en part, mon esprit vogue encore parfois dans son univers coloré et désarticulé.
Cette osmose entre l'élégance visuelle et le raffinement sonore, ce soin apporté aux détails, ne peuvent laisser insensible. Et quelle sensation unique lorsque chaque glissé de doigt sur l'écran produit un tintement. Lorsqu'au détour d'une muraille, que l'on monte ou descend, les sons accompagnent chacun de nos mouvements. Au delà du carcan parfois un rien étriqué du simple "jeu", avec ses codes bien établis, Monument Valley est de ceux qui parviennent à tisser avec le joueur une relation quasi fusionnelle, en tout cas clairement sensorielle.
Haïku numérique
A l'image d'un Journey ou d'un Limbo, avec une économie de mots, Monument Valley parvient à raconter son histoire. Chaque chapitre apporte ainsi son lot de nouvelles interactions, de nouveaux lieux, de satisfactions visuelles et sonores... tout en levant délicatement le voile sur l'histoire générale. Sur Ida et ce peuple étonnant. La sensation de découvrir un monde finalement cohérent, disposant d'un passé et d'un avenir comme l'atteste le final...
J'ai eu la chance de me rendre à Monument Valley dans l'Arizona. Face à tant d'immensité, de formes défiant l'imaginaire, votre esprit s'échappe loin, très loin. Lorsque vous revenez à votre réalité, vous n'êtes plus totalement le même. Désormais, une part d'éternité ne vous quittera plus... un peu comme avec ce jeu, qui a définitivement bien choisi son nom.