Impossible d'évoquer The Last Story sans parler de son illustre créateur Hironobu Sakaguchi, le père de Final Fantasy fût-il le rappeler, et accessoirement le fondateur de Mistwalker. Parti pour enfanter les
rivaux de Dragon Quest et de Final Fantasy sur Xbox 360 à travers Blue Dragon et Lost Odyssey, notre homme s'est depuis quelque peu évanoui dans la brume,
laissant son studio œuvrer sur des productions plus ou moins vaporeuses...
Jusqu'à ce qu'il ressorte brusquement du brouillard avec « sa » Last
Story, une appellation sujette à plus d'une interprétation, vous allez le
constater.
Ce test est une republication de la critique originellement parue le 21 mars 2011.
Commençons par la plus évidente, l'omniprésence de la narration. D'un pitch usé jusqu'à la corde, en l'occurrence une bande de mercenaires embarqués un peu par hasard dans une lutte pour la survie de l'Humanité, The Last Story parvient à susciter l'émotion. La partition de Nobuo Uematsu n'y est pas étrangère, le fameux compositeur se fendant de mélodies épurées, presque minimalistes dans leurs instrumentalisations, à l'exception de morceaux plus épiques lorsque les circonstances l'exigent. Nous voilà donc plongés d'entrée dans une atmosphère mélancolique, voire dramatique, comme le souligne le ton grave du conteur qui introduit les différents chapitres. Mention toute spéciale aux doublages inspirés, sans lesquels ces dialogues deviendraient rapidement soporifiques.
Car pour marquer la solennité de certaines scènes, nos héros se font volontiers volubiles entre deux silences contemplatifs. The Last Story cherche ainsi clairement à orchestrer des moments de grâce, quitte à forcer sur les violons. Cette grandiloquence risque d'en ulcérer certains, tandis que d'autres céderont sciemment à la naïveté ambiante. Il faut dire que l'on nous épargne aucun cliché, entre Elza, l'élu malgré lui, Kanan la princesse en quête d'aventure et le ténébreux mentor Quark. Le Character Design de Kimihiko Fujisaka affiche néanmoins des traits assez appuyés, à peine écornés par la résolution forcément moindre des graphismes. Nonobstant des effets de lumière sophistiqués, la réalisation pâtit des capacités limitées de la Wii, qui doit souvent cracher les frames avec ses tripes. Une illustration du grand écart entre tradition et modernité que constitue cette œuvre.
La dernière séance
Techniquement dépassé, The Last Story sera sans nul doute l'un des derniers - sinon l'un des seuls - émissaires d'envergure du RPG sur Wii, aux côtés de Xenoblade. La comparaison s'arrête là, puisqu'il n'est pas vraiment question ici de larges environnements ouverts. Au contraire, ce scénario très présent engendre un cheminement plutôt linéaire. Si les paysages changent, l'exploration se résume à dénicher les coffres cachés dans les recoins, au sein de ce qui ressemble furieusement à une succession de couloirs, ou de salles. Quelques chapitres et autres missions optionnelles peuvent toutefois être manqués, le principal intérêt d'ailleurs du "New Game +", nous en reparlerons plus tard. Bon nombre des tâches (parfois truculentes) à accomplir ont pour théâtre Ruli City, la fière capitale de cet îlot. Oubliez les minuscules hameaux que l'on traverse habituellement dans les RPG nippons... Faute d'avoir plusieurs villages, The Last Story dispose d'une belle grande mégalopole, au point de se demander si Sakaguchi San ne lorgnerait pas du côté d'Assassin's Creed. Bien sûr la ville n'atteint pas le gigantisme de Rome, encore moins dans la dimension verticale de son architecture (pas de séances de grimpette à prévoir par conséquent). Elle représente malgré tout le seul véritable lieu de liberté, l'occasion de déambuler dans les rues pour y faire ses emplettes, de bousculer les passants ou de s'asseoir tranquillement sur un banc. Au-delà de l'échange d'objets, les interactions avec les autochtones ne sont pas légion, mais elles usent souvent d'une fonction essentielle appelée fort justement « Seek ».
C'est la luuutte finaleuuu...
