Nous sommes en 1994, la Super Nintendo s'apprête à franchir un nouveau cap visuel. Plus rien ne serait alors comme avant. Boosté à l'infographie made in Silicon Graphics, le Donkey Kong Country de Rare impose un nouveau standard sur la 16 bits de Nintendo. Aujourd'hui, 16 ans plus tard, le roi Kong vient dynamiter le dernier grand Noël de la Wii avec Donkey Kong Country Returns. La recette n'a pas changé : une ambiance jungle colorée, de la plate-forme exigeante et une vraie richesse de contenu. Mais Donkey et Diddy parviendront-ils à nous asséner la même claque que par le passé ?
Rare travaillant désormais pour Microsoft, c'est Retro Studios qui prend aujourd'hui la relève pour Nintendo. Ainsi après avoir conçu les précédents Metroid Prime, la firme texane s'attaque à un genre aux codes radicalement différents : la plate-forme en 2,5D (réalisation en 3D mais personnages se déplaçant horizontalement sur un plan unique). Et pour ce retour en force, le ton est donné dès le titre et son simple "Returns". Il ne s'agit donc pas de réinventer les fondamentaux de ce mythique jeu de plate-forme, ni d'en faire un pâle remake. L'ambition reste de retrouver la saveur du titre d'antan et de le penser clairement pour les amoureux de l'original. Vous voici donc de retour sur l'île paradisiaque de la smala Kong. Problème, un masque vaudou lance un sortilège sur tous les animaux de la savane, leur intimant l'ordre de voler l'ensemble des bananes. Tous les animaux ? Non : forcément, Donkey et son jeune compagnon Diddy se montrent insensibles aux charmes hypnotiques de ces rondins de bois cosmiques. En revanche, voler des bananes, pour eux, c'est trop. Ainsi peut débuter un périple fait de sauts millimétrés, de hurlements à en réveiller Tarzan, et de gesticulations à la Wiimote...
Crash Donkeycoot ?
Dès les premières minutes, le constat est évident. Qu'il s'agisse des masques ou du style visuel général (des teintes à l'architecture des lieux), l'ensemble rappelle irrésistiblement un autre grand nom américain de la plate-forme : Crash Bandicoot ! On y retrouve l'ambiance chaleureuse et colorée. Le rythme soutenu aussi. Pour le reste, la pâte Donkey Kong transpire par tous les pores. Mention spéciale aux niveaux en ombre chinoise, particulièrement esthétiques. Des échafaudages en hommage au premier Donkey Kong arcade sur les colonnes antiques, à l'apparition furtive de personnages de la galerie Game & Watch, les clins d'oeil adressés aux fans sont aussi légion. Les détails fourmillent, les arrières plans permettent de fréquentes escapades, ça bouge dans tous les sens, c'est nerveux, vivant... Oui, on se sent bien dans ce Donkey Kong Country Returns. Sans compter que l'arrivée sur Wii permet d'offrir une prise en main originale à la Wiimote. Vous aurez d'ailleurs le choix entre une utilisation du combo Wiimote + Nunchuk, ou bien Wiimote seule mais dans le sens horizontal. Dans les deux cas, certaines actions vous demanderont de secouer la manette pour simuler les différents mouvements de nos primates virtuels (frapper le sol, effectuer une accélération roulé-boulé, ou souffler sur des plantes). L'occasion de faire corps avec les héros et le fait de ne pas avoir à utiliser le viseur de la Wiimote apporte une précision bienvenue tant l'aventure se montre déjà suffisamment corsée comme ça...
La dure loi de la jungle
Soyons clairs, la difficulté monte progressivement jusqu'à imposer un challenge à la limite du crispant par moments. Des phases très facilement identifiables d'ailleurs : les tonneaux-fusées (il faut appuyer plus ou moins pour monter/descendre) et les séquences en chariots. Des passages qui risquent d'ailleurs de phagocyter une quantité cosmique de vos vies (par ailleurs assez faciles à récupérer chez Cranky qui pourra aussi vous vendre des coeurs supplémentaires, des potions d'invincibilité, des aides pour découvrir certains trésors, etc). Dans ces passages (chariot et tonneaux-fusées), pas de notion de coeur, non, la moindre infime erreur est synonyme de "je recommence". Promis, vous bénirez les cochonnets servant de points de passage. Dans ces moments, la progression par l'échec devient coutumière au point de laisser planer une légère frustration. C'est là qu'intervient (au bout du dixième échec consécutif) le désormais célèbre Super Guide permettant de conclure automatiquement le niveau (en admirant la performance parfaite, et donc rageante, d'un Super Donkey Kong). Dilemme. Pour les joueurs occasionnels, son utilisation risque d'être très (trop ?) fréquente tant la difficulté est élevée. Au risque de décourager (syndrome : "mais je suis nul ou quoi ?") Pour les joueurs confirmés, la tentation pourra aussi parfois l'emporter. D'autant que contrairement à ce que beaucoup clament, non, le gameplay n'est pas si parfait. Je m'explique...
