De toutes les épreuves de la vie, une des plus difficilement supportables est de voir un proche s'abandonner à la douleur avant de mourir. La peine, la souffrance, le désarroi et finalement la colère, des sentiments qu'on doit finalement assimiler, comme un processus douloureux. Cette dégénérescence atroce, c'est l'ambitieux sujet de Pandora's Tower, un action-RPG comme on n'en fait plus. Pandora's Tower est une claque cinglante adressée à toutes les idées reçues sur les productions Nintendo qui oublient le sérieux et le pragmatisme, camouflés derrière des jeux limpides. Mais de la mort irrévocable dans Fire Emblem à la critique sociale dans la série des Mother, rarement l'éditeur était allé aussi loin dans son approche de la mélancolie de la souffrance.

L'amour en héritage

Il est intéressant de voir comment Nintendo a complètement inversé les codes de la demoiselle en détresse, le canevas habituel de l'aventure épique type du jeu vidéo. Ici, on ne sauve pas sa bien-aimée d'un un démon aurait enlevé, mais d'un mal qui la ronge. Elena est victime d'une malédiction qui la dévore à petit feu et la change au fur et à mesure en être difforme. Pour ralentir la maladie, elle va devoir croquer des cœurs de bêtes démoniaques que lui aura ramenés Aeron. Pas dégouté par la vision de la chair peu ragoûtante et malade de sa petite amie, il va devoir venir à bout de 13 tours tout en revenant à chaque fois nourrir sa dame. Et ainsi, telle une chimio ou une trithérapie, ralentir autant que possible ce processus aussi lancinant qu'inéluctable. C'est bien connu, la force de l'amour paraît dans la souffrance.

La chaîne d'Andromède

Mais au-delà de la mise en scène de son pathos, Pandora's Tower arrive en fin de course de la Wii comme pour faire le tour de la question. A tel point que la jaquette mériterait le macaron "Utilise enfin correctement la Wiimote". Et puis au diable la jurisprudence "Skyward Sword", absurde dans sa manière de reproduire des mouvements d'épée alors qu'appuyer sur un bouton pour avoir le même résultat me parait tout aussi fun. Pandora's Tower s'attache plutôt à la fonctionnalité de chaque bouton et en particulier à la chaîne du héros. On la lance en pointant comme dans tous ces jeux dont on se moquait gentiment quand la Sensor Bar tombait hors du meuble TV. Mais ce coup-ci, on fait des trucs carrément plus "badass" que récupérer des cristaux dans Mario Galaxy : la chaîne protège, attrape l'ennemi, le serre, l'extirpe, l'assomme et l'on s'en sert comme projectile. Nébulaire et jouissif.

Dungeon-Rush

Après plusieurs tours vaincues, on se dit que l'on n'était pas loin d'un solide Metroidvania en 3D qui resterait fidèle à son concept, ce que même Konami ne s'était pas donné la peine de faire. Ce serait oublier l'autre inversion des codes importantes de Pandora's Tower : contrairement à Zelda ou à Metroid, toutes les possibilités du héros et de sa chaine sont disponibles dès le début. Tout ou rien. C'est seulement l'environnement différent qui va apporter de nouvelles strates d'idées, de nouvelles plateformes, donnant à l'aventure des allures de casse-têtes qui ne sont pas sans rappeler les donjons de Zelda.

Dolorès

On dit souvent que les fins heureuses sont l'apanage des auteurs paresseux. Pas de problème de ce côté-là, Pandora's Tower s'en sort avec un multi-ending des familles, basé sur l'osmose du couple. Cela va se jouer, comme dans la vie, en fonction de la flamme qu'on aura su préserver dans son jeune couple. Comprendre : en lui offrant "les cadeaux lootés pour elle dans les tours". C'est en fonction de cette affinité que l'épilogue sera plus ou moins heureux. C'est une des touches qui rendent Pandora's Tower assez unique. Gambar!on, son développeur, était surtout connu pour ses jeux "choral" tel que Jump Super Stars et des licences d'animés. Des idées dirigées par Nintendo qui doit rappeler à tous qu'il existe un antidote à l'étouffant systématisme "bombe, boomerang, grappin" imposé par le dogme de Link. A la place, on retrouve une mécanique basée sur les allers-retours nécessaires pour toujours nourrir Elena, pour ne pas la laisser mourir, finalement pour la sauver d'elle-même. C'est une démarche pas si éloignée de l'éternel recommencement de Majora's Mask. Pétri d'influences mais complètement baroque, Pandora's Tower arrive à trouver son propre tempo, une personnalité, qui claque comme un coup de chaîne.

Il serait facile de voir Pandora's Tower comme un baroud d'honneur d'une Wii qui vit ses derniers mois. Constatation trop facile qui évite de voir ici les stigmates du jeu de série de B qui sera amené, avec le recul, à devenir culte au sens propre du terme, c'est à dire adulé par une minorité d'activistes. Ceux qui auront bravé des donjons grisâtres et accrocheurs. Impossible de ne pas voir dans le mal qui ronge Elena une métaphore de la maladie, une tragédie contrebalancée, parfois maladroitement, par une bluette sortie du plus impitoyable des clichés de la japanime. Et au milieu de tout ça, Aeron sourit. Au bout de sa chaîne, une bête féroce dont il va arracher le cœur. Tuer des monstres pour que la fille qu'il aime n'en devienne pas un. Il s'acharne. Il sait que la pire souffrance est dans la solitude qui l'accompagne.