En appuyant sur le bouton "Z", on passe en vue subjective afin de chercher des personnages ou des éléments précis dans le décor par le biais du stick. Cette méthode s'applique également aux combats, qu'il s'agisse de déterminer le point faible d'un ennemi, de lui décocher des flèches à distance, voire de faire tomber un tas de pierres placé malencontreusement au-dessus de sa caboche. The Last Story tente ainsi toujours de proposer des alternatives, particulièrement face aux Boss, et se distingue par l'importance accordée à l'environnement. Non content de servir à se cacher lors des phases d'infiltration, celui-ci doit être appréhendé avec attention en prélude des batailles. Une caméra aérienne nous présente alors l'arène et les guerriers qui s'y trouvent, accompagnés de leurs caractéristiques respectives. Utile pour localiser le soigneur ou le sorcier Gurg à éliminer en priorité... Ensuite les hostilités débutent sur le plancher des vaches, bien que l'on ait la possibilité à tout moment de revenir en vue surélevée, le temps de donner un ordre à l'un des compagnons, façon Baldur's Gate. Car si l'on incarne Elza dans l'immense majorité des cas, notre héros ne bataille quasiment jamais en solo. Il n'en reste pas moins le meneur, grâce à son pouvoir de « Gathering » qui lui permet de manœuvrer l'adversité en l'attirant sur lui. Comme les coéquipiers se montrent obéissants et assez malins, on arrive à tendre de méchants pièges de la sorte. Des instants franchement jubilatoires avouons-le, surtout en y ajoutant de bonnes grosses "combos" ! Gare cependant à savoir relâcher la pression, sous peine d'être roué de coups à son tour.
Et après ?
En parallèle, Elza se manie suivant les usages d'un bon vieil Action-RPG, à la différence qu'il frappe automatiquement dans la direction vers laquelle pointe le stick. D'où l'intérêt fondamental des parades et des bonds latéraux pour se glisser derrière un ennemi, commandes associées elles à un bouton chacune, sans oublier la multitude de Skills. Vous l'aurez compris, les joutes s'imposent comme la facette la plus réjouissante de The Last Story. Ce fourmillement d'idées et d'influences que Sakaguchi a su assembler pour bâtir une telle mécanique de précision force l'admiration. Du coup on regrette que la difficulté, peu corsée dans l'ensemble, ne demande pas d'en exploiter les rouages en profondeur. Du moins jusqu'au "New Game +" qui nous confronte d'emblée à des adversaires plus féroces. Et on peut s'interroger sur sa finalité, à part évidemment de rallonger les vingt cinq heures de la quête initiale. L'option en ligne devait répondre à cette question aucunement prise à la légère, en atteste la pléthore d'éléments de personnalisation du look d'Elza. Le hic, c'est qu'il faut se contenter de deux modes dénués de la moindre histoire, d'une part du massacre de Boss en coopération et d'autre part du PvP en arènes jusqu'à six. Ce dernier s'avère le plus sympathique, parce qu'il constitue un excellent moyen de parfaire ses techniques, tout en justifiant la course aux items rares et aux upgrades d'équipement, seule motivation passé le générique de fin. Hélas on sait qu'il ne s'agit pas du terrain de prédilection de la Wii, les camarades se faisant désirer sur le Nintendo Wi-Fi, même aux heures de pointe japonaises...
The Last Story a beau s'imposer comme l'une des productions technologiquement les plus abouties sur Wii, il n'en reste pas moins dépassé du fait de son support, sans doute inadapté à ses ambitions. Intriguant de constater qu'en s'éloignant de Square Enix, le sieur Sakaguchi soit finalement arrivé à une formule proche d'un Final Fantasy XIII. Autrement dit une histoire (sur)chargée d'émotion et désespérément linéaire - exception faite du petit havre de liberté qu'est Ruli City - associée à un système de combat étincelant. Mais là encore, ce dernier n'a pas suffisamment matière à s'exprimer, même en ligne. Doit-on y voir le testament enflammé d'un JRPG qui peine à allier traditions et idées modernes d'influence occidentale ? The Last Story marque en tout cas la fin d'une ère, et l'on devine déjà derrière ce soleil couchant l'aube du renouveau...