Si Ys compte de nombreux opus, la franchise s'est très rarement aventurée dans nos contrées, a fortiori sous forme matérialisée. Il a d'ailleurs fallu que Falcom reprenne l'histoire depuis le début pour que le public occidental puisse découvrir toute l'envergure de ce vénérable Action-RPG, proche parent de l'oeuvre fondatrice du genre, Dragon Slayer. Après Ys (VI) : The Ark of Napishtim, le mythique studio nippon a ainsi revisité les quatre premiers épisodes à travers Ys I & II Chronicles, Ys : The Oath in Felghana et Ys : Memories of Celceta. Mais au delà de raviver les mémoires, ce dernier parvient-il à explorer de nouveaux horizons sans trahir son noble héritage, dans le sillage d'Ys Seven ?
Resituons tout d'abord Memories of Celceta dans la chronologie d'Ys, puisqu'il s'apparente à une réinterprétation du quatrième épisode lancé uniquement au Japon fin 1993. A l'époque, Hudson Soft souhaite ardemment que Falcom réalise un nouvel opus pour la PC Engine. Il faut dire qu'en dépit des errances d'Ys III en vue de profil, la saga se montre plus à même de rivaliser avec Zelda que Neutopia. Mais Falcom ne peut plus compter sur les créateurs d'Ys, partis pour fonder Quintet, et consacre alors toutes ses ressources à The Legend of Xanadu. D'où la réticence initiale du studio, qui n'est en mesure de fournir que les compositions musicales et le scénario. Hudson Soft se charge ainsi volontiers du développement sur PC Engine, tandis que le cru Super Famicom est confié à Tonkin House. Bien que ces deux firmes se soient occupées des portages de précédentes itérations, il en résulte deux versions très différentes, Dawn of Ys et Mask of the Sun. Et si cette dernière se révèle la plus fidèle au script d'original, elle reste aussi la moins brillante, malgré la tentative de réhabilitation entreprise par Taito à travers son remake sur PS2, A New Theory. Il était donc temps que Falcom livre sa propre interprétation en poursuivant la réécriture d'Ys avec Memories of Celceta, que le studio considère comme un nouveau regard sur ce chapitre de l'existence d'Adol.
Memorabilia
Memories of Celceta conserve cependant une approche résolument old-school, à commencer par son histoire au classicisme désarmant. L'inoxydable Adol en demeure naturellement le héros, atteint cette fois d'amnésie, un prétexte ô combien éculé pour se lancer dans cette épopée, en quête de ses souvenirs. Les autres protagonistes s'inspirent également des grands clichés de la discipline, qu'il s'agisse de la brute au grand coeur incarnée par Duren, du fanfaron ridicule qu'est le Général Leo ou de la mystérieuse magicienne Bami. Bien que l'intrigue prenne de l'ampleur au fil de l'aventure, elle reste très simple comparée aux scénarios alambiqués, voire inextricables de tant de RPGs contemporains. Dans le sillage de ses aïeuls, Memories of Celceta ne s'appesantit pas non plus sur la narration. En témoigne la brièveté des dialogues, où les choix proposés n'ont pas de réelle incidence sur la situation. Les discussions les plus importantes sont néanmoins doublées, illustrant ainsi un travail de traduction globalement soigné, quoique cantonné à l'anglais. Idem pour la mise en scène, sans fioritures, à l'exception de quelques séquences animées et de jolis dessins qui s'inscrivent parfaitement dans l'héritage de la série, jadis parmi les premières à disposer de cutscenes accompagnées de voix digitalisées, grâce au support CD-Rom.
