Achtung achtung, Hotline Miami est sorti. Si vous ne vous êtes pas déjà rués dessus comme de petits gorets mignons, permettez-moi de vous dire que chaque minute passée sans jamais y avoir joué vous rapproche de l'inévitable : ce petit dimanche matin où je devrai débarquer chez vous la bave aux lèvres et enfoncer la porte d'un coup de pompe avant de vous battre avec votre propre balai en vous faisant jurer de l'acheter. Ou alors... on peut en parler, c'est vous qui voyez. Après tout, on est entre personnes civilisées non ? Enfin, vous peut-être. Moi, je viens de finir HLM : côté balance morale, je suis en pleine période de doute, si vous voulez.
La Drogue. Avec un grand D comme "DROGUE". C'est le premier terme qui m'est venu à l'esprit en posant des yeux sobres sur Hotline Miami. Du bas de sa vue topdown, le jeu n'a pas attendu pour bombarder ma rétine d'enchaînements de pixels étudiés, comme autant de clés servant à ouvrir certaines zones méconnues de mon cortex. La vue topdown d'un vieux GTA, la palette fluo d'un Vice City qu'on aurait diluée ça et là dans quelques gouttes d'ether, des bestioles anthropomorphiques fument dans mon salon et m'accablent de questions sans queue ni tête : concédons dès à présent au duo Dennaton Games une belle maestria dans l'esthétique du malaise sous psychotropes. Mais attention, un malaise rétro : si le jeu enchaîne avec un aplomb déroutant les superpositions de filtres, les vibrations de couleurs les plus salaces et toute une tripotée d'attentats baveux à nos rétines modernes, rien de tout cela n'osera venir endommager la géniale base pixel art du titre. Ajoutez à celà ce qui pourrait bien être la meilleure bande son de l'univers connu et vous obtenez un exécutable pour PC qui parvient à établir des connexions avec vos sens parfois si directes qu'on peut ouvertement parler de synesthésie. Si l'on m'avait dit que je vivrais ma première expérience de ce genre dans un jeu d'action topdown rétro et ultraviolent, je pense que je me serais bien gaussé. Mais vous devez savoir quelque chose à propos d'Hotline Miami : s'il vous plonge dans cette simili-transe sensorielle, ce n'est aucunement par accident. HLM vous veut sous hypnose car il sait où il vous emmène. Et il sait qu'il aura besoin de toute votre attention.
Bobo with a shotgun
Le jeu vous met dans la peau d'un tueur professionel (accessoirement junkie, allons-y franco) qui reçoit les détails de ses contrats par l'intermédiaire de messages laissés sur son répondeur téléphonique. Une fois sur les lieux, on débute chaque contrat le visage masqué et prêt à franchir l'entrée d'un bâtiment qu'il faudra nettoyer de toute résistance humaine, étage par étage, litre d'hémoglobine par litre d'hémoglobine. Au diable l'arsenal complexe : vos grosses mains caleuses de travailleur manuel feront de bien jolis marteaux. A l'intérieur, des types armés de battes et de couteaux pour les moins chanceux, de canons sciés et d'armes automatiques pour les autres. Vous pensez peut-être que la meilleure chose à faire serait d'enfoncer le crâne d'un de ceux-là avant de s'en aller blaster tout le reste du niveau à la grosse chevrotine ? Vous pensez mal. Hotline Miami n'est pas un shooter à proprement parler, c'est une ode au meurtre de masse et à sa réalisation millimetrée où le moindre faux pas, le moindre coup de poing dans le vide, la moindre déflagration au mauvais endroit ou la moindre microseconde d'hésitation vous conduiront à une mort fulgurante.
Vous commencerez par assommer le garde à l'entrée d'une violente ouverture de porte, avant de ramasser sa batte pour lui refaire la devanture pendant qu'il gît au sol. Dans la pièce suivante, deux gardes en patrouille : faites irruption sans dire bonjour, lancez la batte en travers de la trogne du type armé et jetez vous sur son collègue. Pendant que vous vous exercez à l'intubation sauvage sur votre victime, le premier gus trouvera le temps de reprendre ses esprits et de se jeter sur son fusil tombé au sol. Sauf si vous le ramassez en premier. Un coup de feu et c'est le drame : alors que votre opposant flotte maintenant dans l'air en milliers de gouttelettes fluo, la moitié des gardes de l'étage converge rapidement sur votre position. Un coup d'oeil à votre pétoire suffit pour réaliser que c'est une carabine à deux coups. Vous êtes mort.
