"La techeunologie pour construireu un robot à enveloppe coreuporelle biologiqueu existe depuis assez longtang. Mais c'était illégaleu". C'est la première phrase prononcée par Marius Ribouldingue, censée nous éclairer sur la robotique en l'an de grâce 2080. En fait, on ne sait pas s'il s'appelle Marius, mais c'est le nom que j'ai choisi de lui donner en entendant son accent marseillais dans ce trailer déjà culte de Binary Domain.
"Je préfère partir plutôt que d'entendre ça, plutôt que d'être sourd"
Marseille est sans doute une bien belle ville où il fait chaud quand tout le monde se caille ailleurs, mais c'est irrémédiable : à chaque fois qu'un comédien pose sa voie "avé l'acceng" dans un jeu, celui-ci prend une dimension nanardeuse parfois jouissive. Demandez donc à Dynasty Warriors 3, un des plus gros gadins de l'humanité question doublage. Et comme je voulais en avoir le cœur net, j'ai décidé de basculer ma console en français. Et bon sang, j'aurai tellement aimé que ça soit ce Marius qui incarne tous les personnages tant les dialogues sont d'une platitude invraisemblable. Entre la diction mollassonne et des répliques maladroites, Binary Domain déçoit : il n'a pas la drôlerie prévue et au contraire, la diction est littéralement anesthésiante. On a qu'une hâte, c'est de revenir à la V.O qui, comme le veut l'expression consacrée, delivers. C'est ça qui est génial avec les américains : avec les brouettes de Call of Duty et de FPS couillus qui sortent chaque année, ils doivent avoir des écoles de comédie entièrement consacrés aux fusillades. "Fuck, shoot that motherfucker ! Cover fire, bitch ! Eat this, scumbag !", c'est l'équivalent des premières lignes du Cid pour eux. La base d'une bonne série B.
L'école du robot d'argent
Le souci, c'est que SEGA avait d'autres ambitions pour Binary Domain, celle de devenir un shooter de référence, le jeu occidental typique mais fait à la japonaise. Ryu ga Gotoku Studio, spécialisé dans la série des Yakuza, s'attaque à ce genre AAA. C'est leur premier jeu sans mafieux en costard et ils s'y embarquent avec un premier degré étonnant, ce qui le rend encore plus touchant dans ses maladresses. Et cela se sent au casting qui décline les clichés comme un cahier des charges. Du héros Dan, le bogosse grande gueule, sourire à l'américaine, qui dirige une troupe de Mercs formée jusqu'au bout de la caricature, du gros noir qui crie à l'anglais pince-sans-rire en passant par la chinoise pas-rigolote-du-tout, ils visitent un Tokyo décadent, à la recherche d'un savant. Cet expert en robotique est spécialiste en cyborg à l'apparence humaine, les "simulacres" qui se sont fait interdire lors de la nouvelle convention de Geneve. D'où cette opération militaire, et un bon prétexte pour un TPS avec un point de vue inédit, celui des gaijin en excursion mouvementé dans un Tokyo plus orienté modernité que tradition.
Le complex du "Stand Alone"
Malgré ce background riche, évocateur de toute cette science-fiction dite "sérieuse", de Blade Runner à Ghost in The Shell, ces robots infiltrés dans la population ne seront jamais un élément de jeu. Binary Domain ne propose rien d'autre que de canarder des robots un peu débiles à l'arme lourde, ce qui est un hobby très valable en soi. "Rien d'original" n'est pas un crime en soi pour une industrie qui vit perpétuellement de son propre écho. Le souci, c'est que tout est ici franchement passable. Ou pour le dire de manière plus douce, il n'y a pas un seul polygone, pas une seule réplique qui ne sonne pas "déjà vu" et qui ne transforme pas Binary Domain en épreuve. A peine bouclé, on se demande déjà ce qu'il en reste sinon sa bizarrerie inouïe. Comme quand les mômes des bas-fonds se parlent japonais et que nos guerriers bardés de métal réagissent comme si tout le monde comprend, comme aux plus belles heures de Tekken où tous les combattants comprennent l'anglais, le coréen, l'ours et le chinois. Tout est normal.