L'art de la sobriété
Évidemment, ce genre de spectacle constitue le minimum syndical de nos jours. Et si son austérité assumée a le mérite de préserver le doux parfum d'antan d'Ys, elle n'en demeure pas moins flagrante. Sans aller jusqu'à parler de production indépendante, les moyens restreints de Falcom se ressentent dans la réalisation de cette oeuvre désormais destinée à un public de niche, surtout en occident. De tels graphismes feraient presque passer Memories of Celceta pour un jeu PSP, le moteur se montrant très semblable à celui d'Ys Seven. Il présente pourtant un frame rate erratique, sans que le gameplay n'en souffre, fort heureusement. Seuls l'anti-aliasing, omniprésent, et quelques effets atmosphériques viennent rappeler qu'il tourne sur PS Vita, notamment lorsque la caméra automatique adopte un angle proche du sol afin de laisser admirer des horizons lointains. Car c'est là que réside l'évolution primordiale de cet épisode, porté par la soif d'exploration. Dans l'absolu, cela a toujours été le cas, notre héros à la chevelure rougeoyante ne ratant jamais une occasion de partir à l'aventure. Toutefois les univers des précédents opus d'Ys se résumaient à des villages reliés à des donjons par quelques lopins de terre à peine plus larges que l'écran, une linéarité et un manque d'espace devenus bien désuets à l'ère des mondes ouverts.
L'appel de la forêt
La région de Celceta se compose de fait essentiellement d'une forêt immense, tout du moins à l'échelle de la saga. Autrement dit, elle n'atteint pas la taille des contrées de Monster Hunter et se rapproche davantage de celles de Zelda, deux titres dont cet opus s'inspire sensiblement. La mission principale d'Adol consiste ainsi à cartographier l'ensemble de ce domaine sylvestre théoriquement impénétrable, en escagassant les bestioles qui se dressent sur son chemin. Enfin quand il le peut, puisque des créatures fugaces ou d'une force démesurée se cachent dans ces bois changeants suivant le cycle des jours et des nuits. Cette chasse aux monstres est récompensée par des points d'expérience et de l'or, mais aussi par divers matériaux qui servent ensuite à améliorer l'équipement, particulièrement par rapport aux altérations, voire à amasser encore plus d'argent. En somme, Memories of Celceta applique la bonne vieille recette du loot associé au phénomène de rareté, même si le gain de niveaux s'avère souvent le meilleur moyen de terrasser les adversaires plus coriaces, ce qui rend l'artisanat plutôt accessoire. Il y a néanmoins d'autres motivations que la course à la puissance, avant tout la recherche des souvenirs d'Adol, ceux-ci apparaissant sur la carte à mesure qu'il recouvre la mémoire. Naturellement, des évènements surviennent en parallèle et mènent à la découverte des villages qu'abrite cette forêt.
L'union fait la Triforce
Au delà des quêtes optionnelles proposées par les habitants, ces lieux permettent à notre héros de rencontrer ses valeureux compagnons de route. Car à l'instar d'Ys Seven, l'épopée ne se déroule plus en solo, deux camarades pouvant évoluer aux côtés d'Adol. Ils représentent une aide précieuse, et ce à plus d'un titre. Cela va de soi, batailler à plusieurs est avantageux, surtout face à des nuées d'ennemis. Mais en prime, ces bestioles sont pour la plupart vulnérables à un type d'attaque spécifique, en l'occurrence Slash, Strike ou Pierce. Comme chacun des personnages n'est adepte que d'une seule de ces techniques, on a tout intérêt à en changer constamment selon l'adversité, une manoeuvre qui s'effectue simplement par l'appui d'un bouton. La méthode avait déjà fait ses preuves dans Seven, d'autant que l'IA gère assez efficacement le reste de l'équipe, dont on détermine ici l'attitude (agressive ou défensive) via le touchpad arrière, tandis que l'écran tactile sert à zoomer. Et le rôle de nos chers compères prend encore plus d'importance avec Memories of Celceta, dans la mesure où ils disposent tous de talents uniques absolument nécessaires à la progression. Activer des interrupteurs, briser des éléments ou lancer des couteaux pour provoquer leur chute, ces aptitudes rappellent bien sûr les mécaniques de Zelda, sur lesquelles se basent justement les donjons.
