Partagé entre la confiance en Rockstar, et le doute lié aux productions passées de Brendan McNamara qui est à la tête du projet et du studio Team Bondi (surtout The Getaway), il me tardait de découvrir enfin ce fameux projet qu'est L.A. Noire. Mystérieux, ce titre mélangeant aventure, action, et monde ouvert, surfe sur une vague de plus en plus présente dans le jeu d'aujourd'hui, celle des projets à forte narration, avec des acteurs avérés dont on capture les performances. Un peu à la manière d'un Heavy Rain, avec lequel il partage beaucoup... mais une longueur d'avance indéniable en matière de crédibilité du jeu d'acteurs.
Cette époustouflante retranscription des performances d'acteurs, qu'on devine déjà dans le tout premier trailer composé d'images de jeu que Rockstar a lâché il y a tout juste une semaine, on la doit à la technologie utilisée pour numériser le visage d'un casting particulièrement impressionnant. Ça s'appelle le MotionScan ; au lieu de capturer des petits points comme pour le Motion Capture, un mur de caméras filme sous tous les angles les visages des acteurs (qui jouent donc les scènes deux fois, une fois pour leur gestuelle corporelle, une fois pour leur visage, sans bouger), et les intègre tels quels sur les modèles 3D des personnages. Le résultat est tout simplement bluffant.
De l'émotion comme mécanique de jeu
La retranscription d'un jeu d'acteur subtil, dans lequel sont traduites des émotions comme l'inconfort, le malêtre, la colère, ou des faits comme le mensonge trahi par la direction d'un regard, était d'une importance toute particulière pour L.A. Noire, puisqu'il s'agit avant tout d'un jeu d'enquête dans lequel l'analyse des témoignages permet de progresser. La bonne utilisation par le joueur des signaux renvoyés par les acteurs du jeu est donc une mécanique à part entière de gameplay, puisque de ce que nous en avons vu, L.A. Noire semble se concentrer tout de même fortement sur les interrogatoires que le joueur devra mener pour résoudre les différentes affaires échouant sur le bureau de son personnage, Cole Phelps (incarné par l'acteur Aaron Staton). Car L.A. Noire campe son univers dans le Los Angeles de la fin des années 40 : une période de faste économique et d'essor Hollywoodien, mais aussi de corruption et de criminalité organisée. Cole Phelps, vétéran de la Seconde Guerre Mondiale, se retrouvera ainsi enquêteur pour la LAPD, et gravira les échelons tout au long du jeu.
Enquête après enquête
Si bien entendu, il y aura à tout cela une histoire globale qui plongera Phelps au coeur de la pègre de Los Angeles et face à ses propres peurs, le début du jeu et sa structure générale s'appuient sur des enquêtes séparées. D'abord au bureau de la circulation, puis petit à petit dans des services de plus en plus importants ; bureau des moeurs, bureau de la criminelle, etc. Chaque bureau confrontera le joueur à des cas sans rapport les uns avec les autres, certains fictifs, d'autres calqués sur des affaires réelles d'époque, retranscrites en jeu. Chaque bureau lui-même offrira à Phelps l'opportunité de travailler avec un nouveau coéquipier, lequel servira autant d'aide en ligne et d'accompagnement que de ressort narratif. Pour le reste, l'ensemble se déroule dans un Los Angeles remodélisé, ouvert, dans lequel on circule en voiture ou à pied à la GTA, d'un point à autre sans chargement apparent. Pourtant, il ne s'agit là que d'un outil d'immersion, et non de gameplays secondaires, même si on pourra surprendre des appels du central sur des crimes se déroulant en temps réel dans la ville et s'y rendre pour intervenir le cas échéant. Les développeurs semblent avoir choisi à cet égard une optique plus proche d'un Mafia que d'un GTA : l'essentiel, dans L.A. Noire, ce sont les enquêtes, même si celles-ci ne se limitent pas à des interrogatoires et des recherches et examens de pièces à conviction : sont prévues également des séquences d'action, bagarres aux poings, fusillades, et courses-poursuites.
Le quotidien du policier
Si ce que nous avons vu de ces séquences d'action semble encore bien mou et flottant, rappelant un peu, malheureusement, les mêmes séquences dans The Getaway, la garantie que des développeurs de Rockstar Leeds et Rockstar North assistent la Team Bondi permet de croire que tout ceci devrait être amélioré d'ici à ce qu'on puisse mettre la main sur le jeu pour mieux s'en rendre compte, l'année prochaine. En revanche, la partie la plus importante, celle des investigations elles-mêmes, m'a fait assez forte impression au travers du dossier que les développeurs nous ont fait suivre. C'était une des premières enquêtes du jeu, alors que Cole est à la circulation : "la star déchue". Une voiture a failli être précipitée par dessus un ravin, pas très loin du commissariat, et s'est retrouvée encastrée dans un panneau publicitaire. Le dossier entrepris, le joueur contrôle Phelps et quitte le commissariat avec son coéquipier du bureau de la circulation, Bekowsky. L'enquête commence. On monte en voiture pour se rendre sur le premier lieu évident : la scène du crash, où se trouve encore l'une des deux passagères de la voiture, June Ballard, une actrice célèbre mais qui a passé ses meilleures années, et qui est mariée à un truand influent. Avant d'aller l'interroger, puisqu'elle conduisait la voiture, Cole Phelps et Stefan Bekowsky jettent un œil au véhicule...
