On peut dire qu'il se sera fait attendre, ce test de Rock Band 3. Et pour cause : je refusais mordicus de me prononcer sur le jeu sans avoir pu essayer tous les instruments ! Or, obtenir ceux-ci ne fut pas une mince affaire, la guitare "pro" n'arrivant sur le marché qu'aujourd'hui par exemple. Mais les quolibets de mon rédac-chef bien aimé touchent à leur fin ; en avant donc pour une analyse en profondeur du dernier tube d'Harmonix !
Les versions étant similaires, les tests le sont aussi.
Dans le monde sans pitié des jeux musicaux, il faut bien reconnaitre qu'on tourne un peu en rond depuis quelques années. Et les ventes en chute libre des différentes licences tendent à confirmer la chose. Alors, quand les nouveautés de Rock Band 3 ont été annoncées, j'ai levé un sourcil interrogateur, espérant enfin voir un jeu qui saurait être autre chose que du scoring et des soirées entre amis pas toujours montrables, mais plutôt un véritable pont entre le monde du jeu et celui de la musique. Est-ce que c'est le cas ? En partie, oui c'est sûr. Mais même sans ces fameux modes "pro" que je vais évoquer plus loin, le jeu à de quoi en revendre pour celui qui n'ambitionne pas particulièrement de devenir le prochain Steve Vai, John Lord ou John Bonham...
The Beautiful People
Une chose est sure, les deux principales licences portent bien leur nom, et la où les Guitar Hero se focalisent surtout sur un aspect challenge du nombre de notes à jouer à la seconde, et de la plus grosse ampoule que vous attraperez au pouce sur des triples croches assassines, les Rock Band eux s'attardent plus sur l'aspect communautaire, la composition et le suivi du groupe et sa progression. Comme précédemment, dès la galette insérée, on pourra choisir un nom de groupe, un logo, et des musiciens, prédéfinis ou customs. Les éditeurs sont relativement complets, et au fil du jeu vous débloquerez de quoi personnaliser jusqu'au bout des ongles vos avatars : physique, vêtements, tatouages, maquillage, instruments... Licences oblige, c'est la guéguerre avec Activision, donc ici point d'Ibanez par exemple (snif), il faudra faire avec Jackson ou encore Fender. On en viendrait presque à souhaiter une fusion des licences pour avoir le meilleur des deux mondes.
Les 83 morceaux du jeu sont disponibles dès le début (en voila une idée qu'elle est bonne !), et le mode carrière a été repensé d'une façon assez sympathique. Votre groupe enchainera une série de concerts, assez courts, dont vous pourrez à chaque fois choisir la liste de morceaux, aléatoire dans un style et une difficulté donnée, ou bien entièrement libre. Vous ne serez donc jamais obligé de jouer un morceau que vous n'aimez pas. De plus, chaque concert se verra agrémenté de challenges vous permettant de gagner des jetons qui seront convertis en étoiles après coup : maintenir l'overdrive le plus longtemps possible, réussir la plus longue série de notes, etc. Rien de très original, mais cela incite à se concentrer d'avantage, surtout au début du jeu où on aurait sinon un peu tendance à jouer les mains dans le dos.
Visuellement, c'est bon sans être parfait. La présence des partitions du mode pro pour la guitare et le clavier permettent aux avatars de jouer de façon réaliste leurs parties, et les scènes sont originales et multiples. La "réalisation" est généralement assez bien fichue, et les divers artifices ne lassent pas. Toutefois, les animations flottent un peu, et on n'atteint pas le délire chorégraphique qu'on avait pu voir récemment dans certains titres de Guitar Hero : Warriors of Rock.
Mais fi de ces considérations annexes, penchons nous plutôt sur le coeur du jeu ! On peut maintenant jouer jusqu'à sept simultanément, nonobstant la limitation des consoles à quatre joueurs : guitare, basse, batterie, le clavier nouveau venu, chant et choeurs. Attention toutefois, ce mode "tous instruments" implique que les trois potentiels chanteurs seront en mode karaoké, et ne contribueront pas au score de la partie. Ce mode n'est pas non plus disponible online, à moins qu'un des participants soit le groupe de chanteurs. Les principes du "party game" ont été implémentés, il est donc possible à tout moment de rejoindre ou quitter la partie, et de changer d'instrument ou de difficulté sans rien avoir à interrompre. Bref, la totale est entre nos mains pour passer des soirées bruyantes et sans prise de tête.
