Il y a le plaisir de traverser un océan de zombies un katana dans une main, un shotgun dans l'autre pour distribuer une double ration de plomb, histoire qu'ils ne se relèvent pas dans un dernier sursaut "comme dans les films". Il y a le plaisir du deuxième degré rigolo propre aux films d'horreur, presque "meta" tant la formule a été usitée. Si c'est ce que vous cherchez, rebroussez chemin. Tout le brio de The Walking Dead, c'est d'évoquer l'impossible coexistence des survivants.
Lupus Homini Lupum
Je me souviens la première fois que j'ai lu Walking Dead, il y a quelques années. Cette nuit-là, impossible de lâcher mes comics. Cette lecture-marathon ne s'acheva qu'au lever du soleil, quand mon stock fut écoulé. L'histoire est simple : celle de Rick et de sa famille qui essayent de survivre à une invasion de morts-vivants. Et plus précisément, comment ce bon bougre essaye de garder sa santé mentale quand tout fout le camp autour de lui. Depuis, le comics est devenue une série TV, nettement moins intéressante que l'histoire originale. Heureusement, le jeu vidéo ne s'inspire que des pages de Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard, tout en prenant une certaine distance : il ne s'agit pas des mêmes personnages, mais d'un autre récit se déroulant un peu au même moment que le comics. Généralement, ce genre d'idée a tendance à rebuter les fans dont je fais partie. "Pourquoi diable créer des nouveaux persos quand les originaux sont déjà bons ?" Heureusement, l'équipe de Telltale Games a aussi trouvé l'équilibre parfait entre émotion et expérience personnelle. A l'instar de la bédé, le jeu d'aventure a enfin trouvé son "page turner".
"Previously in The Walking Dead"
Comme chaque comics, comme chaque épisode qu'on regarde juste après sa diffusion US américaine via la copie de sauvegarde envoyée par le cousin new-yorkais (pas vrai, hein ?), The Walking Dead est découpé en chapitres qu'il faudra télécharger au fur et à mesure. Eludons tout de suite la question du prix. 4 € l'épisode. Le calcul est simple : je lis des comics et j'en achète sans doute plus que je ne devrais. Et chaque fascicule de 28 pages environ coûte assez cher, entre 3 et 4 €. Un comics standard se lit en 5, 10 minutes suivant qu'il soit verbeux ou non, mais rarement plus. Et pour finir, ce premier épisode de The Walking Dead se boucle en deux, trois heures. De toute évidence, c'est le prix juste. Mais je ne prendrais même pas la peine de faire ce comparatif si Walking Dead, le jeu, ne prenait pas aux tripes comme il se doit. Telltale a compris de manière très subtile que ce qui compte, ce n'est pas la boucherie des lambeaux de peau morte (il y en a), ni celle du sang qui gicle sur l'écran (il y en a aussi), ni des insultes pour faire plus vrai (aussi) mais la manière dont les personnages vont nous toucher dans leur souffrance.
Père d'adoption
Voici donc Lee. Menottes aux poignets, on l'emmène au pénitencier. Peut-être que ce bon gaillard est vraiment le meurtrier qu'on l'accuse d'être. On ne le saura pas, car sa voiture se retrouve dans le fossé après avoir percuté un corps qui traversait par là. Encerclé par des zombies, Lee va se réfugier dans une maison où il fera la rencontre d'une petite fille, transformant du même coup The Walking Dead en fabuleux simulateur de père adoptif. Lee va devoir prendre des décisions, et vite. Cachera-t-il qu'il est un fugitif ? Va-t-il mentir aux gens et se faire passer pour un baby-sitter ? Et si l'on découvre qu'il ment ? Chacune de vos décisions irrévocables, prises dans le feu de l'action, va influencer le cours des événements et les autres survivants.
Ce procédé n'est pas sans rappeler Catherine qui en appelait à notre conscience et orientait l'histoire vers une fin plus ou moins dramatique. A titre personnel, mon Lee est un bon gars protecteur qui essaye de ne pas devenir un salopard alors que la situation autour de lui et des autres survivants devient catastrophique.
Rendez-vous avec la M.O.R.T
Comme il s'agit malgré tout d'un point & click, il y a quand même quelques casse-têtes, mais rien qui atteigne le niveau de complexité d'un Monkey Island et de Sam & Max. L'une de ces épreuves de ce premier épisode de Walking Dead consistera, sans rire, à prendre une radio des mains d'une journaliste pour y mettre des piles, comme si elle ignorait comment ça marche. Les amateurs d'espaces et de liberté se sentiront sans doute étouffés par les jeux d'aventure à l'ancienne. Pas de potion d'hydromel à préparer soi-même en suivant les consignes d'un elfe, on ne pourra s'en sortir qu'en suivant la voie tracée par le jeu. Cela peut paraitre limité en 2012, mais bon sang, que ce genre de jeux nous manque. J'ai acheté mon premier PC en 1991 pour jouer à ces productions Sierra puis aux Lucas Arts. Y replonger aujourd'hui dans une aventure aussi tendue, bien confortablement à la manette, ravive d'agréables souvenirs d'un passé vidéoludique pas si lointain, d'un monde forcément plus heureux.
The Walking Dead ne réinvente pas le jeu d'aventure de papa, le point & click des familles qui faisait vibrer nos PC d'avant le Pentium. C'est malgré tout un excellent épisode pilote qui donne envie de s'acheter la suite dès qu'elle sera dispo. Car là où cette adaptation frappe juste, c'est dans sa fidélité à l'esprit de la béd, ce qui fait en fin de compte quelque chose de beaucoup plus fin qu'un survival horror. Il n'est pas tant question de banalement survivre dans un milieu hostile avec un nombre limité de munitions, que de faire les bons choix. La réussite de The Walking Dead, probablement le jeu de zombie le plus fin de tous les temps, repose sur la même indicible angoisse que provoque le comics : la possibilité de tout perdre à tout moment. Et sur cette empathie que l'on ressent pour ces gens acculés par le désespoir. Faire les bons choix pour ne pas basculer dans la folie quand on perd un à un ceux qui nous sont cher. Et finalement, d'essayer, coûte que coûte, de rester un homme.