Cela parait aujourd'hui évident : les Expendables des jeux de logique devaient se rencontrer dans une seule et même aventure. Une idée formidable sur le papier. A ma gauche, Layton le professeur préféré qui a su séduire aussi bien les gamers que les ménagères. A ma droite, l'avocat héroïque, viril et souvent gaffeur, Phoenix Wright. Héros de manga, de films animés et même de films live, ils sont devenus, l'un en souriant et en réussissant des casse-têtes, l'autre en hurlant "objection" et en pointant du doigt, des célébrités du jeu vidéo.
Test réalisé à partir d'une version import japonais aimablement prêtée par Trader.
Mélanger leur deux univers assez complémentaires est non seulement pertinent mais aussi assez excitant. Accompagné chacun de leur sidekick attitré, ils vont devoir se serrer les coudes dans une aventure commune qui va les entraîner dans un monde féérique "médiéval fantastique" remplis de chevaliers et de sorcières.
Un voyage inattendu
Et dire que le duo de héros étaient sur le point de se croiser en plein Londres. Layton tentait de protéger une jeune fille amnésique du nom de Mahone, poursuivie qu'elle était par une sorcière. Le genre de truc qui arrive régulièrement en Grande Bretagne. De son côté, Phoenix Wright devait essayer de défendre cette même Mahone accusée de meurtre en se dépatouillant dans le système judiciaire british. Les personnages seront donc happés par un grimoire magique. Ce déplacement dans un monde parallèle ne se fait pas sans heurt...
Ninokuni
Labyrinth City, où ils se réveillent, est assez proche des enquêtes de Layton, que ce soit de "l'étrange village", de "la boite de Pandore" ou du récent "Masque des Miracles". Mais pour Phoenix Wright, ce transit signifie abandonner tout ce qui fait l'identité de sa série. C'est non seulement laisser de côté Dick Gumshoe (Dick Tektiv), Miles Edgeworth (Benjamin Hunter) et les autres, c'est également faire passer Phoenix et Maya dans un monde dominé par la magie, régi par un système et des règles laborieusement expliqués au cours des procès. On pourrait croire que c'est un problème de réalisme alors que pas du tout. Ace Attorney a, dans son ADN, une part de "What The Fuck" indispensable et rigolo. On y a déjà fait témoigner des oiseaux à la barre, quelque chose qui va d'ailleurs se reproduire ici. Le problème ici, c'est la cohérence. En l'éloignant de son univers contemporain qui lui est propre, de tout ce qui lui donne sa personnalité, Level-5 réussit l'exploit de produire le plus ennuyeux des Ace Attorney. C'est d'autant plus rageant que c'est Shû Takumi, le créateur de la série, connu pour son intransigeante créativité, qui est responsable du crossover tout autant que du scénario. Mais ici, c'est Layton qui donne l'impression de mener la dance. Des DLC gratuits sont prévus une fois le jeu terminé avec peut-être à la clef un peu plus d'équilibre ?
Le savoir-faire de Capcom
Heureusement, Level-5 a développé le jeu mais c'est Capcom qui s'est chargé de la direction artistique. Layton est joli et ripoliné, tout ce qu'il est d'habitude, avec des dessins animés signés Bones. Pour Layton, on est habitué, mais c'est une première pour Phoenix qui doit faire également son bizutage en 3D. C'est vraiment du travail magnifique, une modélisation simple mais efficace, expressive juste ce qu'il faut pour restituer les poses géniales et parfois complètement absurdes des procès. Mais bon sang, ces musiques, brillamment réorchestrées à la sauce "moyen âge", que d'amour ! Le genre qui me donne envie de changer ma sonnerie de téléphone, bloquée depuis quatre ou cinq ans sur celle d'Ace Attorney. Tout l'emballage est parfait à l'exception, encore une fois, de Phoenix Wright. Sans doute dans le but d'unifier les différentes versions du personnage, le pauvre avocat se voit incarné vocalement par le comédien du film live "GyakutenSaiban". Et on peut penser ce qu'on veut de sa prestation-cosplay, en jeu vidéo, c'est un désastre. Sa voix ne colle jamais à celle de Phoenix. Une bonne manière de nous rappeler que comédien de doublage est un métier très spécifique. Peut-être un défaut qui sautera dans une hypothétique sortie occidentale.
