La carabine M4A1, jouet démodé ? Rhaaah j'ai toujours rêvé d'introduire un article par une phrase interrogative. Il parait que ça fait très journaliste, vous savez, alors je tente. Toujours est-il, prestes damoiseaux et fluettes peronelles, que cet an de grâce 2012 signe le siège de nos larfeuilles non pas par un jeu de deathmatch médiéval, mais bien par deux. Il semblerait en effet que certains joueurs, fatigués de distribuer la mort à longue portée, trouvent un certain réconfort à retourner aux fondamentaux : l'envol d'une famille de perdreaux, la délicieuse froideur d'un couperet de hache d'armes, le craquement d'une vertèbre qu'on écrase, puis comme une libération, le gargouillis espiègle d'une jugulaire qui se vide. Après Fatshark Studios il y a deux semaines, c'est au tour de Torn Banner de se sentir l'âme poétesse puisque voici venir Chivalry : Medieval Warfare. Comme disait Christophe Lambert : il ne peut en rester qu'un. Ouais, même s'ils n'étaient que deux. C'est drôlement cruel, la poésie.
Chivalry, c'est l'histoire d'un mod Half-Life 2 (Age of Chivalry) adoubé sous l'oeil bienveillant du Saint-Kickstarter par une communauté de fans aimants. Un jeu d'action en vue à la première personne, donc, centré sur les démêlés de deux équipes d'intellectuels portés sur le maniement de la belle coutellerie : l'ordre de Mason et les chevaliers d'Agatha. À la mise en place simili-historique d'un War of the Roses, Torn Banner préfère un moyen-âge fictif, plus apte à reccueillir les débordements souvent grand-guignolesques de ses échauffourées.
First Person Sabreur
Je dois dire que ma première charge sous la bannière des chevaliers d'Agatha avait posé le ton de fort belle manière. A peine mes camarades rejoints à flanc de côteau, la joyeuse bande de brutasses autour de moi dévalait le dévers vers le château adverse, hurlant des insanités en dialectes saxons (sont-ce des saxophones, du coup ?) Galvanisé par l'esprit de meute, je décidai de donner de la voix moi-aussi : "IT IS A GOOD DAY TO DIE !" hurlais-je en pointant du doigt un épéiste adverse. Pas de bol pour moi, le type comprenait la langue. Un pas de côté, c'est tout ce que j'ai su faire avant que sa lame n'attaque ma nuque comme une motte de beurre à température ambiante. Voir à travers les yeux d'une tête qui divorce de son corps, c'est une drôle d'expérience. La mienne a roulé sur quelques mètres avant de s'arrêter pile dans le bon axe, m'obligeant à regarder ma carcasse s'effondrer lourdement dans les hautes herbes.
On est restés au sol quelques secondes, ma tête et moi, à réfléchir au sens de la vie et à l'erreur qui nous mena tantôt à notre perte. Et c'est à ce petit jeu que Chivalry commence doucement à affirmer sa souveraineté : quel que soit le degré de chaos autour de vous, l'action y reste lisible. Chaque fois que l'on finit face contre terre est une occasion de féliciter mentalement son adversaire, en se disant que tout de même, cette petite feinte de corps avant de frapper par le dessus, c'était vraiment bien joué. Et quand on retourne cabosser l'acier, c'est fort de l'expérience acquise.
Duvel au sommet
Ceci dit, attendez-vous à apprendre quelques danses de plus avant d'espérer sortir d'un duel autrement que les pieds devants. Au début, vous serez probablement tentés de grapiller les frags de vos petits camarades en allant planter leurs opposants dans le dos. Attaquez par l'avant, foutredieu : je vous assure que le métier rentre. Parfois c'est entre vos côtes, parfois directement dans la bidoche, mais il rentre. Le mieux reste encore de ravaler votre fierté - oh si, je la vois d'ici - et de faire un détour par le didacticiel du jeu. On y apprend le gros des raffinements du gameplay, les spécificités de chaque Classe et c'est fait avec un comique de situation à l'anglaise plutôt plaisant.
A possibilité martiales équivalentes, c'est sur la prise en main que Chivalry prend largement l'ascendant sur son concurrent. Pas de coups chargés, pas de mouvements de souris imprécis pour frapper : on tranche latéralement d'un clic gauche, on pare au clic droit et la molette permet de décider entre un bon vieil écrasement par le dessus ou une estocade bien pointue dans la paillasse. Tout est affaire de timing, puisque la garde ne saurait être maintenue plus d'une demi-seconde (sauf retranché derrière un bouclier). Il vous faudra conserver l'arme adverse au centre de votre vision et parer à l'instant précis de l'impact. Evidemment, la rythmique et la portée d'un coup diffèrent pour chaque arme, histoire de bien vous foutre la honte quand vous penserez avoir tout compris à la première garde réussie. Mais le succès d'une telle manoeuvre ouvrira brièvement la défense adverse, vous offrant tout loisir d'attaquer. Ou si vous êtes un vilain vicelard comme moi, d'enchaîner sur une feinte. La feinte, c'est le bouton que vous vous empresserez de configurer sous votre petit pouce dodu : pressé juste après que vous ayez initié un coup, il vous permettra d'annuler votre coup en cours de mouvement. Bien utilisées, les feintes forceront vos opposants à parer de manière réflexe, vous offrant leur tête sur un plateau dès l'animation de parade terminée.