Something Bigger, Something Brighter
La première grosse nouveauté de Rock Band 3 est son clavier, ou plutôt son keytar, cet instrument un peu kitsch des années 80, mi-guitare mi-clavier, se portant en bandoulière. Si le look serre-tête et spandex ne vous parle pas, un pied est également disponible séparément. Composé de deux octaves complètes, soit 24 touches, et sur le manche d'un bouton pour lancer l'overdrive et d'un ruban de modulation comparable au vibrato des guitares, c'est le seul instrument disponible en bundle avec le jeu. On constate toutefois une différence notable avec un clavier normal : la présence de détrompeurs sur le côté des touches délimitant les sections colorées, qui permettent (théoriquement) de savoir où se trouve sa main sans quitter l'écran des yeux. Car si le mode normal, très semblable à la guitare, et même plus facile, ne vous fera pas bouger des cinq touches assignées au couleurs habituelles, c'est une toute autre histoire avec le mode pro ! Celui-ci vous fera rapidement jouer les véritables accords du morceau, et promènera votre main d'un bout à l'autre du clavier, via un scrolling à l'écran qui n'affiche qu'une section limitée de la gamme des touches. Inutile dans ce mode d'espérer jouer convenablement les morceaux difficiles du premier coup, que vous connaissiez le piano ou non d'ailleurs. C'est d'ailleurs le reproche que l'on peut faire à ce mode de jeu : l'absence de notation traditionnelle met certes tout le monde à la même enseigne, mais les fines colonnes sont peu lisibles, et contrairement à la guitare pro on n'aura pas d'indication, même sommaires, qu'on est en train de jouer tel ou tel accord par exemple.
L'apport du clavier se ressent indéniablement sur l'orientation de la playlist, qui fait la part belle à certains morceaux de new-wave. Pourtant, seule une soixantaine de titres comporte une partie clavier, et je cherche toujours Final Countdown ou Jump! de Van Halen... En plus, les parties de clavier ne sont pas disponibles dans les anciens titres importés ou en DLC ; espérons donc qu'on pourra rapidement compléter ceux-ci moyennant une somme modique.
Avant d'attaquer l'autre gros morceau des nouveautés, passons rapidement sur la nouvelle batterie, pro elle aussi. Guitar Hero cantonne à cinq éléments fixes, 3 pads et 2 cymbales, alors qu'ici on reprend le principe du partage de trois des quatre couleurs : jaune bleu et vert correspondent à la fois aux tom-toms et respectivement au charley, à la ride et à la crash. Le mode pro permet donc de brancher une à trois cymbales, qui obligent à différencier la frappe de ces trois couleurs. C'est on ne peut plus simple à l'écran : un carré pour le pad, un rond pour la cymbale, et à vous les joies de la distribution des frappes. L'avantage de cette configuration, c'est que cette fois tous les anciens morceaux sont compatibles avec le mode pro, vu que la différenciation a toujours existé. Il est également possible de brancher une deuxième pédale, qui servira au choix pour le charley ou la double grosse caisse. Attention toutefois, les parties de double pédale, comme dans Beast & The Harlot par exemple, ne sont pas chartées, hélas pour les musclés des cuisses. En terme de matériel, la nouvelle batterie est plus qu'honnête, les nouvelles cymbales dans un matériau plutôt silencieux, et le rebond et la sensibilité de l'ensemble sont convenables. Seule la pédale est toujours assez désagréable à la longue.
I Love Rock N' Roll
Pour ceux qui l'ignoreraient, je joue de la guitare depuis un bon moment. Sans avoir un niveau extraordinaire, je commence à connaître pas mal l'instrument, et j'ai toujours été déçu par le mode expert des jeux de guitare, que j'ignore presque systématiquement. Surtout dans les dernières itérations de Guitar Hero, qui privilégient la difficulté brute à une vraie retranscription du feeling de l'instrument. Plutôt que de passer un temps fou à apprendre les enchaînements de touches dans le jeu, autant travailler vraiment des morceaux, me disais-je. Eh bien, voila qu'arrive le mode guitare pro de Rock Band 3 !
Annoncé comme une révolution, ce mode ne s'adresse pas pour autant au tout venant. Déjà, il nécessitera des accessoires spécifiques. Le premier, fraichement disponible, enfin en théorie, reste du domaine du plastique : il s'agit de la Fender Mustang. Au programme, une touche par case et par corde d'une vraie guitare, le tout sur 17 cases (je me pose d'ailleurs toujours la question du pourquoi 17 et pas 21 ou 22, qui aurait évité des transpositions étranges de certains passages ou solos). Cela nous fait donc 17x6 = 102 boutons. Eh oui ma bonne dame ! Et autant de bonnes raisons de se planter ! Pour la main droite, on a cette fois affaire à de vraies cordes, mais en plastique également, et toutes du même diamètre.
