Des parents connus, une ambition dévorante et puis pas mal de malchance : telle est la genèse Ô combien difficile mais passionnante d'un jeu appelé à devenir culte.
Test effectué à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.
Tout pourrait se résumer dans le titre. "Fantasy Life". Vis tes rêves, assouvis tes désirs. Jamais Action-RPG n'a eu de titre aussi explicite, aussi absolu dans ce qu'il laisse imaginer. Après tout, "Zelda" n'est que le nom d'un personnage, "Ys" est un royaume, "Landstalker" on ne sait pas trop quoi et "Soul Blader" sonne simplement "cool" pour un RPG où l'on frappe les ennemis avec une épée. On a tellement laissé le genre entre les douces mains réconfortantes de Nintendo et ses Zelda en série qu'on avait fini par oublier que c'est avant tout ça, un Action-RPG. Un bouton, un coup d'épée, une quête, on ne peut pas faire plus simple que ça.
Le RPG Front de Gauche
Mais avec un titre comme Fantasy Life, on est d'emblée face à face avec une déclaration d'intention. "Tu peux devenir qui tu veux". Choisissons donc un job. Gamin, j'aurai opté pour un chevalier à cause de mon goût pour les épées. Quel que soit le dessin animé, une série ne prenait son envol qu'une fois l'arme sortie du fourreau. Fantasy Life propose quatre professions uniquement dédiées à combattre, chasser et tout ce genre de réjouissances. Soldat du roi, magicien, chasseur ou garde, c'est un style de vie somme toute classique pour un jeu vidéo. Fantasy Life propose aussi de devenir aussi un vrai gars du peuple, un ouvrier qui n'a pas peur de se lever le matin pour aller à la mine, couper du bois ou pécher. Heureusement, ce n'est pas aussi harassant que dans la vraie vie, à tel point qu'on accroche très vite aux subtilités de chaque profession. J'ai choisi bucheron que j'ai vite triclassé en forgeron et menuisier.
Vox populi
Bien entendu, un travailleur peut aussi faire progresser les aptitudes propres à la bagarre en allant rosser des monstres. Tout se fait organiquement comme dans un MMORPG moderne : si tu tapes, tu vas devenir meilleur combattant. Entre chaque chapitre, on se voit offrir des moments de temps libre où le quotidien sera de couper du bois et ainsi devenir le meilleur bucheron du pays. Qu'on soit menuisier, forgeron ou couturier, tout se déroule dans une variante d'un mini-game assez rigolo qui va vite devenir un automatisme. Comme dans la vraie vie, malgré tout le côté artistique qu'on essaye d'y mettre comme le fait mon forgeron préféré, on est surtout libre de bosser. Faire un peu ce qu'on veut, l'illusion d'être libre, c'est le crédo d'Animal Crossing. Tous les éléments classiques du village d'animaux Nintendo sont réunis dans le bled de Kruburg, exception faite des animaux. Les gueules sont ici une déclinaison du kawaii habituel, un consensus entre Dragon Quest et Layton. C'est en regardant ces personnages qu'arrive la morsure du souvenir. Si tout y est familier, c'est qu'il y a une raison.
MMORPG Redux
Revenons quelques années en arrière. Dix ans, pas beaucoup plus. Level-5 n'est alors qu'un petit éditeur dépendant de Sony. Au tableau de chasse, pas grand chose de plus que les "Dark Cloud". Ils décrochent un énorme contrat pour l'époque, un MMORPG exclusif pour la Xbox de Microsoft. True Fantasy Live Online (TFLO) utilisait une magnifique technique de cel-shading, pas encore trop courante à l'époque. TFLO (prononcez téflow) donnait l'impression d'avoir puisé dans le meilleur de Final Fantasy XI tout en trouvant sa propre voie : on pouvait changer à volonté de profession et ainsi faire progresser son personnage de manière beaucoup plus organique que dans FFXI, terriblement figé alors. La presse s'extasiait devant le hit promis à la Xbox mais trouvait le temps long. 2004, à la surprise générale et malgré le financement de Microsoft qu'on imagine généreux comme celui d'un prince qatari, TFLO est annulé. Quelques temps après Level-5 boucle Dragon Quest VIII, soufflant tout le monde avec son cel-shading raffiné. Dragon Quest devenait beau pour la première fois, un miracle auquel le savoir-faire certainement pas étranger au "stage de perfectionnement TFLO" pourrait être attribué.
