Vous ne connaissez probablement pas le bonhomme derrière El Shaddai, un certain Sawaki Takeyasu, mais si je vous dis qu'il est l'un des artistes responsables du cultissime Okami, alors vous comprendrez certainement mieux cette audace graphique complètement dingue... El Shaddai a vraiment de la gueule, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais l'aventure toute entière se révèle-t-elle à la hauteur de ce festival visuel ? C'est une très bonne question et je vous remercie de l'avoir posée !
El Shaddai adapte (super) librement le Livre d'Enoch, un écrit apocryphe de l'Ancien Testament dans lequel Enoch, scribe du Tout Puissant au Paradis, est envoyé sur Terre pour purifier les Anges Déchus, avant qu'un déluge ne nettoie définitivement toutes les bêtises qu'ils ont pu faire avec les humains. Il sera accompagné de Lucifer et aidé des bons conseils de l'Archange Gabriel... sauf que Gabriel est une oie, que Lucifer cause à Dieu avec son téléphone portable, qu'Enoch porte un jean trop mode sous son armure gay-friendly et que certains Anges Déchus pratiquent par exemple... le smurf. C'est ce côté "légèrement" décalé, posé là comme si de rien n'était dans une aventure limite au premier degré, qui a beaucoup fait rire depuis l'annonce du jeu (jusqu'à devenir un vrai phénomène au Japon). Mais bizarrement on l'accepte volontiers, très vite, tout chamboulé qu'on est par l'ensemble de l'expérience, par ces musiques mystiques et surtout par ce superbe spectacle visuel en perpétuelle réinvention.
Chapeau l'artiste
Si le gameplay d'El Shaddai s'avère plutôt pauvre en idées et redondant dans ses mécaniques (nous reviendrons là-dessus plus bas), il en va donc tout autrement concernant la partie visuelle. Découvrir ces décors épurés, lumineux, jonchés d'éléments presque abstraits, de formes surprenantes et d'aplats de couleurs est un ravissement sans cesse renouvelé. Passer au niveau suivant devient vite une obsession, pour le simple plaisir de la découverte d'un univers à chaque fois complètement différent. J'ai passé mon temps à m'émerveiller devant ces techniques visuelles simples (a priori), mais tellement peu utilisées dans les jeux vidéo d'aujourd'hui... On trouve par exemple ces "textures vidéo", qui recouvrent parfois toutes entières certaines parties du décor avec des images en mouvement, il y a aussi ces espèces de filtres translucides sur l'image, qui se superposent et parfois ne suivent pas le défilement de l'écran, créant une sensation de malaise assez étrange (vous repenserez à ça durant le passage en Enfer), ou encore ces changements de couleur intempestifs en fonction de l'endroit où l'on se trouve dans le niveau... Je retiens également ces passages ou narration et gameplay se mêlent très habilement et avec beaucoup de classe, notamment tout le début du jeu, de l'ouverture au premier chapitre, en passant par ce générique par-dessus lequel on joue en ombre chinoise tout en écoutant Lucifer parler d'Enoch. Et il y a quelques autres fulgurances comme ça dont je vous laisse la surprise. En tout cas, tout cela relève à mon sens d'une véritable démarche artistique, et ce sentiment qu'on a de jouer au jeu d'un graphiste talentueux et hyper inspiré, à qui on aurait donné carte blanche sans aucune concession, a quelque chose de vraiment grisant.
Bottons de divins culs...
Mais parlons un peu du jeu en lui même... El Shaddai est donc un beat'em all somme toute classique, mais dans lequel on trouve aussi pas mal de phases de plateforme (parfois sur un vrai plan 2D à l'ancienne). Son système de combat est assez simple, mais il est plus subtil qu'il n'y paraît. Un bouton permet de sauter ou de "double sauter", un autre de parer et enfin un autre de frapper. Ces trois-là permettent déjà d'enchaîner de multiples ennemis en variant les combinaisons, mais aussi en variant les timings entre les coups, ce qui modifie les combos.
On prend les choses en mains très vite, c'est fluide, bien animé, agréable et très jouable. Après quelques chapitres, Enoch pourra aussi de temps en temps faire appel à un allié de choix qui viendra appuyer chacun de ses coups. Une sorte de furie, qu'on enclenche en appuyant en même temps sur le bouton de garde et celui permettant de piquer l'arme d'un ennemi. Car oui, vous pourrez vous battre à mains nues, mais vous comprendrez vite qu'il est plus efficace d'utiliser l'une des 3 armes divines proposées dans le jeu. Il y a l'Arch, une espèce de sabre lumineux, mais aussi le Veil, un double bouclier qui ralentit mais permet de frapper très, très fort, et enfin le Gale, qui permet pour sa part d'attaquer les ennemis à distance avec des raffales de missiles. Le truc, c'est que chacune de ces armes fera plus ou moins de dégâts à tel ou tel type d'ennemi, et il faudra donc jongler de l'une à l'autre (il suffit d'assommer un ennemi avec quelques combos puis de lui piquer son arme).
"Mondai nai" ?
Mais vous ne ferez donc pas que vous battre dans El Shaddai, il faudra aussi de temps en temps faire valoir vos talents d'acrobate en sautant de plateformes en plateformes. Enoch peut effectuer un double saut et même planer un court instant dans les airs, s'il est équipé de la bonne arme (elles changent aussi des choses en phase d'exploration). Ces séquences, extrêmement simplistes au début et un peu plus développées lorsqu'on se rapproche de la fin du jeu, s'avèrent franchement moyennes en intérêt, d'autant que certains passages sont carrément lourdingues, puisque vous passerez votre temps à tomber dans le vide à cause de l'angle (fixe) mal choisi ou du double saut assez difficile à gérer en précision. Le jeu est certes magnifique, mais ces textures et ces décors très originaux font qu'on juge souvent très mal le positionnement des choses, et surtout la distance. Bref, rien d'extraordinaire à ce niveau là... et si les combats offrent effectivement un système sympa, il reste assez bateau dans le fond, et surtout très redondant après quelques petites heures. Tout comme le level design qui semble avoir été à peine bossé. On sent tout de même une espèce de montée en puissance agréable, mais elle tient plus dans les progrès qu'on fait nous mêmes dans la maîtrise des combos, de la garde, des contres, des patterns des ennemis, etc. Le fait de rencontrer à intervalles réguliers durant l'aventure l'un des boss de fin est d'ailleurs une idée excellente parmi d'autres. De celles qui nous donnent justement envie de pardonner à El Shaddai tous ses petits défauts.
En bref, l'intérêt d'El Shaddai réside effectivement plus dans son apparence que dans son gameplay pur. Hé oui. Malgré quelques excellentes idées ici et là, son level design est plutôt pauvre, son gameplay tourne assez vite en rond et quelques passages sont même rageants parfois... Rien de catastrophique, mais on est très loin des canons du genre. Malgré tout, je ne regrette absolument pas d'y avoir passé de longues heures tant il m'a hypnotisé, et je ne voulais absolument pas lâcher la manette sans avoir vu tous les niveaux et la fin ! Comme moi, il séduira j'en suis sûr tous ceux qui savent accorder à ce genre d'expérience (expérimentation ?) une prime à l'audace, à la fraîcheur et... au talent. Car quand même, El Shaddai a une tronche juste phénoménale !