Far Cry premier du nom, c'était chouette. Les palmiers, la chemise à fleur, les mercenaires et les mutations génétiques, non vraiment : les vacances bon esprit. Far Cry 2, c'était le passage à l'open world total, l'overdose de sérieux, les fausses bonnes idées de gameplay et au final un jeu qui tentait de se la jouer dynamique alors qu'il portait fièrement ses bottes de plomb. Depuis sa présentation à l'E3 2011, le troisième épisode semblait adopter une approche nouvelle, en basant l'essentiel de sa communication sur son bad guy psychotique et son écriture sous champignons. Intrigué, on l'était assurément. Mais inquiet aussi : si le jeu n'existait qu'à travers ce personnage, on allait au devant de grandes déconvenues. Ce qu'Ubisoft ne disait pas, c'est que le personnage principal de Far Cry 3 n'était pas Vaas : c'était l'île.
Coupons immédiatement court aux craintes les plus légitimes : non, Far Cry 3 ne perpétue aucune des erreurs commises dans l'épisode précédent. D'un même coup de trappe, vous pouvez dire adieu à toutes les lourdeurs qui pesaient sur les épaules déjà trop frêles de Far Cry 2 : la malaria, les armes qui s'enrayent, les aller-retours barbants, le repérage surhumain par des soldats à quatre bornes de vous, les postes-frontières à respawns automatiques, tout ça, c'est poubelle. Avouez : on respire déjà drôlement mieux comme ça non ? Bon, je ne vais pas vous mentir : le jeu débarque avec dans les poches deux-trois drôleries de son cru. Outre quelques missions un chouya rectilignes, des possibilités d'infiltration très (très) permissives et une étrange fascination pour les ambiances sonores à base de dubstep, c'est surtout lorsque l'on pose les yeux sur son HUD que l'envie de lui coller une tape sur le museau se fait violente. En abandonnant les prétentions "réalistes" du second opus, on hérite également d'un affichage tout perclus d'indicateurs : les objectifs courants bien-sûr, mais aussi une jauge de menace/visibilité par paires d'yeux posées sur vous et des rappels textuels bien gras impossibles à désactiver dans les options. Oui mais voilà, de manière générale, rien de tout cela ne saurait entamer le plaisir évident que procure le titre. On s'en tamponnerait même un peu le coquillard, pour peu que vous me permettiez la fantaisie. Ah, on m'annonce que nous survolons actuellement Rook Island. Enfilez fissa ce parachute, parce que je m'apprête à vous balancer dans le vide. Un jour, vous me remercierez.
Souviens-toi du Vaas de Soissons
Jason Brody est un jeune photographe américain en plein tour du monde des coins festifs d'Indonésie avec sa bande de potes pleins aux as et confits d'orgueil. Jason Brody est un stéréotype sur pattes. Jason Brody, c'est vous. C'est dingue comme la biture de la veille semble lointaine, maintenant que votre réserviste de frère et vous croupissez poings liés dans une cage de fortune et qu'un pirate sociopathe et camé jusqu'aux yeux vous cause modalités de rançon. Vaas Montenegro, qu'il s'appelle. Et croyez-moi, vous n'oublierez jamais ce nom-là. Peut-être parce qu'au terme d'un didacticiel sous forme de tentative d'évasion ratée, une fois le tout premier sang versé, il décidera de vous laisser filer. Comme s'il avait autant envie de jouer avec vous que vous avec lui. C'est peut-être aussi parce que de mémoire de joueur, on a rarement vu une telle folie, une telle intelligence malsaine et un tel charisme insufflés à un grand méchant : loin de se cantonner au seul cabotinage, Vaas est à peu près à Far Cry 3 ce que le Joker était au Dark Knight de Christopher Nolan.
Le long de la vingtaine de missions qui compose la trame principale, Brody n'aura de cesse de retrouver ses amis dispersés ou capturés lors de votre atterrissage catastrophe et de faire payer le lieutenant pirate pour ses atrocités. Là encore, préparez-vous à croiser une poignée d'invididualités écrites avec la bonne dose de sel - et une goutte de LSD - toute bienvenue, comme autant d'organes vitaux nécessaires à l'équilibre si particulier de l'île de Rook.
