En ouverture du Summer of Arcade, Brothers : a Tale of Two Sons frappe très fort (le jeu sortira en septembre sur PSN et PC). Tout en évoquant d'autres titres mythiques à commencer par Journey ou ICO, le dernier Starbreeze (Chronicles of Riddick) éblouit tant par son approche originale d'un gameplay innovant, que par sa réussite à illustrer métaphoriquement l'amour filial au travers du joueur et de ce même gameplay...
La première réussite de Brothers, peut-être inédite d'ailleurs dans l'industrie créative du jeu vidéo, c'est d'être le premier jeu d'un réalisateur de cinéma qui a tout compris à la puissance évocatrice et narrative de l'interactivité, mieux peut-être que certains créateurs de jeu vidéo eux-mêmes, ou que ses précédents pairs, pourtant bien plus illustres. Il n'a pas appliqué les recettes de cinéma, mais créé au contraire quelque chose qui ne pouvait être qu'un jeu vidéo. Ce réalisateur, c'est le suédois d'origine libanaise Josef Fares ("Jalla ! Jalla !" et "Cops"), dont le travail au cinéma a déjà été primé plusieurs fois dans des festivals internationaux ; il aurait donc sans doute pu approcher le jeu comme il l'a fait avec les films, mais au contraire, il a placé presque toute la force narrative de cette histoire fraternelle dans la mécanique de jeu centrale... et donc entre les mains du joueur.
Une histoire qu'on vit et qu'on fait vivre
La base s'avère assez simple : le joueur contrôle à la fois le grand et le petit frère, chacun avec un des sticks analogiques pour le diriger et la gâchette associée pour interagir. Une sorte de jeu coopératif en solo, pourrait-on dire, et par conséquent, un rôle tout à fait singulier pour le joueur qui doit jongler entre les deux frères ou les diriger simultanément. Une métaphore 100% interactive du lien qui les unit, et les précipite dans une aventure forcée pour chercher le remède qui aidera leur père gravement malade. C'est, à mon sens, là que se situe le génie de Brothers : s'il est parfois contre-intuitif de diriger ainsi deux personnages à la fois, ce n'est finalement qu'une illustration de plus de leur différence de caractère, née de leur écart d'âge, et du besoin qu'ils ont l'un de l'autre pour traverser les épreuves qui les attendent. En faisant le lien entre les deux personnages, le joueur en devient l'incarnation. Ainsi, à la différence d'ICO dont les émotions liées à Yorda sont évoquées au travers de réactions "automatisées", ici, c'est en se glissant dans la peau des deux personnages à la fois que le joueur vit ce qu'ils ont à évoquer, indépendamment l'un de l'autre au travers de saynètes spécifiques, ou ensemble, lorsqu'ils s'entraident ou collaborent sur une énigme ou une tâche. L'histoire, à la fois simple et juste, n'en devient que plus touchante, et certaines séquences confinent au génie : comment, par exemple, ne pas ressentir toute la délicatesse d'une situation dans laquelle on doit à la fois repousser des loups, torche à la main, et faire attention à ne pas laisser son petit frère trop loin derrière soi dans la pénombre, à la merci des bêtes ?
Varié, puissant... trop court
A part quelques-unes, basiques, Brothers sait aussi se montrer parcimonieux avec l'utilisation de ses différentes idées. La plupart ne sont en effet présentes que sur une séquence, puis aussitôt abandonnées pour de nouvelles. Couplé au renouvellement des décors, sublimes, et aux petites saynètes parsemées à divers endroits et à dénicher par les deux frères pour des réactions et interactions différentes, cette philosophie permet un renouvellement continu. On enchaîne ainsi des mécaniques simples mais futées, parfois même brillantes, dont on n'a pas le temps de se lasser. Mais c'est aussi ce qui rend l'ensemble du jeu, qui se boucle aisément en 3 heures... "trop court". L'ingéniosité des séquences, le renouvellement constant, et bien entendu la découverte de l'histoire et des nouveaux environnements, de plus en plus beaux ou étonnants, séduisent tant qu'on a bien du mal à s'en contenter lorsqu'arrive l'épilogue puis les crédits. C'est d'autant plus vrai que la fin s'avère légèrement précipitée, tout en étant tragique, touchante et donc réussie ; un léger problème de rythme qui ne tient finalement pas à grand chose, mais, surtout, qui n'invalide pas la puissance du récit, ni la qualité globale de l'expérience. Quoique cette apogée de l'histoire donne un tel sens supplémentaire à cette dichotomie des contrôles, que tout le début du jeu en deviendrait presque ordinaire en comparaison... (qu'il est dur d'en parler sans spoiler !) mais l'expérience reste évidemment construite, et habilement, pour parvenir à ce temps fort.
Une expérience qu'on ne peut que vivement conseiller à tous les joueurs amateurs de découverte, d'univers enivrants, de mécaniques originales, et qui n'ont pas peur de se frotter à une histoire douce-amère. Brothers aurait sans doute pu aller encore plus loin, mais ses bien maigres imperfections ne sont rien face à la réussite unique qu'il accomplit brillamment : celle de traduire par l'interactivité la puissance et la richesse du lien fraternel, sans omettre ce qui peut souvent menacer de le briser...