D'abord il y eut Demon's Souls. Effrayant de difficulté, cet action-RPG FromSoftware reconnu comme l'un des meilleurs titres de l'année 2009 (2010 en Europe), par la critique et par les joueurs (exclusif à la PS3, le jeu s'est vendu à près d'un million d'exemplaires dans le monde), envoûtait par son ambiance singulière, son interaction en ligne inédite et la beauté globale de son univers. Il demeurait cependant un véritable calvaire que seuls les joueurs les plus farouches pouvaient oser entreprendre : il se dit que plus de 70% des possesseurs de Demon's Souls n'auraient qu'entamé le titre, ne dépassant pas le premier monde... Puis vint Dark Souls, son héritier, son frère, que l'on nous annonce plus cruel encore... Et alors que les terres maudites de ce nouveau volet se sont dévoilées à nos yeux blêmes, une certitude s'impose d'emblée : VOUS ÊTES MORT.
Il est impossible d'appréhender Dark Souls à la manière d'un jeu classique : c'est un titre sans concessions. C'est à dire que, même avec le meilleur enthousiasme du monde, soit vous vous refermez comme une huître une fois goûtées l'immense difficulté et la grande cruauté du jeu (et devenez ainsi tout à fait hermétique à l'expérience), soit vous subissez, pliant l'échine, apprenant à tâtons les rouages de cet univers, pour vous impliquer corps et âme dans l'aventure. Car Dark Souls partage le même engagement que son aîné Demon's Souls, celui de l'apprentissage par l'échec. Vous aurez toutes les peines du monde à vous défaire d'un ennemi, de plusieurs, d'un boss intermédiaire, pour réaliser qu'en fait, tout ceci n'était qu'une étape minime dans un cheminement qui vous mène tout droit à un danger plus grand, un ennemi plus puissant... une mort certaine. Ceux qui ont déjà visité les contrées de Demon's Souls savent très bien de quoi il s'agit et ils en tireront assurément avantage...
En proie, le doute
Tout comme son prédécesseur, Dark Souls jouit d'une ambiance phénoménale. Si le titre a forgé une partie de son identité à travers sa difficulté, il subjugue également par son atmosphère, ses décors, le design de ses ennemis, sa musique. Cette dernière, belliqueuse, inquiétante ou encore sinistre, en tout cas sublime à tous les instants, ne se tait que pour donner au joueur le sentiment peut-être le plus essentiel de cette aventure : celui de sa propre solitude. Le joueur est une proie, terrifié par la puissance d'ennemis qui tuent en un ou deux coups, de boss gigantesques et stupéfiants, de couloirs sombres, macabres, de forêts mystérieuses où les développeurs se sont sadiquement amusés à placer des pièges retors et des ennemis embusqués. Piètre carcasse, guerrier cadavérique, vous êtes bien peu de choses, vous, l'échappé du Refuge des Morts-Vivants... Regagner votre humanité sera l'un de vos buts dans ce cauchemar fait jeu et la flamme de cet espoir ne tiendra face au vent diabolique de cette aventure, qu'à votre faculté à trouver l'un des biens les plus précieux depuis l'aube de l'Homme : le feu.
Pas d'immunité, pas de confort : VOUS ÊTES MORT
Les téléspectateurs assidus de Koh-Lanta le savent bien : le feu, c'est la vie. Comment sinon faire cuire le précieux riz et arriver pleine bourre à l'épreuve dite des poteaux ? Comment, sinon, réchauffer son corps après une pluie tropicale et ainsi éviter les conflits sur le camp dus à la fatigue, et synonymes bien souvent d'une nomination au conseil ? Dans Dark Souls, les feux sont rares, très rares, et en rencontrer un vous procurera une joie incommensurable. Oui, ces feux-là sont des feux de joie, dans le sens où vous allez ressentir un soulagement immense à leur contact chaleureux. Explication : dans Dark Souls, la sauvegarde est automatique. Ainsi quand vous tuez un ennemi, un nombre de points d'XP s'ajoute à votre jauge et c'est acquis... enfin jusqu'à ce que vous mourriez... nous y reviendrons. Chopper une arme ou un objet rare est aussi synonyme de sauvegarde. C'est bon, quoi qu'il vous arrive, ce que vous trouvez est à vous. Seulement, ces sauvegardes ne sont pas des checkpoints. Ce qui signifie que dès que vous trépassez, l'endroit où vous recommencerez sera toujours le dernier feu de camp où vous vous êtes reposés. Au passage, sachez que votre XP accumulé restera au même endroit que votre dépouille : si vous la récupérez et que vous la "validez" au feu, c'est banco, on gagne en niveau ; si vous ne passez pas par les bûches et la flamme et que vous êtes laminés avant de récupérer votre cadavre, l'expérience se sera envolée...