Brodyquest
Particulier, l'immense bac-à-sable insulaire proposé par Far Cry l'est assurément. D'abord par son organisation en zones vierges qu'il vous faudra explorer et révéler via un système proche de celui de la série des Assassin's Creed : tous les secteurs sont sous l'effet de brouilleurs radios installés au sommet d'immenses pylônes qu'il vous faudra atteindre et escalader afin de révéler sur votre carte les zones d'intérêt et les ressources à récupérer dans le coin. Indépendamment de la maîtrise desdites tours, la main-mise des pirates sur l'île est matérialisée par des avant-postes ennemis qu'il sera de bon ton de libérer au nom des Rakyats, la faction rebelle qui reccueille Brody pour en faire son champion. Hisser son drapeau dans une base fraîchement nettoyée permettra d'y acheter ou d'y customier ses armes mais aussi d' accéder à des missions annexes (défis de chasseur, missions d'assassinats et autres joyeusetés rapidement scénarisées) et enfin d'utiliser le campement comme un point de voyage rapide. Une fonction qu'à titre personnel et en toute amitié, j'aimerais pouvoir vous interdire. Car c'est au guidon d'un quad, aux commandes d'un deltaplane ou - mieux encore - bien calé dans le siège simili cuir du pire tacot de marque russe que vous prendrez la pleine mesure des idioties permises par le titre. Bomber en fond de quatrième sur un sentier valloné, rater son virage, partir dans un vertigineux vol plané et atterrir à la verticale sur la sentinelle d'un camp de pirates, pour finir par se dégager de son tas de taule en mitraillant à tout va : voilà l'une des mille manières d'aborder l'exploration de Rook Island comme un véritable esthète. Welcome to Jackass. Just Cause à la première personne ? Evidemment. Mais un peu Skyrim avec des flingues aussi. Si si, je maintiens ! Vient un moment où l'île s'insinue sous votre peau telle une saloperie tropicale, faisant de chaque rencontre et de chaque découverte un prétexte suffisant pour vous bricoler un défi perso, retourner la zone en quête de trophées, débloquer des objectifs secondaires et vous détourner de votre but premier. Il m'en a d'ailleurs fallu, de la détermination, pour résister aux charmes de Rook et vous livrer ces quelques lignes en temps et en heure (plus que quelques paragraphes et j'y retourne, ne nous leurrons pas).
L'île est vilaine
Si Far Cry 3 pense déjà résolument large et crétin dans le champ des possibles pour le joueur, c'est sans compter sur le caractère émergent du monde mis à disposition. Dites adieu à la faune désespérément nuisible au gameplay de l'épisode précédent et préparez-vous à compter vraiment avec le règne animal, pour le meilleur comme pour le pire. C'est quelque chose que j'ai compris rapidement, quand une simple mission de reconnaissance en territoire ennemi a soudainement tourné à l'anarchie guerrière suite à l'intervention d'un gros matou (de type tigre mastoc, ok). Je marquais tranquillement mes cibles à l'aide mon appareil photo de hipster - l'une des consolisations bienvenues du titre - quand un ronronnement bien trop proche de mon oreille droite me fît rengainer mon jouet. Il m'a regardé, je l'ai regardé, puis il m'a sauté à la jugulaire. Une machette en travers de la mâchoire et une rafale de mon AK-47 plus tard, tout le camp adverse fondait déjà sur moi, réduisant mes fantasmes furtifs à peau de chagrin. Un jour, je vous parlerai de ce beau matin où une meute de dragons de Komodo m'a sauvé d'une mort certaine en se jettant sous les roues d'une jeep qui me fonçait dessus à toute berzingue. Ou encore de cette opération barbecue de pirates au lance-flammes avortée trop tôt par un vilain coup de vent ayant redirigé l'incendie vers mes jolies miches (oui, la propagation du feu chère à Far Cry 2 est de retour, merci Papa-Noël). Des instants de grâce purement aléatoires comme celui-ci, FC3 en trimballe littéralement plein ses sacoches et il ne fait aucun doute qu'ils contribueront à faire de l'île du jeu un territoire aussi riche en anecdotes que la californie de Red Dead Redemption l'était en son temps. Sauf que dans ce dernier, on ne tabassait pas des requins blancs à mains nues. Eh ouais.
Un chasseur chassant chassé
Mais la proie n'est pas toujours celle que l'on croit sur Rook Island, puisque votre initiation au rang de guerrier Rakyat passera également par votre prise d'ascendant sur la faune environnante. Via les défis de chasseur ou au gré de son périple, Brody aura l'occasion de dépecer les bestioles terrassées, déverrouillant ainsi toutes sortes de possibilités de confection (holsters permettant de transporter plusieurs armes, sacs à butin, carquois, etc.) dont la qualité ou la contenance iront de pair avec les risques encourus pour rassembler le matos (allez dépecer un alligator au fond d'une lagune pendant que ses petits camarades vous encerclent, qu'on rigole). La flore de l'île vous permettra par ailleurs de combiner des feuilles de natures différentes pour fabriquer des seringues allant de la simple piquouze d'antidouleurs jusqu'aux cocktails exotiques vous permettant de repérer les hostiles à l'odeur ou d'appaiser les animaux. Bien pratique pour assurer ses arrières avant de s'infiltrer dans un camp ennemi, par exemple.
