Simulation de tank hardcore et Kinect, des mots qui n'auraient jamais dû se rencontrer mais qui vont se fracasser, à la vitesse d'un char. Lentement mais sûrement.
Omaha Beach
Je crois que j'ai vécu un des moments les plus fous de ma vie de joueur devant ce Steel Battalion Heavy Armor. Et quand on vit une grande scène de jeu vidéo, on se doit de la faire partager, dont acte. L'opération militaire est un débarquement qui tourne mal. Des mines, partout, font bipper mon radar d'un son strident. Les obus fusent de partout. Bientôt, mon tank vertical de combat commence à se faire canarder par les tirs croisés des tourelles. La situation devient intenable. C'est sûr, l'engin va bientôt exploser. L'équipage panique et, ne voulant pas mourir dans un tas de ferraille en flammes, l'un de mes hommes décide de s'enfuir par l'écoutille. Et là, grâce à Kinect, mon bras rattrape la jambe de ce salopard de déserteur. Un énorme bruit résonne alors. C'est en tirant mon partenaire pour le remettre à son poste que je découvre qu'il lui manque un bras et une partie du torse, arraché par un éclat d'obus. Incroyable. Sautant les étapes logiques du "Attrape les grugeurs dans le métro", le Kinect se pose en véritable loi martiale. Comme si l'intrus "tout public" des salons vient nous rappeler que la vie humaine n'a aucune valeur sur le champ de bataille. Inouï.
Dématérialisation des armes
Je ne vous raconte pas les étoiles dans les yeux d'un "militari otaku" devant de telles séquences. C'est bien à ces passionnés d'armes que se destine ce nouveau Steel Battalion, digne successeur hardcore de son prédécesseur Xbox. "Tekki", comme on l'appelait au Japon, avait la particularité d'être vendu et conçu pour être utilisé avec une manette dédiée d'une quarantaine de boutons, de deux joysticks et d'un pédalier. La virilité de ce monstre métallique fait encore passer tous les joysticks Thrusmaster pour des Kinders Surprises. Mais ça, c'était le bon temps car l'heure est aux salons spacieux et cosy adaptés à Kinect et il est hors de question d'acheter du matériel aussi lourd qui ira sans doute s'entasser avec le tas de guitares en plastoc multicolores Rock Band. On ne peut pas reprocher à Capcom d'avoir voulu transformer le Kinect, cet objet casual, en véritable outil de guerre. L'idée est même particulièrement géniale mais comme pour la guerre, la réalité est toujours plus sale.
La guerre dans la poche
Assis sur sa chaise mais plongé dans un futur encore plus hideux que celui que nous promettent les économistes de la zone euro, on se retrouve aux commandes de ce "vertical tank" très laid, mais qu'on ne verra pas car on est systématiquement placé en vue subjective. Tout de treillis vêtus, les G.I. archi cliché font les présentations ce qui, en langage jeu vidéo, signifie "tutorial", comme si un capitaine pouvait oublier comment on pilote son propre engin. L'habillage et l'histoire donnent dans cette subtilité de la promiscuité suante du film de guerre "à couilles", nous rappelant régulièrement qu'on doit sauver des pauvres populations, rétablir l'Ordre et, grosso modo, trucider des random chinetoks. A côté, Modern Warfare est une fine analyse géopolitique. Mais ça, on s'en fiche. Trêve de blabla (d'ailleurs pas toujours zappable, comme pour nous rappeler que guerre = souffrance), on n'a qu'une envie, c'est de balancer des obus d'une valeur de 50,000$ pièce.