La prochaine fois, ce sera un chien d'attaque, un tir raté, une baie vitrée que vous prendrez pour une cloison ou un garde armé d'un couteau dont vous calculerez mal l'élan. L'important, c'est la manière dont, échec après échec, on finit par défaire le puzzle cocaïné proposé par chaque étage : mourir à répétition, finir par dépasser les premiers écueils avec une aisance presque mécanique, mourir à nouveau, tenter un chemin alternatif et mourir encore, mais repousser la limite toujours plus loin. Vient enfin le moment délicieux où on réalise à quel point le flottement médicamenteux du titre n'est que la perfusion d'eau salée en prévision de l'étape suivante, celle où le jeu vous injecte une grosse seringue de Red Bull directement entre les deux yeux. La musique pulse dans vos oreilles, vos pupilles sont dilatées et vous enchaînez les exécutions à une vitesse ahurissante et dans une perfection 100% réflexe avant d'émerger, les tripes remuées par un tourbillon de sentiments contradictoires : Hotline Miami fait clairement de vous un artiste, mais vous voilà maintenant face à votre toile poisseuse qui coagule déjà du sol au plafond.
HLM à mourir
Difficile de défendre les accès d'immoralité dont est capable HLM. Ca tombe très bien, car loin de moi l'envie de le faire. L'ultraviolence et les bras d'honneur à la bonne morale ne sont pas son fond de commerce principal, comme ce fut le cas jadis pour Rockstar. Tout cela n'est que l'enveloppe nécessaire pour mettre le joueur en condition et créer une bulle de haute tension visuelle et auditive autour de lui. Alors seulement sera-t-il apte à savourer ses échecs et ses victoires avec la même ferveur. Ce qu'Hotline Miami propose avant tout, c'est un gameplay hardcore incroyablement addictif.
Entre vos tueries, vous découvrirez la routine morbide d'un anti-héros qui abandonne un bâtiment souillé du sol au plafond pour aller se faire une grosse pizza ou tailler le bout de gras avec le gérant omniscient de son vidéoclub. Puis vous passerez au prochain contrat. Ces courtes séquences - et quelques autres entre rêve et bad trip - sont autant d'occasions pour Dennaton Games d'installer un semblant de trame scénaristique et d'explications de vos actes. Tout cela est très sujet à l'interprétation mais permet d'en apprendre un peu plus sur les motivations et l'état psychique d'un protagoniste muet comme une carpe (l'un des innombrables hommages du jeu au film Drive). D'une mission à l'autre, son appartement et son environnement proche se métamorphosent et suggèrent une évolution personnelle, mais jamais le jeu ne vous autorisera à en savoir davantage. Votre boulot, c'est de tuer en rythme et en style.
Kill Kill Revolution
Six heures, c'est grosso modo le temps qu'il vous faudra pour remonter la chaîne alimentaire le long des 14 missions que vous opposera Hotline Miami, en comptant tous vos échecs. C'est court, surtout au vu de l'addictivité du gameplay, mais Dennaton fournit quelques solutions pour pallier le manque. Outre une chasse aux items cachés qui débloquera une fin alternative, on prendra plaisir à revenir vers HLM pour son système de scoring qui récompense le culot, l'inconscience et la capacité à s'adapter aux changements de situation (lors de mon premier run, nombreuses sont les missions que j'ai finies dans l'euphorie la plus totale avant de me voir attribuer une note pitoyable au moment de compter les points : si ce jeu me cherche, il va me trouver) Les highscores ainsi empilés permettront de débloquer de nouvelles armes à ramasser dans les niveaux mais aussi et surtout de nouveaux masques qui confèrent des capacités spéciales et modifient parfois radicalement le gameplay, au point de justifier un second tour des chapitres.
Enfin, gardez à l'esprit que Dennaton Games, c'est un duo avec pas beaucoup les sousous dans la popoche. Pensez-y très fort quand le jeu vous fera le coup du retour sous Windows à la sauvage plusieurs fois de suite ou que vous serez témoins de bugs plus rageants les uns que les autres (ennemis projetés derrière un mur, superposition de sprites vous forçant à recommencer la mission, etc.) Et pensez-y encore plus fort lorsque vous découvrirez que le patch offrant le support du pad 360 n'est pas encore prêt (il arrive très bientôt et d'autres suivront)
Hotline Miami propose un gameplay si rapide, si brutal, si génialement grisant et si addictif qu'on a bien du mal à comprendre comment une telle idée a pu mettre autant de temps à germer dans le paysage vidéoludique. Que l'on y soit accueilli d'un coup de fusil de chasse dans la bidoche ou qu'on en ressorte triomphant et couvert d'abats humains, on aime d'amour les 14 niveaux du jeu et l'état de concentration absolue, presque animale, dans lequel ils nous plongent. J'ai rarement été aussi heureux d'être mauvais dans un jeu vidéo qu'en jouant à Hotline Miami. C'est peut-être parce qu'en bout de course, il m'a fait sentir plus implacable et désespérément plus cool qu'aucun autre jeu avant lui.
Hotline Miami est disponible en version anglaise uniquement sur PC (et bientôt sur Mac) via Steam au prix de 8,49€ et sur Good Old Games pour 9,99$ (des prix amortis à eux seuls par l'extraordinaire bande son du jeu, c'est dire)