Le feu, essence de l'humanité... et inversement
Le feu de camp constitue le seul lieu de répit dans Dark Souls et vous pouvez y faire bien des choses. Déjà, vous pouvez vous y reposer et ainsi remplir votre barre de vie si précieuse, ainsi que recharger vos fioles d'Etsus, cette potion de soin qui remplace l'herbe de Demon's Souls. Autour du feu, pas besoin de fumer la moquette, des fantômes d'autres joueurs en ligne apparaîtront régulièrement, nous y reviendrons. C'est également autour du feu que vous pourrez grâce aux âmes que vous aurez ramenées à la sueur (et au sang) de votre front, augmenter vos capacités, gagner en niveau. Par touche sporadique, hein... Il faut déjà pas mal de points d'âme pour n'augmenter ne serait-ce que d'un point vos compétences (dextérité, force, foi, etc.). Enfin, il vous sera possible grâce à un artefact très rare dans le jeu, l'Humanité, de retrouver votre forme humaine. Posséder une humanité et être humain sont deux choses différentes : vous ne prendrez les traits d'un être bien vivant qu'après avoir utilisé l'artefact auprès du feu. L'Humanité, vous en récupérez en tuant un certain type d'ennemis, un boss par exemple, mais également en tuant un NPC bien vivant (avis aux suicidaires...) ou en assassinant un autre joueur, dans sa propre partie en ligne, nous y reviendrons également. Mais alors quel est l'intérêt de prendre forme humaine, cette apparence si compliquée à obtenir pour vous la pauvre carcasse ? Eh bien sachez qu'après avoir obtenu un certain objet dans le jeu, il vous sera possible d'invoquer un joueur en ligne, pour vous soutenir dans votre propre périple, ce qui peut s'avérer très utile face aux boss titanesques du jeu par exemple. Vous pourrez aussi invoquer un NPC bienveillant. Le fait d'être dans un état humain augmente également vos chances de ramasser des objets et des armes de valeur et vous rend plus résistant à certains sorts. Enfin, en tant qu'humain, avec de l'Humanité en stock, vous pourrez embraser le feu. Cette bénéfique action profitera à tous les joueurs en ligne qui partagent le même feu de camp que vous, dans leur propre monde. Ainsi, si vous vous apercevez que vous possédez une fiole d'Etsus supplémentaire, c'est parce que quelqu'un quelque part sur la planète, aura eu la charité d'embraser le feu...
Les fantômes d'outre-monde
Tout comme Demon's Souls, le jeu en ligne de Dark Souls est atypique. Anonyme, sans chat, il mise premièrement sur une interaction entre les joueurs via des messages qui apparaissent en lettres de feu sur les chemins du monde de chacun. Ainsi, il sera possible d'indiquer pour les autres joueurs, en le marquant sur le sol avec des termes prédéfinis, si un danger guette au coin ou si un trésor est bien planqué à proximité. Très utiles, ces messages sont autant de clés pour mener à bien votre aventure et donnent à comprendre comment appréhender au mieux certains ennemis. Les tâches de sang vous permettront aussi de découvrir de quelle façon est mort un joueur à un certain endroit, son spectre rejouant l'action dès lors que vous touchez la flaque d'hémoglobine. Il est également tout à fait possible de laisser des messages erronés si l'on a vraiment aucun esprit de solidarité, mais globalement, vu le défi que propose le jeu, on découvre assez souvent, après des passages bien tendus, des "J'ai réussi !" qui font chaud au coeur. Car comme nous l'évoquions plus haut, la solidarité (avec l'embrasement du feu par exemple) est une des composantes essentielles de l'expérience multi, avec cette possibilité d'aller de son monde à un autre, pour porter renfort. Mais dans Dark Souls, forcément, les âmes les plus noires ont aussi leur quartier... Il sera ainsi possible d'envahir le monde d'un autre joueur pour le trucider et ainsi lui voler son humanité (au risque de subir en retour une vengeance spectrale plus tard...). A l'heure qu'il est, toutes les possibilités d'interactions d'un monde à l'autre restent à être totalement découvertes, d'autant plus que les serveurs (qui sont mondiaux), ne sont pas stables... Vous êtes prévenus, jouer avec le online activé, pour le moment, c'est aussi l'occasion de se taper un beau plantage des familles... Avec quatre freezes à mon actif, je peux attester de ma zénitude à toute épreuve, ma manette PS3 étant intacte... Faut dire que le jeu est tellement éprouvant que j'étais défait, un véritable mort-vivant devant la console.
Quel visage face à la mort ?