Une-deux, petit pont, amputation
On a donc un droit à des corps à corps aussi techniques que gratifiants. Après deux heures, on se surprend à donner suffisamment le change pour que le "moi taper toi" se soit mué en joute structurée. Quelques heures plus tard encore, on identifie rapidement les joueurs expérimentés avec lesquels entamer des danses meurtrières bien foutues les potes, comme on disait en 2010. J'ai pu être témoin de duels impressionnants de technicité, avec une vraie lecture du "jeu" adverse (le fameux "mind game") et dont l'issue se décidait non pas à la taille de la rapière, mais sur un pas de côté malheureux au mauvais moment. Dommage que les joueurs n'aient pas toujours le réflexe de laisser certains duellistes à leur tango : quelle que soit la classe de guerrier que vous choisirez, à un contre trois, considérez vos chances de survie réduites à néant virgule cinq.
Bien entendu, Chivalry pense aussi aux premiers de la classe et aux mauvais en sport, ceux qui ne me laissaient pas copier sur eux en cours de maths. Ces mecs là, on les retrouve en bordure du chaos ou perchés sur un rempart : ils profitent de la mêlée pour se venger sur les balaises de la récré à grands renforts de headshots à l'arme de jet (arc, arbalète, javelots). Et de ce côté, le feeling est très honnête : on n'est pas sûr de la simulation avec direction du vent, mais préparez-vous à apprendre à tirer en cloche. En tant qu'archer, on peut même trimballer sur son dos un énorme pavois à planter dans le sol pour se créer un couvert personnel. Pas con : ça encourage les timides à venir s'amuser là où ça chauffe, histoire qu'on puisse les aligner à l'arme de siège. Ah oui, j'ai failli oublier : il y a aussi des armes de siège. C'est pour les brochettes.
Ni !
Bon, ça me brise le coeur mais je dois bien en passer par là : Chivalry n'est pas parfait pour autant. On déplore en premier lieu le rôle purement cosmétique des armures : contrairement à celles de WotR, les cuirasses ne repoussent aucune attaque, donc un coup qui touche est un coup qui blesse (ou qui tue, selon la localisation des dégâts). Côté réalisation, malgré une jolie utilisation de l'Unreal Engine 3, l'animation accuse quelques vilaines raideurs dès qu'on sort des mouvements de combat. Enfin, on rencontre assez régulièrement des petit soucis de collision, rendant certaines ascensions de dénivelés un poil pénible. Mais le vrai gros problème du titre à l'heure actuelle, c'est un netcode aux fraises qui pourrit certaines parties à grands coups de lag dans les joyeuses. Vu l'historique "modeurs" de mecs de Torn Banner, je gage qu'ils bossent déjà d'arrache-pied pour perfectionner tout cela à l'heure où j'écris ces lignes.
À quelques encablures de la fin de ce test, je réalise que je n'ai pas fait mention des modes de jeu. À tant m'amuser d'un simple duel, j'en oublie parfois que le titre essaye tout de même de se diversifier de ce côté. Six cartes en tout (c'est peu) : deux orientées Team Deathmatch et Roi de la Colline, quatre allouées au mode Team Objective, dans lequel une équipe devra réaliser une série d'actions scénarisées (escorter un bélier de siège, le protéger pendant que les collègues défoncent la porte d'un château puis zigouiller le roi, par exemple). De manière générale, les batailles y sont beaucoup plus enragées, moins portées sur le bel art, mais on y découvre un pied tout autre : quand le chaos ambiant devient si absurde et génial que Chivalry en serait presque Monty Python-esque.
Un type peut se faire prendre à partie par cinq lanciers dans un ballet grotesque pendant qu'un Chevalier tente désespérément de porter un coup dans un couloir trop étroit pour y manier son arme. Deux mètres plus loin, un archer tombe à genoux en fixant la fontaine de sang où tenait son bras une seconde plus tôt. Les provocations hystériques se mêlent aux hurlements des estropiés et au bruit humide du sang. C'est là qu'un mastard en armure lourde pointe sa grosse épée vers moi et braille un truc à peine compréhensible. Tout est si confus que je ne sais plus bien qui pleure ou qui rit, de toute façon. En revanche, je suis absolument certain de sortir hilare de cette histoire, qu'importe l'issue. C'est la proposition de Chivalry Medieval Warfare : de l'action capable de vous suivre dans vos aspirations techniques les plus respectables autant que dans une violente soif de sang. J'espère quand même que vous supportez le goût du vôtre.
Chivalry est disponible sur PC via son site officiel ou via Steam au prix unique de 22,99€.