Gameplay imparfait
Oui Donkey Kong Country Returns s'impose comme un monument du level design et de l'inventivité ludique. Les pièges sont nombreux, variés, vicieux, parfois bluffants. Chaque niveau propose de petites découvertes et il sera impossible de reprocher à ce Donkey de resservir la soupe ad nauseam. En revanche, la prise en main n'est pas exempte de défauts. Une sensation essentiellement perceptible lorsqu'on incarne Donkey dont l'inertie pourra parfois vous faire rager. Le gorille a ainsi tendance à glisser. Sans compter que toutes les règles habituelles dans un jeu de plate-forme ne sont pas prises en compte ici. Exemple : sur un chariot lancé à 100 à l'heure sur un plan incliné, si vous sautez pour récupérer une banane, il ne faudra surtout pas essayer de compenser son saut en appuyant légèrement vers la droite pour rattraper le wagonnet. Non. Il suffit simplement de sauter. Pratique me direz-vous, mais pas forcément logique (surtout pour un jeu Nintendo). Il faudra donc éduquer son cerveau pour éviter une erreur-réflexe rageante. Autre élément étonnant, d'habitude les designers conçoivent leurs boss en indiquant aux joueurs quelles zones ne pas toucher (piques sur les épaules, griffes, etc). Il en va de même ici, sauf qu'en fait il ne faut pas uniquement se méfier des zones visuellement identifiées comme dangereuses... car quoique vous effleuriez, vous serez touché ! Sévère et surtout pas forcément logique.
De la coopération intermittente
Pour la première fois dans la série, il est possible de jouer à deux joueurs en simultané. Et non en alternance comme par le passé. Alléluia crieront nombre de joueurs, et j'en fais forcément partie. Pourtant, une fois de plus, l'excellent côtoie le contestable. En effet, de nombreux niveaux ont été clairement conçus pour un joueur. Pas deux. Une fois de plus je pense aux segments en wagonnets et en barils-fusées. Dans ces moments, si vous essayez d'interagir à deux, c'est la mort assurée, personne n'ayant à la microseconde près le même timing. Du coup, s'engagent des phases d'attente. Ou d'échange de manette obligatoire pour faire participer l'autre. Vu qu'il s'agit des séquences les plus difficiles, donc les plus longues à franchir, ce n'est pas forcément ce que certains appelleront de la coopération. Pour le reste, il faut avouer que la collaboration qui doit s'instaurer entre Diddy et Donkey apporte du sel à la progression. Le jet-pack et le revolver à bananes de Diddy cristallisent ainsi l'attention. D'autant qu'il faut l'avouer, un saut avec jet-pack sera toujours plus rassurant. Les "vient sur mon dos", "balance ta banane, vite" et autres joyeusetés se multiplieront en enflammant votre salon. D'autant que le système se veut aussi ingénieux que fourbe : les joueurs partagent un pot commun de vies. En clair, tant qu'un des deux joueurs reste en vie, la partie continue. En revanche, si les deux protagonistes perdent leurs cœurs... vous perdrez directement deux vies. Et promis, votre butin vital peut très rapidement fondre comme neige au soleil. Choisissez vos amis...
Banane flambée
En terme de volume, ce Donkey Kong Country Returns n'a pas à rougir. Si l'aventure principale peut se boucler raisonnablement rapidement (encore plus avec le Super Guide évidemment), en revanche, découvrir toutes les salles secrètes, réussir à trouver l'intégralité des fragments de cartes, toutes les lettres Kong, ou franchir les niveaux en mode Chrono font s'envoler la durée de vie vers les canopées ! En revanche, nouvelle nuance, même si Rambi le rhino effectue son grand retour (permettant de foncer à toute berzingue en détruisant tout sur son passage), quid d'Expresso l'autruche ou d'Enguarde l'espadon, ou Winky la grenouille ? D'ailleurs, sachez-le, aucun niveau sous-marin n'est proposé ici. Il est donc dommage pour ce retour que le roi des Kong n'ait pas réellement rappelé tout son clan pour plus de variété des situations.
Donkey Kong Country Returns a été clairement conçu par et pour des fans de l'épisode original sur Super Nintendo. Pour des gamers chevronnés donc. Car derrière ses atours de jeu de plate-forme coloré et rafraîchissant se cache un challenge à la difficulté cruellement relevée. Pas sur tous les niveaux, mais réellement concentré sur deux types de niveaux pas forcément bien réglés. Au point d'en devenir frustrant ? Sur certains type de niveaux, oui. Cela peut-il pour autant en constituer un défaut ? Cela dépendra réellement des joueurs. Une chose est sûre, l'expérience de jeu se montre soignée, hautement inspirée dans les rouages proposées, mais aussi un tantinet moins variée dans les situations proposées qu'à l'époque de la Super Nintendo. Un grand jeu, mais pas royal.