Un voyage interminable
Une fois arrivé à Labyrinth City et lorsque le jeu commence enfin, on comprend vite que l'intérêt va aller en dégringolant. L'aventure-énigmes d'un côté, les procédures de l'autre, sans jamais se mélanger. Quand le premier procès en sorcellerie commence, on est tout excité par ce twist intéressant, cette idée un peu différente qui sort du sentier battu de Phoenix Wright. On va vite déchanter quand on se rendra compte que tous les procès reposent tous sur la même situation. La seule nouveauté est de pouvoir regarder à des moments précis les réactions des autres témoins quand on interroge l'un deux. Oui, à Labyrinth Téci, on peut passer 5 par 5 à la barre. Dans les phases distinctes à la Layton, on bouge de décor en décor pour chercher des pièces, les traditionnels "Picarats". Et surtout résoudre des casse-têtes. Du pur Layton ? Pas vraiment non plus.
Layton pour noobs
Un autre problème, plus grave encore pour les fans de Layton qui sont légion : la facilité. Les mini-jeux de ce crossover sont assez bien intégrés à la narration de l'aventure. Pour une fois, on a doit à autre chose qu'à une énigme qui n'a rien à voir avec le contexte de l'histoire. Mais cela se fait au détriment de la complexité. Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir joué aux derniers Layton en date, je suis loin d'être un génie de la logique à bout de stylet, mais les casse-têtes du jour semblent calibrés sur "extrême débutants". La plupart pourront même se finir par hasard, d'un trait d'esprit, en une minute à peine. On finit parfois les épreuves par surprise. Faut-il y voir une envie de niveler le niveau par le bas pour éviter de choquer les fans de Phoenix Wright ? Par ailleurs, les procès subissent ce même effet de simplicité. Chaque Picarat récolté en mode Layton peut devenir une aide à chaque étape de la procédure de Phoenix Wright. En gros, le jeu nous indique la phrase exacte qui nécessite de balancer une "Objection !", pointant même les preuves à montrer aux juges. La seule vraie difficulté du procès, c'est de supporter leur longueur (l'atroce dernier chapitre semble durer une éternité). Pas d'inquiétude, il y aura toujours un nombre suffisant de pièces pour se débloquer des situations délicates, sans même passer par la case "Reset". A vouloir gagner sur les deux tableaux, Level-5 se plante sur toute la longueur.
"Out-of-character"
Les situations finissent par se répéter jusqu'à plus soif. On enrage souvent devant le nombre de dialogues inutiles de l'aventure. La dynamique moisie de personnages n'aide en rien. Contrairement à ce que laisse entendre le titre, il n'y a jamais vraiment de Versus, surtout que les quatre héros se passent la brosse à reluire à longueur de temps. "Comme vous êtes formidable, Maître", "Mais non Professeur, c'est vous, le bel esprit". Mais n'oubliez pas non plus "Luke qui n'a pas démérité". Si le but était de créer une atmosphère de compétition audacieuse, c'est bien loupé. A défaut de pertinence, on a de l'ambiguïté sexuelle...
Vingt heures, c'est non seulement le timing idéal pour trouver le temps long mais aussi pour constater à quel point les personnages que l'on aimait ont dérivé. Un exemple qui vaut son pesant de cacahouètes : tous les accusés sont des femmes. Dès la première affaire dans Labyrinth City, Phoenix Wright réussit à innocenter leur première accusée en sorcellerie. Intervention de Layton, objections, félicitations, le tempo de la musique s'accélère... tout ce que l'on aime, on est dedans. Sauf que, de fait, une autre fille va se retrouver accusée et aussitôt exécutée. Sa cage se referme tel un cercueil directement envoyé dans des flammes qui semblent sortir directement des enfers. Sans que Layton ou Phoenix Wright ne bronchent. "Mes héros". On se demande souvent si c'est la paresse insufflée par "cet autre univers" ou bien simplement par irresponsabilité pure. S'imaginer un instant que Layton VS Gyakutensaiban est un jeu misogyne, c'est déjà reconnaître que nos héros se sont perdus dans les eaux indéfendables et puantes d'une rencontre qui aurait vraiment mérité mieux.
Passé l'excitation de revoir Phoenix Wright après une longue absence, le fan va vite déchanter : jamais très pertinent pour un Layton dont il trivialise la mécanique, falot pour un Ace Attorney qui voit sa recette caricaturée jusqu'à l'absurde. Ce qui aurait dû être un festival réjouissant de blagues bien senties (et il y en a quelques unes) et de renversements ubuesques finit en pétard mouillé, mal branlé, sans doute paralysé par les enjeux et l'envie de trop bien faire. Un vieux russe pleins de bons conseils me disait : "tu peux boire toute la vodka que tu veux, l'important, c'est de ne pas faire de mélanges". Dommage que cette sagesse slave ne soit arrivée ni aux oreilles de Layton, ni à celles de Phoenix Wright.