♫ Tadadadadaaaa ! ♫
Plutôt que de miser uniquement sur une structure labyrinthique ou des ennemis très retors, ces dédales sont donc construits autour d'énigmes, très ponctuellement tactiles. Elles ajoutent un soupçon de réflexion fort appréciable, nonobstant leur manque d'originalité. En outre, les artefacts trouvés sur place et les pouvoirs des personnages se révèlent tout aussi utiles à l'extérieur. Ils constituent le levier fondamental de l'avancée, là encore à l'image de Zelda ou de Metroid. Après tout, Ys a une certaine légitimé en la matière, l'obtention d'objets de valeur étant célébrée par le même chiptune depuis ses origines. Et Memories of Celceta parvient à se distinguer à travers la facette exploration plus développée qu'offre sa grande forêt. Celle-ci renferme des points de campement et le temps s'y écoule en permanence, contrairement aux villages, ce qui exalte le sentiment d'immersion au sein de cet environnement ostensiblement plus vivant. Certes, un tel enchevêtrement de chemins délimités par des murs parfois très artificiels ne saurait s'assimiler à un véritable monde ouvert, mais il laisse assez de liberté pour vagabonder, de sorte que l'on a tôt fait de se perdre dans cette jungle luxuriante. D'où l'intérêt de la carte pour s'orienter, les sources d'ingrédients, les coffres et les monuments de téléportation y étant répertoriés une fois qu'on les a dénichés.
Restauration monumentale
Ces derniers servent d'ailleurs également de checkpoints, sachant qu'il est possible de sauvegarder à tout moment, tant que nos ouailles ne sont pas en train de bavarder. Encore un domaine dans lequel Ys est parvenu à se moderniser, puisque Memories of Celceta comporte à son tour quatre niveaux de difficulté, qui vont de la promenade de santé au vrai cauchemar, et ce durant une petite trentaine d'heures (sans compter le New Game + cette fois présent). Les vétérans ne doivent pas hésiter à viser haut au départ, car le challenge s'avère relativement tendre en mode normal par rapport à l'âpreté habituelle de la franchise, et il ne peut être qu'abaissé par la suite. Or Ys tire toujours sa force dans l'intensité des combats. Leur dynamisme est renforcé par le panel évolutif de skills qui ne sont plus liées aux armes mais directement aux personnages, histoire de faciliter leur apprentissage initial. Il s'agit bien sûr d'exécuter des combos dévastatrices, conclues idéalement par l'une de ces manoeuvres afin d'engranger un maximum de points d'habilités (SP). Celles-ci fonctionnent en synergie avec le principe de Flash pour la garde et l'esquive, qui immobilise l'ennemi quelques instants lorsque l'on réussit à parer son attaque au bon moment. De quoi le rosser copieusement et remplir du même coup les jauges plus rapidement.
Vae victYs !
Tout est donc question de timing et d'apprentissage des patterns adverses, en particulier face aux Boss, traditionnellement synonymes d'affrontements dantesques. Malgré l'éventuel chaos suscité par ces joutes en trio, a fortiori lorsque l'on se fend des fameuses "Extras Skills" (l'équivalent de furies), le gameplay n'a rien perdu de sa finesse légendaire. Au contraire, il gagne à la fois en vivacité et en profondeur. Et comme de coutume, la férocité de ces batailles va de pair avec les guitares rageuses de la bande son, remixée et étoffée pour l'occasion par l'irremplaçable Falcom Sound Team jdk. Ces musiques conservent un cachet délicieusement rétro grâce à l'usage d'instruments synthétiques, leurs thèmes inoubliables pouvant ainsi électriser les néophytes sans que les nostalgiques ne se sentent lésés. Une démarche qui reflète finalement Memories of Celcetia dans son ensemble, cet opus gardant intactes les valeurs traditionnelles de la série tout en s'ouvrant aux perspectives d'évolution contemporaines. Dans la lignée de Seven, Ys se trouve là un digne héritier, capable de faire perdurer la dynastie encore longtemps, espérons-le. En tout cas, voilà une opportunité providentielle de (re)découvrir cette institution de l'Action-RPG dans l'hexagone, et il n'est pas certain qu'elle se représente de sitôt, surtout dans une boîte, alors avis aux vrais aventuriers.