Gogo Gadget
Binary Domain propose quand même un gadget amusant pour ceux qui sont munis d'un micro (ou d'un Kinect), celui de pouvoir gueuler ses ordres à ses partenaires, comme s'il s'agissait de partenaires en ligne. "Couvrez-moi ! Chargez !" ainsi qu'un certain nombre d'insultes seront reconnus par le micro. Cela a une vague importance stratégique même si, comme tout bon gadget, c'est en même temps parfaitement inutile. On se débrouille très bien sans utiliser ces gaillards vu la facilité globale du jeu et la transparence du level design. On peut même filer ces ordres au pad. Et pour les amateurs d'insultes, en abuser va entraîner une baisse de popularité auprès de ses coéquipiers. C'est l'autre "innovation": influer sur le moral de son équipe. Chacun a un comportement plus ou moins réceptif à vos réponses franches et à votre humour. Ainsi, avouer comme un macho que vous avez sélectionné 'une équipe de gonzesses' simplement pour "leurs beaux culs' va faire baisser votre crédibilité auprès de la chinoise alors que d'autres seront touchées par votre sincérité. Les coquines. Malheureusement, ce système d'entente n'influe pas énormément dans la partie à moins de se conduire comme un gros bâtard, si possible en les dégommant comme des lapins au passage.
Un soldat parmi des millions
Hormis ces petits détails, on est étonné devant les 2 de tension de l'aventure qui essaye vraiment de singer tout ce qui s'est fait jusqu'à présent sans jamais y arriver. Comme si Toshihiro Nagoshi, le nabab UVifié de Sega, après avoir tenté les zombies, s'était dit que ce que les joueurs occidentaux veulent vraiment, c'est des gros keums caricaturaux en armure avec de très gros guns pour mitrailler du robot. C'est un shooter à la 3ème personne totalement valable. Un TPS parmi d'autres qui utilise tous les codes du genre : shoot & cover, visée à l'épaule, roulades, grenades, fusil de snipe, coups de crosse, tout y est sans aucune exception. Même le jeu en ligne et sa dizaine de styles de missions différentes est bricolé au poil, comme si Sega voulait récupérer aussi le public de niche de Metal Gear Online.
"Meurs, pourriture robotique !"
L'expérience atonique de Binary Domain est largement dépassée par à peu près tous les gros jeux de ces dernières années, à commencer par Gears of War. Mais l'échec de Binary Domain est encore plus cuisant quand on le compare à Vanquish. Ce dernier ne s'embarrassait pas de détails et offrait un délire high concept, qu'on peut résumer en une phrase, soit "l'histoire d'un mec en armure équipée de réacteurs aux tibias qui le font glisser hyper vite sur le sol pour exploser la gueule des communistes de l'espace". Et ça passait. L'erreur de Binary Domain est sans doute d'avoir été imaginé d'après l'idée que se faisaient les concepteurs des attentes des joueurs occidentaux. Alors qu'il était si simple et naturel de suivre la voie du kiff, celle qu'on prend quand on transforme des cyborgs en charpie. On lui pardonnerait sans problème la mise en scène statique si propre à la Yakuza, ses graphismes de "première année de PS3", car Binary Domain reste vraiment acceptable techniquement. "Il se laisse jouer". Mais si même la sensation du shotgun ne nous réveille pas, on ne va pas s'acharner. C'est tellement plat qu'on espère secrètement que notre marseillais déjà culte revienne nous faire une scène de plus, peuchère !
C'est la règle des 33 %. Des combats 33 % moins défoulant, 33% moins d'idées pour un résultat 33% moins palpitant, Binary Domain ne défaille jamais mais reste dans le ventre mou des shooters modernes. A force d'assurer le strict minimum, il incarne parfaitement ce défouloir de trop qui offre rigoureusement la même chose que les autres bousins. Pas une seule petite étincelle si ce n'est le crépitement des robots qui tombent en morceaux sous l'impact des balles. Avec ses références mal assimilées, Binary Domain réussit l'exploit d'être plus caricatural que la caricature même. Et dire qu'avec un peu de personnalité, il aurait pu être tellement plus emballant, putaing.