Preuves, indices, confrontations et carnet de note
Sur le lieu du crash, une petite musique jazzy aux relents mystérieux se fait entendre : cela indique au joueur, sans indications supplémentaires à l'écran, qu'il y a des pièces à conviction à découvrir dans le coin. Lorsqu'il se trouve face à l'une d'entre elles, un carillon retentit discrètement. Il peut alors le ramasser et l'examiner, en temps réel sous toutes les coutures, jusqu'à trouver des détails d'intérêt. Tout est alors automatiquement consigné dans son outil numéro un : le carnet de note. Ce dernier regroupe donc les indices, mais aussi les personnes d'intérêt (témoins et suspects), et sert également d'interface d'interrogation. Au joueur de choisir comment procéder, dans quel ordre, et par quelles méthodes. Tout ce qu'il lui faut, c'est réussir à réunir suffisamment d'éléments pour pouvoir passer à l'étape suivante. Mais revenons à nos indices pour l'enquête "Star déchue" : il y a d'abord cette petite culotte déchirée, qui indique bien qu'il y a quelque chose de curieux dans tout ça... ce qui ne tarde pas à se confirmer lorsqu'on découvre également une réplique de tête Navajo coincée sous la pédale d'accélérateur, et une lettre adressée à Jessica Hamilton, de sa mère, la suppliant de revenir à la maison. Jessica n'est autre que la passagère du véhicule, une aspirante actrice de 15 ans... Il est temps d'aller d'abord parler au médecin légiste qui se trouve sur place : car, à l'époque, il y en avait toujours en cas d'accident, et pas seulement d'homicide.
Tu pipotes pas un peu, toi ?
Le légiste ne nous apportera guère d'autre élément, si ce n'est l'hôpital dans lequel Jessica a été transportée (l'adresse est désormais en notre possession). En revanche, en interrogeant June, il apparaît que les deux se sont rendues à un casting d'un certain Mark Bishop, qui pourrait être le commanditaire de ce qui a tout lieu d'être une tentative de meurtre. Mais pour quel motif ? L'interrogatoire est donc une partie importante de L.A. Noire. On y assiste, en gros plan, aux réponses des témoins, avec toutes leurs réactions. Une fois qu'ils ont parlé, plusieurs possibilités s'offrent à nous : les croire, les accuser de mentir, tenter de les brusquer. Un bouton par option. Bien entendu, lorsqu'un témoin ment, encore faut-il pouvoir en apporter la preuve pour s'assurer en l'accusant qu'il n'aura d'autre choix que d'avouer, et nous donner les informations manquantes ou réelles. Mais certains témoins peuvent aussi se fermer complètement si on les brusque, chaque interrogatoire doit donc être mené avec attention au contexte et à la personne. June, femme mature, connue, et mariée à un homme puissant, ne réagira bien entendu pas pareillement que Jessica, jeune fille de 15 ans qui se trouvera en outre être au coeur de cette affaire dont je ne vous révélerai pas tous les détails... Plusieurs questions au cours d'un même interrogatoire ont des chances de révéler plusieurs indices. On pourra consulter à tout moment un log complet des conversations, car il faut bien avouer que les mots prononcés ont autant d'importance que le ton ou l'attitude avec lesquels ils l'ont été. Et, entre chaque question, on peut observer le visage de l'interrogé, afin de se faire une meilleure idée de sa crédibilité et de son état émotionnel avant d'adopter une attitude pour la suite de la "séance"...
Les méandres des possibles
Un peu à la manière de Heavy Rain, en fonction des informations récoltées par le joueur, celui-ci peut emprunter des chemins différents - même s'il devra tout de même résoudre les enquêtes, et donc parfois recommencer certaines scènes s'il ne parvient pas à en tirer suffisamment pour passer à autre chose. Par exemple, après avoir vite découvert des indices de sévices envers la petite qu'on a interrogée à l'hôpital, on découvre que parmi ses maigres souvenirs de ce qui s'est passé, se trouve l'image d'une enseigne en forme de sirène, sur la devanture d'un Prop Shop (un atelier fabriquant des accessoires pour le cinéma). Le Prop Shop où s'est déroulé le casting de la jeune fille, et probablement son viol... Mais si l'interrogatoire délicat de Jessica ne s'était pas aussi bien passé, cet indice majeur n'aurait pas permis à Phelps (et au joueur), de trouver la localisation de ce Prop Shop en particulier. Qu'à cela ne tienne, un enquêteur ne travaille pas seul, et on aurait ainsi pu demander au commissariat la liste de tous les prop shops de la ville et procéder méthodiquement jusqu'à tomber sur le bon pour poursuivre l'enquête ! On peut ainsi utiliser ces ressources à tout moment, dès qu'un téléphone se trouve à proximité, pour appeler le service d'identification (plaques et compagnie), des renforts, ou consulter des messages qu'on aurait pu nous laisser. Il se dégage ainsi de L.A. Noire une sensation de liberté curieuse, dans la manière dont on peut aborder enquêtes et interrogatoires, et se servir d'outils policiers à notre disposition. Un sentiment qui, on l'espère, allié à une écriture ciselée et apparemment très soignée, pourrait bien nous glisser pour la première fois dans la peau d'un véritable enquêteur, qui pourra procéder comme il l'entend pour résoudre ces affaires.
Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour L.A. Noire, mais ce premier contact révèle incontestablement un grand potentiel. Si les séquences d'action et tout ce qui se trouve en dehors des enquêtes elles-mêmes semblent légers, le coeur du jeu, son atmosphère, l'apport indéniable des performances criantes de vérité d'un casting d'acteurs époustouflant, incorporés au jeu pour les biens de la narration mais aussi du gameplay, et les multiples embranchements possibles pour parvenir à résoudre un cas sont fort encourageants. Nous devrions mettre la main dessus début d'année prochaine, pour de plus amples impressions... en tout cas, on a hâte, car il subsiste de nombreuses inconnues.