Un doigt de Dragon Quest IX
Poursuivons ce voyage à travers l'histoire du jeu vidéo. Flashforward jusqu'en 2008, Square Enix annonce Dragon Quest IX sur DS. Sur scène, les beaux gosses de SMAP, véritables blogueuses mode de l'événementiel jeux vidéo au Japon, s'amusent en réseau sur une beta. Dragon Quest IX était alors un Action-RPG où l'on cognait à l'épée comme dans Zelda ou Ys. L'une des popstars s'exclame "hé mais le jeu n'est pas encore terminé ?!" Pour une fois, il avait raison : devant le tôlé provoqué par ce Dragon Quest un peu novateur, Square Enix a fait machine arrière. DQIX est donc sorti avec un bon vieux combat au tour par tour des familles. La peur de changer une recette qui cartonne, ça peut se comprendre aussi. Mais c'est précisément cette version novatrice de Dragon Quest IX qui va servir de base à Fantasy Life. Dernier saut dans le temps, 2012. Alors que tous les tops de fin d'année sont déjà faits, qu'Animal Crossing 3DS caracole en tête des ventes au Japon, Fantasy Life, enfant illégitime de TFLO et de ce Dragon Quest IX sort enfin. Une date de sortie bâtarde, entre Noël et le nouvel an. Fantasy Life a fonctionné plutôt bien malgré sa mise en vente suicidaire.
Une production riche
En se promenant dans les villages de Fantasy Life, le gamer éclairé trouvera une autre dimension dans ces vies et ces dialogues anodins. Le développeur du jeu n'est autre que Brownie Brown, studio qui s'est rebaptisé depuis "1-up Studio", à qui l'on doit Mother 3, un des meilleurs RPG de tous les temps. Bien entendu, Fantasy Life n'en a pas la profondeur ni la subtilité écolo, mais l'évocation est là. Dans le même ordre d'idées, Level-5 a fait appel à des pointures connues et évocatrices pour porter son aventure. Quand on colle Yoshitaka Amano en illustrateur et Nobuo Uematsu aux platines, deux vétérans de l'âge d'or des Final Fantasy, ce n'est pas innocent.
M.A.J
Il fallait le sortir s'est sans doute dit Level-5, quitte à ce qu'il soit incomplet. C'est malheureusement pour cela que la version actuelle ne comprend pas de version en ligne. Si Fantasy Life pèche, c'est par trop d'ambition, encore une fois. Il est sorti sans un mode en ligne qui lui aurait permis d'avoir tout de suite un second souffle. Si on en reparle aujourd'hui, c'est que Level-5, satisfait de cette habile utilisation de ses idées laissées dans les cartons, va ressortir le jeu cet été (le 25 juillet) en version complète, mode en ligne inclus, pour 5000 yens (en cartouche et téléchargement, soit environ 40 euros). Pour les plus dégoutés possesseurs de la version actuelle, il sera possible de télécharger ce kit "Link" - une mise à jour malheureusement pas offerte, mais bien commercialisée pour une quinzaine d'euros... Evoquant tour à tour les mondes fantastiques comme on nous les racontait quand on était petit, Fantasy Life finit par nous rappeler pourquoi, de Zelda à Secret of Mana, on aimait les Action-RPG dans les années 90.
"Choose your future. Choose Life", répète inlassablement le héros de Trainspotting avant de se demander pourquoi diable devrait-il faire une telle connerie. Une autre vie, c'est ce que propose Level-5 qui, grisé par la réussite des années passées, a ressorti un de ses plus vieux projets laissé dans des cartons poussiéreux pour en faire une aventure hybride, quelque part entre Animal Crossing, Zelda et Ys. Fantasy Life est un Action-RPG si ambitieux, si casse-gueule, qu'il a mis 10 ans à nous arriver. Fusionnant les genres, réduisant les clivages, il offre alors cette illusion de liberté que l'on a quand on touche sa première paye. Le travail ludique, cette utopie, devient alors palpable, changeant le harassement en malice. Pour changer d'air, il ne suffit pas simplement de casser l'enchaînement boomerang/bombes/grappin, il faut avoir un vrai projet de vie.
Là-bas, personne ne vous regardera de haut parce qu'on fait un travail manuel. "Choose Fantasy Life".