La légion étrangère
La manette des gaz tirée, il faut maintenant s'approcher de la vitre pour voir où se dirige le tank. La manip des "deux mains en avant" que j'essaye avec la manette dans les mains. Ca ne marche pas. Ca ne marche pas deux fois. Je pose la manette de frustration. "Allez, les deux mains en avant. Non, putain, pas le panneau du radar. Les deux mains en avant ! Ah merde, non pas le périscope. Les deux mains en avant !! Mais mais mais... Pourquoi le bidule ne me détecte qu'une main ?! Je veux pas recharger les obus, pourriture !! Ah mais putain, non !!" Heureusement que le micro du Kinect ne repère pas les insultes sinon la machine aurait tilté. S'il semble que chez certains, le constat n'ait pas été si déplorable, chez moi rien ne fonctionnait first shot. Et j'étais dans des conditions optimales. Bref, pour moi, c'est à cela qu'a ressemblé une partie typique de Steel Battalion nouvelle génération. Je me suis retrouvé parfois à refaire le même mouvement six fois alors que j'étais en train de me faire aligner comme un lapin, à découvert. Las, Kinect a encore décidé de me faire attraper le volet de la vitre dont on se demande pourquoi un truc aussi facultatif est si proche d'un élément aussi central du jeu, qui permet de voir où l'on va. Frustration !
L'erreur de casting
Dire que l'intuitivité est proche du zéro absolu est une évidence qui, en soi, se rapproche de l'expérience du jeu précédent : la manette mastoc était si complexe, pour une maniabilité si élitiste, que cela donnait l'impression que c'était le jeu qui choisissait le joueur et pas l'inverse. Le problème, c'est qu'en l'état, Steel Battalion ne marche pas. La moindre main détectée vient littéralement se "coller" à un des multiples instruments dont recèle le cockpit. Et quand ce n'est pas un des bitoniots clignotants qu'une main maladroite vient saisir, c'est le corps tout entier du pilote qui va pivoter jusqu'à trouver un membres de l'équipage qu'on insultera copieusement au passage, de lassitude.
L'enfer du devoir
Pourtant, il y a bien un jeu derrière cette mécanique grippée, triste comme un vieux jouet désarticulé, une grotesquerie qui passe un peu quand on joue à deux, l'un tenant la manette et l'autre devant le Kinect. Deux potes maso passionnés de tanks valent mieux qu'un. Et puis tout le gameplay contextuel qui n'implique pas de faire le guignol devant son tableau de bord est assez immersif. Ramper pour récupérer un soldat blessé, rattraper une grenade, faire un "bro-fist" à son coéquipier en manque de check viril, se lever pour sortir du tank et scruter l'horizon avec des jumelles mais toujours une manette à la main, autant d'éléments assez cools qui nous rappellent que la guerre, c'est avant tout un truc d'hommes qui souffrent. Sans atteindre la classe poseuse d'un Hurt Locker ("Démineur"), on vibre parfois lors de ces courtes périodes où Steel Battalion ne nous rejette pas totalement. On lui pardonnera sa laideur finalement très touchante quand viendra le moment des missions de coop, intégrés à la campagne, une bonne idée elle aussi cachée sous cette carcasse. Mais quand la joie n'arrive que quand on réussit des actions d'une normalité à faire peur, on se dit que le jeu n'en valait pas la chandelle. Putain de guerre.
Steel Battalion a éteint toutes les espérances de voir un jeu de tank réaliste qui permettrait de rejoindre Berlin façon 1945 comme me le racontait mon grand-père officier de l'Armée Rouge. Malgré ses moments de guerre d'une cruauté sidérante, la mise en scène tombe à plat quand on se rend compte qu'on remue les bras comme si l'on suivait une séance de fitness, sans ne jamais réussir à saisir le bon instrument de bord au bon moment. Les rares moments de joie viennent quand on réussit à faire quelque chose de totalement banal, comme si l'échec était normalité. Car oui, il y a de purs moments badass qui se cachent derrière cette maniabilité "motion-sensorée" en retard de 10 ans. De son pic de frustration, Steel Battalion aurait pu être le Dark Souls du Kinect, mais échoue, car sa phénoménale difficulté ne vient que du fait qu'il ne fonctionne tout simplement pas. Un véritable accident industriel.