A présent que vous avez une bonne idée de ce qui vous attend, intéressons-nous à l'apparence que vous adopterez pour mourir. Les classes de personnages sont au nombre de dix : guerrier, aventurier, chevalier, voleur, bandit, chasseur, sorcier, pyromancien, clerc et mendiant. Vous pourrez au début du jeu déterminer le sexe de votre héros ainsi que toutes ses caractéristiques physiques. Comme le veut le genre, chacun a ses forces et ses faiblesses : le sorcier pourra déployer des sorts puissants mais sera une mauviette au corps à corps, le chasseur profitera de son arc, le voleur de sa faculté à ouvrir des portes, le chevalier avec son armure protectrice aura une barre de vie conséquente alors que le mendiant équilibré en tout, sera le parfait personnage malléable. Il pourra ainsi facilement prêter serment à l'un des trois types de magie, la sorcellerie (magie noire), la pyromancie (magie de feu), les miracles (magie blanche). Trois classes sont respectivement spécialisées dans ces magies, le sorcier, le pyromancien, le clerc. Lors de la création de votre personnage, il vous sera également demandé de choisir un objet vous accordant une faculté : une longue vue pour avoir une vision d'aigle, un passe pour forcer les portes (de base chez le voleur), un talisman pour avoir un petit bonus d'XP, etc.
La garde-robe du maccabée
Evidemment pour espérer progresser dans l'infernal univers de Dark Souls, il ne vous suffira pas d'avoir un Opinel. Vous devrez vous équiper en armure, casque, bouclier, épée, lance, arbalète, hache ou que sais-je encore. Chaque arme induit un maniement tout particulier. Par exemple, une hache, c'est très bien, ça fait mal, mais si votre perso n'a pas le bras droit de Rafa Nad... de Djokovic, il mettra du temps avant de pouvoir lancer un deuxième coup, là où avec une épée, il peut être plus rapide, plus efficace. Sachez également qu'avec une lance, vous pourrez toucher, tout en restant protégé derrière votre égide. Pratique. Bref, le tout demande de l'entraînement, il ne faudra pas vous surcharger sous peine d'être une tortue et de ne pas pouvoir réussir les quelques roulades qui vous sauveront bien souvent la mise. Sachez d'ailleurs qu'en plus des roulades, il est possible de sauter. Tout ce bel équipement, vous pourrez l'améliorer, le réparer auprès d'un forgeron, et ce dernier point est essentiel. Vos armes ont des points de vie : cassez votre super épée du dragon et c'est fini, elle est bonne pour la poubelle. Vous n'aurez alors que vos yeux pour pleurer...
La ballade du pendu
Dark Souls, contrairement à Demon's Souls, offre un monde ouvert. Finis les retours au Nexus entre l'exploration des différents lieux maudits, c'est désormais vous qui déterminerez le chemin à emprunter. Evidemment, celui-ci est balisé selon votre niveau. Vous pourrez à loisir explorer ce charmant cimetière, plus accueillant que ce donjon rempli de goules, mais vous déchanterez bien vite une fois que vous aurez constaté que des squelettes surpuissants vous y attendent avec impatience... Les étendues sont vastes et du coup, il sera important de tout bien visiter, afin d'ouvrir des portes, de débloquer des échelles, qui seront autant de raccourcis vers des endroits déjà visités. Surtout, il sera primordial de trouver des accès aux feux, ces lieux de repos tellement rares. Surtout qu'à chaque halte, les monstres éradiqués reprendront vie. Ceux-ci, heureusement, ressusciteront toujours au même endroit, reproduiront toujours les mêmes actions. Car, et j'espère qu'à la lecture de cette critique, vous l'aurez compris : pour vous confronter à un boss ou à un ennemi plus redoutable que le trouffion de base (qui est déjà assez coriace dans son genre), il faudra bien souvent tout simplement faire un sans-faute dans votre progression...
Plonger dans l'abîme de Dark Souls est une expérience mortelle. Dans tous les sens du terme... C'est une énorme dose d'abnégation, une persévérance sans faille, que le joueur un poil masochiste devra posséder pour s'aventurer dans ce calvaire. Si bien souvent il tremblera face aux créatures maléfiques, qu'il sera amené aux limites de ce qu'il peut supporter en terme de difficulté et de sadisme, il ressortira avec un sentiment d'accomplissement inégalé. Si jamais il s'en sort.... en cela, il pourra compter sur les brave-la-mort qui comme lui, ont décidé de se livrer tout entier à cette aventure terrifiante. Envoûtant dans ses environnements, saisissant de par les ennemis édifiants qu'ils donnent à affronter, Dark Souls est une invitation aux ténèbres, de laquelle on ne sort pas indemne et qui nous consume tout entier...