Et comment représenter tout ça à l'écran ? Eh bien la encore, Harmonix a décidé d'ignorer les notations existantes comme les tablatures, et d'utiliser un système personnel. Les six cordes sont figurées, et sur celles-ci défilent les blocs des notes, avec les cases à jouer inscrites à l'intérieur. En bas s'affichent en temps réel la position des doigts appuyés, et les cordes vibrent quand vous les jouez. Disons-le tout de suite, il faudra de bon yeux pour distinguer les nombres qui défilent à grande vitesse. Comme pour le clavier pro, penser pouvoir jouer un morceau un peu difficile du premier coup en hard, voire en medium pour les plus durs, est une gageure, et un apprentissage sera toujours bienvenu pour éviter la plantade en beauté.
Pour les accords, les choses se compliquent, et je trouve personnellement la notation utilisée par défaut illisible. De base, seule la position du doigt le plus bas (soit le plus près de la tête de la guitare) est indiquée, et le reste doit se deviner avec une forme correspondant à l'éloignement entre les doigts. A vous de faire coïncider l'indicateur en bas de l'écran avec la forme qui arrive. Ca parait compliqué ? Eh bien oui ça l'est ! Et pareil, avec la vitesse du morceau, impossible le plus souvent de comprendre ce qu'on nous demande. Fort heureusement, une option existe pour afficher numériquement la position de tous les doigts. Mais étrangement même dans ce cas certains accords (de base) demeureront uniquement graphiques.
Enfin, quelques nouveautés de jeu sont rendues possible par ce nouveau périphérique. Les cordes à vide bien entendu, qui me manquaient depuis le tout premier GH, mais aussi les notes percussives (sans position précise de la main gauche), et les slides (glissés) d'une note à l'autre. Niveau prise en main, le manche a la dimension d'un vrai, et un profil agréable, loin du destructeur de pouce habituel, et les cordes répondent bien et précisément. La largeur des boutons, de l'ordre de 2mm, déstabilise un peu quand on est habitué à un vrai instrument. Le manque de repères visuels sur la face du manche aussi, il y a juste des marqueurs de position sur la tranche. Mais assez rapidement, on trouve ses marques, on arrive à s'y croire, et c'est le principal ! Je me suis surpris à rocker sauvagement sur Crazy Train et ses riffs blindés de palm mutes et autres harmoniques naturelles, notions qui n'existent pas per se dans le jeu, mais sont bien rendues. Le principal reproche que je peux faire à l'instrument en fait, c'est l'absence de feedback dans les doigts de la main gauche : sur une vraie guitare, on sait quelle corde on vient de jouer parce qu'elle bouge sensiblement sous son doigt au moment de l'attaque. Sans ce feedback, on peut décaler sa main droite sans s'en rendre compte ; il faut garder les yeux collés aux indicateurs de l'écran pour éviter la bourde.
Everybody Wants to Rule the World
Qui dit modes pro dit qu'il faudra passer par... l'école bien entendu. Tout d'abord, une initiation aux instruments permettra de se familiariser avec les différents concepts. Pour la guitare on verra donc le placement sur le manche, les cordes, les accords de base et d'autres plus compliqués, les différentes liaisons, les gammes... Un peu de théorie musicale est présente, mais très succinctement dans les commentaires, et avouons-le, ça vous fera une belle jambe de savoir que vous jouez une gamme mixolydienne de sol.
Ensuite, il faudra apprendre les chansons. En plus du mode entrainement sur les morceaux, un mode apprentissage permettra de façon plus organisée de se programmer les doigts. Ainsi, vous pourrez travailler individuellement et rapidement les parties principales, avant d'attaquer le morceau proprement dit.
Très bonne idée dans le fond, je suis toutefois déçu par deux aspects du training. Tout d'abord, le mode par défaut s'interrompt en cas d'erreur, et ne reprend que lorsque la bonne note est jouée. Le problème, c'est qu'on joue la note, hors contexte, puis le morceau rembobine, et passe à la note suivante en ignorant la première. Au final, on ne fait jamais le vrai enchainement avant d'avoir bouclé et recommencé la partie concernée. L'autre chose énervante, la vitesse minimale : en entrainement, c'est 70%, et autant dire que 70% pour déchiffrer une chiée de petits nombres dans des carrés trop proches les uns des autres, ça reste très rapide ! Certaines sections étant très longues, on devra les répéter inlassablement pour enfin comprendre ce qu'on était supposé faire. Un mode pas-à-pas et la possibilité de descendre jusqu'à 25% en vitesse n'auraient pas été de trop.
