S'il n'en a pas l'apparence, Fez est un jeu gargantuesque. Pour son créateur, Phil Fish, qui a travaillé dessus pendant 5 ans et fini, enfin, par le sortir, mais aussi pour le joueur qui en plongeant de plus en plus profondément dans son monde pixelisé, découvre vite bien plus que ce qu'il s'attendait à trouver...
Si vous suivez Gameblog, vous savez qu'on parlait et attendait beaucoup ce nouveau jeu indé, pressenti comme une nouvelle perle capable de se hisser aux côtés des Limbo et des Braid, de ces jeux futés, au cachet savoureux, qui savent rester simples en apparence mais emmènent les joueurs vers des profondeurs de plaisirs insondables. Une fois le jeu bouclé pour ce test, mais sans avoir encore réussi à décrypter tous ses innombrables secrets, j'y ai trouvé tout cela, même si pour beaucoup, le perfectionnisme souvent associé à ce type de productions n'atteint pas un niveau aussi prononcé.
Une question de perspective
Bourré des références quelque peu cliché aux plus connus des codes du jeu vidéo, à commencer par la Game Boy ou bien sûr Zelda, Fez débute sur l'éveil de son héros Gomez. C'est un jour spécial : il va découvrir que le monde n'est pas en 2D, mais bien en 3D - à la manière du carré-héros de Flatland d'Edwin Abbott (merci Dave). Fort de son nouveau pouvoir lui permettant d'explorer cette troisième dimension en faisant pivoter le décor de manière à réaligner ses éléments par un jeu de perspectives proche de ce qu'on a pu voir dans Crush3d ou Echochrome, Gomez part collectionner les cubes. Pour "finir" le jeu, il suffit d'en trouver 32 ; qu'il s'agisse des cubes normaux, dorés, eux-mêmes souvent constitués de 8 fragments à trouver et récupérer un peu partout, ou d'anti-cubes, considérablement plus difficiles à dénicher. 32 cubes, 32 anti-cubes, et nous voilà partis dans un jeu de plate-forme / puzzle conçu comme un vibrant hommage au Dieu Pixel. En chemin, on trouvera d'autres choses : de vieux artefacts soi-disant faits pour compter ou écrire, un alphabet crypté fait de formes géométriques, des chouettes disant des phrases cryptiques, des vibrations rythmiques, des QR Codes, un système numérique, des cartes au trésor...
Et c'est là que ça devient intéressant
Fez paraît vite vertigineux. On ouvre une porte... Oh ! Un monde. Une autre porte... Oh ! Un autre monde ! Mais il y avait encore deux ou trois portes dans le précédent ! "Revenons sur nos pas pour faire les choses dans l'ordre", me dit la petite voix de l'obsession dans ma tête... mais en ouvrant la deuxième porte, mince ! Encore un monde ! Alors on affiche la carte avec Select, et petit à petit se déploie tout un univers dans lequel on peut aisément se retrouver perdu. Heureusement, les "mondes" en question (en vérité des niveaux, donc) sont cerclés de blanc lorsqu'on n'a pas encore tout trouvé dedans, et d'or lorsqu'ils sont complétés. Des petites icônes signalent la présence de fragments de cubes à récupérer, de Warpgates pour circuler plus rapidement d'un bout à l'autre de la map, de coffres à atteindre et ouvrir, ou de secrets. Et si finir le jeu avec 32 cubes ne présente aucune difficulté, si ce n'est jongler avec les dimensions pour les ramasser, trouver la solution de tous les secrets et atteindre les 64 cubes est une autre paire de manches. On repère vite les pictogrammes et des schémas planqués un peu partout : sur certains murs de petites pièces dans les maisons, sur des monolithes mystérieux. Alors on se munit d'un bon vieux cahier, et on commence à les reproduire, à tenter de les déchiffrer - et si vous voulez tout récupérer, il est indispensable de noter beaucoup de choses. Surtout, ne pas aller regarder sur internet les indices et solutions d'autres joueurs. Car tout comme Braid, tout le plaisir vient de la découverte qui finit par émerger d'elle-même des méandres de notre propre cerveau.
Un jeu de jugeotte plus que d'adresse
Sous ses atours de jeu de plate-formes, Fez dissimule plutôt un titre centré sur l'exploration de ce monde en 2D/3D, et la résolution d'énigmes. En dehors d'un stage un peu difficile dans lequel il faut escalader rapidement une structure sous peine d'être rattrapé par le niveau montant de la lave, vous n'y trouverez pas grand chose pour mettre à l'épreuve votre dextérité. Et c'est tant mieux : car s'il est difficile de reprocher au titre quoique ce soit en termes visuels (pour quiconque est fan de pixelart, s'entend), sonores (les musiques sont splendides et participent pour beaucoup à l'ambiance), ou de level design (lequel est proprement génial), il n'en est pas de même pour la précision du gameplay lui-même. Gomez n'est pas le plus maniable des sprites, mais, surtout, de multiples petits bugs subsistent encore, et tout cela vous conduira plus d'une fois vers une mort injuste. Mais comme on réapparaît tout de suite et que les vies sont illimitées, ce n'est pas bien grave. Juste un peu agaçant parfois, surtout pour ce qui est des bugs qui obligent parfois à sortir puis rentrer à nouveau dans un stage parce qu'un élément est coincé ou perdu. En tout cas, rien de tout ça n'empêche Fez de transporter le joueur dans un monde qui, sous ses atours 8-bit low-fi, dissimule un souci du détail certain. C'est vivant, bourré de petites créatures, de délicats indices visuels (ou autres), et c'est surtout un de ces rares jeux qui ne prennent pas le joueur pour un abruti, lui proposant un challenge intellectuel décent sans lui fournir la solution sur un plateau surmonté d'un néon clignotant pour être sûr qu'il ne la rate pas. Il en va de même pour son histoire, minimaliste en apparence, mais qui opte pour une narration subtile, faisant appel au sens de l'observation, et à l'imagination, et transporte vers des civilisations perdues et des questionnements sur la perspective dans laquelle nous emprisonnons notre vision de la réalité.
Je n'ai qu'une hâte : trouver le temps de replonger dans Fez pour résoudre ses dernières énigmes (satané monolithe noir). Le voyage qu'il propose n'est peut-être pas aussi bien fini que ceux de ses pairs indie, mais la qualité de son hommage à l'ère du pur pixel, son ambiance parfaitement maîtrisée, son level design inspiré et la tonne de petites surprises à découvrir et à comprendre en font un incontournable, un jeu qui saura à la fois vous faire sentir tantôt idiot, tantôt supérieurement intelligent, tout en vous baignant dans une joie authentique, constamment renouvelée, et d'une pureté savoureuse.