J'en profite pour faire un passage rapide sur le système de progression proposé par le jeu : trois arbres de compétences symbolisés par le tatouage en constante évolution sur votre bras gauche, dans lesquels vous investirez les points de compétence dûment gagnés à coups de missions et de combos d'exécutions. Améliorer sa précison au tir ou l'efficacité des seringues, apprendre des techniques d'élimination de plus en plus expéditives ou réduire les dégats encaissés : on y trouve toute la petite panoplie très à la mode du FPS à gameplay ouvert. Ceci dit, n'espérez pas faire face à de gros dilemmes d'évolution façon Deus Ex ou Dishonored : la douzaine d'heures de la campagne principale (comptez le double, voire le triple si vous cédez aux sirènes de l'île) permet de débloquer 90% des compétences sans se faire violence. Après tout, le but c'est de péter la classe et de faire n'importe quoi, rappelons-le.
Le Je dans le jeu
Péter la classe et faire n'importe quoi, alors même que l'heure est à la vengeance et au sauvetage de vos proches. Voilà qui m'amène à la partie la plus sensible de ce texte. Il y a quelque chose d'unique sur Rook Island, une sorte de méta dimension qui m'est apparue aussi évidente lors de mes sessions de jeu qu'elle me semble maintenant presque impossible à décrire avec des mots. Disons simplement que le chemin personnel de Brody et la profonde fascination qu'il développe - et que vous développerez - pour l'île ne sont pas sans rappeler le lien si particulier qui unit le joueur et son jeu. Comme le héros qui abandonne son ancienne vie aux portes du Nouveau Monde, on y embrasse le sérieux, l'hilarité, la folie, l'échec et la mort avec une ferveur égale, comme si plus rien n'avait vraiment d'importance. Et tant pis pour ces deltaplanes tous neufs qui n'attendent que vous sur chaque sommet de colline, pour son IA volontairement permissive, pour ces artifices de mise en scène hallucinants et pour ces protagonistes de jeux vidéo écrits comme de parfaits protagonistes de jeux vidéo. Tant pis si Far Cry 3 ose ne pas prétendre à éclater son carcan à grands renfort de tentatives maladroites. Tant mieux en fait, mille fois tant mieux : c'est quand la limite entre le joueur et le joué devient ridiculement floue que Far Cry 3 nous fait vraiment prendre notre pied.
Pour être honnête, je ne suis sûr ni de me faire bien comprendre ni d'être le mieux documenté pour me livrer à une étude approfondie du rapport jeu/joueur tel qu'il est écrit dans FC3. Mais le ressenti est là : à plusieurs moments du scénario, c'est comme si l'île me susurrait - à moi, pas à mon avatar - quelque chose du genre "Franchement vieux, elle n'est pas un peu morne, ta petite vie tout là-bas ?". Il faut bien avouer que j'attendais bien des choses du titre d'Ubisoft, mais certainement pas qu'il me parle aussi bien.
Belle-Île-en-Mer
Est-il seulement nécessaire pour moi de m'attarder sur l'aspect visuel de Far Cry 3 ? La série est passée maîtresse dans l'art de faire pleurer nos mirettes de bonheur et ce dernier épisode ne démérite absolument pas. Si le tout est déjà foutrement joli sur consoles (malgré un vilain, très vilain FOV) c'est en revanche dans le redoutable monde du PC que la sortie du titre risque de faire sauter quelques Plans Epargne Logement : sans une petite bête de course, on pourra faire une croix sur les beautés offertes par DirectX11 et l'antialiasing poussé au max. Mais n'allez pas assassiner votre tantine bourgeoise pour toucher l'héritage familial avant l'heure : un coucher de soleil sur Rook Island, ça casse déjà bien le nerf optique sur des configurations plus modestes. Saluons enfin le très bon travail de sound design au diapason avec la body awareness et les artifices de mise en scène du titre : basses assourdissantes quand la situation l'exige, bruitages convaincants, doublage original de folie : c'est royal. Dommage que la VF souffre de quelques soucis de mixages et de doublages inégaux, avec d'un côté un Vaas impeccable puisque doublé par le même acteur dans les deux versions (Michael Mando) et de l'autre un sidekick dont l'accent du Liberia prend trop souvent de tristes atours parodiques, entre Michel Leeb et Axel Foley. M'enfin, le cahier de doléances reste bien mince.
