Parmi les choses qui ont bercé mon enfance et qui m'ont laissé des souvenirs impérissables, il y a les jeux de Tim Schafer et le heavy-metal. Bien que je ne sois pas particulièrement fier du dernier, il s'agit néanmoins d'une partie de mon existence que je ne peux pas renier. Du coup, lorsque l'annonce de Brütal Legend a été faite, j'étais bien évidemment excité comme un puce à l'idée de jouer à un titre réalisé par un de mes héros, qui tournerait autour de l'univers du métal à l'ancienne.
Qu'on le veuille ou non, le heavy metal des années 70 et 80 est un genre qui restera dans la mémoire collective, pas tant pour la musique (bien que certains groupes soient fondamentaux) que pour l'imagerie et l'esprit qu'il a véhiculé. Les looks des musiciens comme le design des pochettes ou les sujets abordés dans les chansons sont bien particuliers et ont marqué leur époque. Tout était très cliché, façon sexe, drogues, rock'n'roll et démons, mais finalement très cohérent et régi par des codes assez précis pour que l'on puisse s'y retrouver assez facilement. Voilà pourquoi intégrer toute cette thématique dans le monde virtuel d'un jeu vidéo, n'est pas en fin de compte une idée si étonnante. Cela dit, ce n'est pas tout d'en avoir l'idée, il faut aussi savoir en faire quelque chose d'un minimum vendeur, qui ne s'adresserait pas qu'aux chevelus tatoués adorateurs de Satan, mais aussi à l'ensemble des gamers.
Pas que pour les bourrins
En cela, Tim Schafer et son équipe de Double Fine ont réussi leur pari. Brütal Legend est tout sauf un jeu niche. Il s'agit d'un vrai jeu qui s'adresse avant tout aux vrais joueurs. Si parmi ceux-là, certains aiment le hard-rock et toute son imagerie, alors ils seront effectivement doublement heureux, mais que ce soit clair tout de suite, Brütal Legend est assez fin pour ne pas être réservé qu'aux métalleux. Il convient à tout ceux qui aiment avoir une manette entre les mains (sauf peut-être ceux qui sont fans de Céline Dion, mais ils ne doivent pas être nombreux). Doté d'un gameplay extrêmement travaillé qui profite d'un univers profond et riche, aussi bien dans ses personnages que dans les environnements que l'on explore, le titre de Double Fine est épatant à plus d'un niveau.
C'est l'histoire d'un roadie
On incarne Eddie Riggs, un roadie à l'ancienne, amoureux de musique mais grand nostalgique du passé et plein d'amertume lorsqu'il constate que les groupes pour lesquels il travaille ne sont plus en phase avec sa définition du rock'n'roll. Suite à un événement abracadabrantesque, il se retrouve propulsé dans un monde où tout ce qu'il affectionne dans le heavy-metal semble avoir pris vie. Tous les gens sont fringués comme des hard-rockeurs, la bière est la seule boisson du coin et les décors ressemblent à des pochettes d'albums. Cependant, ce monde est en proie à un démon du mal qui a réduit en esclavage la population humaine (imaginez que certains doivent creuser les mines à l'aide de leur crâne en "headbangant"). En le voyant débarquer de la sorte, muni d'une hache de guerre légendaire récupérée au préalable, et de sa fidèle guitare, Clémentine (qui désormais balance de l'électricité lorsque l'on joue avec), les autochtones le prennent pour une sorte de messie, qui d'après la légende, viendra délivrer le peuple du tyran. Toutefois Eddie est un roadie, et donc un homme de l'ombre. De ce fait, il refuse le statut de leader, mais propose de participer à ce soulèvement populaire et de lever une armée de rebelles avec lesquels lancer l'assaut final qui permettra de rendre leur dignité aux humains.
De véritables guest-stars
Le scénario donne dans l'épique. Classique dans la forme, mais complètement décalé dans le fond, comme à l'accoutumée avec Tim Schafer, il excelle dans ses dialogues, particulièrement drôles, sans pour autant consister en une simple succession de vannes. On se retrouve devant une histoire qui progresse réellement, avec son lot de rebondissements et des personnages secondaires assez charismatiques pour que l'on s'attache à chacun d'entre eux. Il faut dire que de ce côté-là, les amateurs de musique retrouveront certaines des plus célèbres icônes du hard-rock. En plus de Jack Black qui interprète le rôle principal d'Eddie, on trouve aussi Lemmy de Motörhead en guérisseur qui utilise sa basse pour soigner les blessés, Ozzy Osbourne, autoproclamé gardien du métal, chez qui il faudra se rendre pour acheter les diverses upgrades et personnalisations pour les armes et la voiture (je reviendrai sur cet aspect du jeu plus loin) ainsi que Robert Halford de Judas Priest et Lita Ford en doubleurs de luxe. Tous s'avèrent d'ailleurs étonnamment bons dans l'exercice (à ce propos, bien que la VF soit loin d'être mauvaise, nous vous recommandons vivement la VO qui permet de profiter pleinement des divers jeux de mots et du talent d'acteur des interprètes).
Heavy-Metal, ton univers impitoyable
Le tout est pourvu d'une réalisation qui ne brille pas par sa technique (le jeu n'est pas particulièrement impressionnant graphiquement et le frame-rate n'est pas constant), mais c'est parfaitement compensé par une direction artistique impressionnante. Les décors fourmillent de détails en tout genre qui permettent de rendre l'univers consistant et surtout crédible. De même pour le design des divers personnages et des monstres que l'on croisera, qui possède vraiment une patte personnelle qui le rend unique. Sans compter aussi certaines cut-scenes magnifiques en termes de mise en scène (notamment une sur fond du célèbre Mister Crowley d'Ozzy Osbourne, qui est à tomber par terre). Le périple en terre rockeuse se déroule dans un univers entièrement ouvert, que l'on peut donc explorer librement à pied, ou au volant d'une voiture, la Deuce, entre deux missions. Celles-ci, bien que classiques dans leur déroulement, sont néanmoins particulièrement variées. On fait rarement deux fois la même chose. Préparer des embuscades, défendre une position, escorter un convoi, faire des courses en voitures, et bien sûr casser des (sales) gueules en masse... voilà un aperçu de ce qui vous sera proposé.