Enfin, en ce qui concerne la transcription des morceaux en eux-mêmes, on est très proche de la réalité (et je me fais une joie de jouer Power of Love à ma prochaine répétition), mais ce n'est forcément pas à 100% LA réalité, contrairement à ce qu'on a voulu nous faire croire. Mais l'explication tient dans les limitations du système : l'absence de bends (le fait de pousser ou tirer la corde pour jouer une note plus aigüe), qui du coup fait que le jeu indique une bonne position sur le manche, mais pour des notes différentes ; et la limitation à 17 cases ensuite : certaines parties sont donc souvent transposées à l'octave inférieure. N'espérez donc pas maîtriser directement le solo de Bohemian Rhapsody en vrai parce que vous le passez en expert dans le jeu... Et pour finir, un dernier point noir, pour les vrais guitaristes : le jeu ne tient pas compte de la note ou de l'accord voulu, mais des cases et des cordes. Si vous avez, comme moi, l'habitude de jouer un accord de sol plutôt à quatre doigts, ou bien que vous auriez plutôt bien joué cette note sur une autre corde, oubliez ! Rock Band 3 reste avant tout, même en mode pro, un jeu de précision dans la restitution exacte de ce qui vous est demandé. Et le groove, dans tout ça, alors ?
Been Caught Stealing
Pour les quatre courageux qui sont arrivés jusqu'ici dans la lecture de ce test fleuve, il va être temps de conclure. Mais pas avant d'avoir abordé l'aspect qui fâche depuis toujours avec Rock Band, surtout en cette période entre les impôts et les cadeaux de Noël : la mise à mal du compte en banque.
Primo, la playlist en demi-teinte de cet opus, malgré la présence d'incontournables tels Free Bird, Bohemian Rhapsody - qui prend tout son sens avec un clavier, Power of Love, et de quelques challenges techniques pour chaque instrument, rend presque nécessaire l'import des jeux précédents ou l'achat de nombreux DLC pour s'assurer une soirée réussie. Car avec le jeu nu, vous aurez vite fait de vous retrouver à jouer toujours les mêmes cinq ou six titres avec vos potes. A noter que l'import des opus précédents se fait moyennant finance la plupart du temps (une dizaine d'euros pour Rock Band 2 par exemple), que certains titres ne seront pas importés, et que vous pouvez faire une croix sur The Beatles : Rock Band. Prévoyez également de repasser à la caisse (on l'espère pour juste un petit supplément) pour les parties pro des morceaux que vous possédez déjà !
Deuzio, tout ce matériel pro coûte un rein. 130€ la batterie pro, mais surtout 150€ la guitare pro, ça commence à faire beaucoup l'accessoire très spécialisé. Pour les plus motivés à franchir la barrière entre jeu et musique, la Squier Stratocaster, une vraie guitare compatible avec le jeu, sortira en mars pour... pas loin de 300 eurobrouzoufs. Initiative louable toutefois, un boitier MIDI permettra de brancher la majorité des claviers et kits de batterie électronique du marché et de les utiliser dans le jeu... En revanche, il faudra vraisemblablement attendre fin janvier pour espérer mettre la main dessus (l'exemplaire qu'on nous a prêté pour ce test était plutôt bien foutu).
Notons enfin que la guitare pro et le clavier disposent de sorties MIDI, qui vous permettront de les utiliser comme des contrôleurs, certes assez basiques, et donc de les brancher à un expandeur pour en sortir du vrai son, ou à un ordinateur (moyennant une interface idoine) afin de vous lancer dans les joies de l'enregistrement et de la composition !
Si votre compte en banque peut se remettre des investissements qu'impliquent les instruments, ou bien même si vous continuez à jouer à l'ancienne sans vous prendre la tête, Rock Band 3 se pose désormais comme la nouvelle référence du jeu musical de groupe, tout simplement incontournable. Le clavier est un vrai plus, surtout en mode pro, et la guitare pro un véritable challenge qui donnera du fil à retordre aux plus acharnés. Avec toujours son gameplay au petits oignons, en terme de jeu pur il n'a rien à se reprocher, et il vous occupera des dizaines d'heures durant. Pour le côté apprentissage de vrais instruments en revanche, le pari n'est pas encore tout à fait gagné. Seul l'avenir nous dira si le public suivra, et si le mode pro créera de nouvelles vocations, comme l'apparition de la batterie dans le premier Rock Band en son temps. Mais au moins Harmonix a cherché à progresser, la où la concurrence stagne, et je ne peux qu'applaudir ! Hey Man, Nice Shot!
Merci à Marlène et Alex !