Copaincabana
Vermine corrompue que je suis, j'ai pu m'essayer à la campagne co-opérative de Far Cry 3, notamment en compagnie de quelques développeurs de chez Ubisoft Massive (le studio suédois en charge du multijoueur). Au regard de la richesse du solo, j'avoue que je m'étais figuré ce mode en équipe comme tristement anecdotique, plus proche de l'argument de vente à caler sur la jaquette qu'autre chose. Mauvaise langue que la mienne, puisqu'on s'y amuse plutôt bien, au final. Prenez quatre naufragés aux individualités bien trempées, filez leur des seringues de médocs et des power-ups à se partager, lâchez quelques hordes de pirates chafouins là-dessus et vous obtenez une sorte de mini Left 4 Dead à la plage assez sympathique. Dommage cependant qu'on troque les possibilités open world de Rook Island contre un circuit défini et que la faune locale ne vienne plus nous croquer les molets comme elle aime à le faire. Mais la patate des fusillades reste intacte, les joueurs sur consoles bénéficient de possibilités split-screen à deux et le mode propose même quelques mini-jeux compétitifs à dos de quad et des instants teamplay un peu plus touffus histoire de rythmer un peu une balade qui verse souvent dans la promenade de santé (trois survivants repoussent les vagues ennemies pendant qu'un quatrième trimballe de lourdes pains de C4 nécessaires au plastiquage d'un pont, par exemple). Notez enfin qu'Ubi Massive a eu la bonne idée d'instaurer un système de débloquage de perks et d'équipement commun au mode multi et au coopératif. Les allergiques au grind abusif pourront donc varier un minimum les plaisirs. Reste à savoir si d'autres scénarios moins linéaires seront mis à disposition et si oui, à quel prix.
Robinsons Crucifiés
Enfin, côté multijoueur compétitif, l'offre tourne autour de quatre modes de jeu et 10 cartes, jouables jusqu'à 14 joueurs, auxquels s'ajoutent des variantes de règles "démentes" ; c'est à dire les mêmes quatre modes mais avec moins de vie et d'éléments d'interface. Pour les plus poilus que les autres, quoi. Reste aussi les modes qui font tourner, soit entre les quatre modes normaux soit entre les quatre modes poilus, et la possibilité de jouer sur des cartes élaborées par les joueurs dans trois catégories : celles sélectionnées par Ubisoft (or), celles qui sont les mieux notées par les joueurs (argent), et celles où on trouvera toutes les autres productions qui auront échappé à la fois à la sélection et à la censure (bronze). Bref, ça peut sonner un peu léger... d'autant que sur les quatre modes proposés, il y a le Match à Mort classique et la Domination, parmi les plus courus de tous les FPS de la planète, le mode Transmission qui est une variante à capture elle aussi, et le mode Incendie, un peu plus rigolo, qui se passe en deux phases, les deux équipes luttant pour allumer/éteindre des feux puis contrôler un relai-radio. En d'autres termes, rien de génial en soi, mais un mode un peu plus original, avec sa carte qui se met à flamber et donc à condamner des accès en cours de partie. Massive a tout de même développé quelques idées plutôt intéressantes, comme les bombes à gaz psychotrope qui activent le tir ami de ceux qui en respirent les effluves, tout en leur faisant apparaître tout le monde sous la forme d'ombres diaboliques aux yeux blancs, amis comme ennemis. Pour un spectateur extérieur, ça permet de voir en jeu d'authentiques pétages de plombs paranoïaques, un spectacle qui ferait assurément rêver n'importe qui. On citera aussi l'utilisation des cris pour booster ses coéquipiers (défense renforcée, soins, etc.). En revanche, il faudra grinder de l'XP et donc des niveaux, dans la grande tradition, pour débloquer peu à peu tout ça, y compris les cris les plus intéressants pour le jeu d'équipe. Nous n'avons pas pu y jouer suffisamment pour évaluer l'équilibre du système, malheureusement... Si besoin est, on mettra à jour ce test, mais une chose est sûre : en matière de shooter compétitif en ligne, il n'y a rien là qui soit suffisamment déterminant pour l'amener, en particulier sur PC, au niveau des ténors du genre ; même si l'offre reste tout à fait décente et solide.
Formidable terrain d'expérimentation, simulateur de dépaysement, shooter à scénario ou descente aux enfers sous stupéfiants, ce ne sont là que quelques unes de casquettes que Far Cry 3 cumule sans difficulté. S'il ne devait en porter qu'une pour les gouverner toutes, ce serait celle d'un très bon jeu vidéo, généreux et passionnant. Comme tous, j'attendais ce prétendu virage "WTF" de la série avec une certaine curiosité, mais aussi pas mal d'appréhensions. Écoperait-on d'un simple jeu de pan-pan flanqué d'un vilain en plein surjeu à la Johnny Depp ? Dans quelle espèce de dénouement pompé à un quelconque chef-d'oeuvre du 7ème art tout cela allait-il finir ? C'était sans compter sur l'idée géniale d'Ubisoft : créer un jeu vidéo à l'ADN pur, défait de toute autre prétention que celle de nous faire plonger avec lui. Rook Island est un fantasme de joueur, tout simplement.