Je commence par taper...
Côté gameplay d'ailleurs, le titre a la particularité d'évoluer énormément tout le long de l'aventure. Il s'étoffe au fur et à mesure de la progression jusqu'à devenir particulièrement riche, et cela d'une manière très fine, presque sans que l'on s'en aperçoive. Si le début est essentiellement un beat'em all en 3D où l'on martèle ses ennemis à coups de hache et de riffs électrisants, avec tous les combos qui vont avec, il se transforme doucement mais sûrement pour devenir quelque chose de plus stratégique, où l'on donnera des ordres très basiques aux soldats qui se joignent à l'aventure (du genre attaquer, défendre ou suivre Eddie). Et au fur et à mesure des rencontres avec les habitants, les différentes "classes" de personnages se joindront à l'équipe. À noter justement que l'on pourra faire des attaques en duo avec chacune d'entre elles, qui en toute logique s'avéreront beaucoup plus puissantes et destructrices. L'approche du jeu devenant de plus en plus tactique, jusqu'à atteindre par moment quelque chose d'assez proche du STR.
Le hard rock avec un cerveau
En effet, certaines missions se révèleront être de véritables hybrides entre l'action et la stratégie temps-réel. Il faudra affronter des factions ennemies, avec pour but final de détruire leurs bases tout en protégeant la sienne (représentée à l'écran par une scène de concert). Pour cela, il sera nécessaire d'exploiter les ressources (des geysers de fans) en construisant dessus des bâtiments qui canaliseront leur énergie (des stands de goodies et de merchandising) afin de créer des unités de combat diverses à qui l'on donnera les différents ordres qui permettront de parvenir à ses fins. Pendant ce temps, on ne restera pas passif à attendre que ça se passe comme un général dans son QG, puisque que l'on continuera de diriger Eddie en distribuant les mandales les mieux placées stratégiquement. Je dois avouer que c'est très perturbant au départ, tant on ne s'attend pas à un tel revirement de gameplay. Néanmoins, une fois que l'on maîtrise la maniabilité (qui n'est malheureusement ni très claire ni optimale), et que l'on a bien saisi l'approche qu'il faut avoir, ces missions s'avèrent plaisantes, que l'on soit un habitué de jeux stratégiques ou non (moi-même je n'en suis pas un). D'autant plus qu'en fin de compte, ce type de séquence reste tout de même largement minoritaire par rapport aux autres, entièrement dédiées à l'action.
Tout a une fin ?
Comme je l'ai expliqué précédemment, le jeu est bien plus riche que l'on aurait pu l'imaginer. Par son gameplay, mais aussi les nombreux à-côtés qui nous sont proposés en dehors de l'aventure principale. On compte un bon paquet de missions secondaires, complètement indépendantes de la trame principale, mais dont certaines sont intéressantes (par exemple, il y a une course en voiture en temps limité afin de déposer les bières avant qu'elles ne soient plus fraîches). Il y a également de nombreux secrets à trouver, disséminés un peu partout dans le monde, ainsi que diverses possibilités de customisation et d'upgrade des armes et de la voiture, qui, bien qu'elles ne soient pas indispensables, aident énormément à venir à bout des missions de l'aventure principale. Autant dire que pour finir le jeu à 100%, il va falloir s'accrocher et avoir du temps devant soi. En outre, un mode multijoueur en ligne reprenant le principe des missions action/RTS citées plus haut, dans lequel on peut choisir entre trois factions possédant chacune leur style et leurs unités propres, complète le tableau. Il faut ajouter à cela une tracklist impressionnante, composée bien évidemment uniquement de morceaux métal mais couvrant toutes les époques (de Black Sabbath à Prong, en passant par du gros Manowar ou Judas Priest), et avec laquelle tout amateur de musique qui tâche devrait trouver son compte.
Une ode au rock'n'roll
Au final, bien qu'il soit loin d'être parfait, notamment d'un point de vue strictement technique ou même dans son gameplay, qui paradoxalement est tellement varié qu'il peut dérouter et laisser le joueur un peu perdu, Brütal Legend m'a touché. Il m'inspire énormément de respect pour ses créateurs. C'est un titre dans lequel on plonge pour se se retrouver réellement immergé. Tantôt épique, tantôt drôle, tantôt tragique, Brütal Legend est un jeu que l'on trouvera tout simplement brillant pour peu qu'on le prenne dans sa globalité et non point par point.
L'aventure dans son ensemble est carrée, jusqu'à son final, parfaitement logique, et en même temps émouvant. Ça transpire la sincérité de tous les côtés : on sent que les développeurs ont avant tout eu envie de faire plaisir aux joueurs autant qu'à eux-mêmes. Ils ont fait ce qu'ils ont vraiment voulu, et sont allés jusqu'au bout de leur idée en créant un monde imaginaire délirant, mais respectueux d'une thématique qui de toute évidence leur est chère. D'une certaine manière en la glorifiant, même, et sans que quoi ce soit ne semble avoir été dicté par les lois du marché ou une quelconque mode. En cela, Brütal Legend est un jeu parfaitement en phase avec le sujet qu'il exploite, autant qu'une production guidée par une philosophie rare. Un jeu rock'n'roll.